Romain Julliard est chercheur en biologie de la conservation au Muséum national d’histoire naturelle. Il s’alarme du déclin des « espèces communes de nos campagnes ».
Audrey Garric – Que pensez-vous des nouveaux chiffres sur le déclin des oiseaux ?
Romain Julliard – On sait depuis longtemps que les oiseaux déclinent en milieu agricole, mais on pensait que l’essentiel de ce phénomène datait des années 1980, avec l’intensification des pratiques agricoles et l’usage de pesticides tels le DDT, et qu’on avait atteint une sorte de plateau dans les années 2000. Il est extrêmement alarmant de constater que non seulement cette érosion se poursuit, mais également qu’elle s’amplifie.
Nous sommes confrontés à un effondrement qui concerne aujourd’hui tous les échelons de la biodiversité sauvage dans ces paysages agricoles : les insectes, dont les papillons et les pollinisateurs, la flore adventice [non voulue par les agriculteurs et souvent considérée comme mauvaise herbe] et les oiseaux. Et ce, alors que nous n’avons jamais autant consacré d’argent et d’investissement pour prendre des normes environnementales ou soutenir l’agriculture biologique. C’est sidérant.
Quel est l’impact d’une telle érosion de ces vertébrés ?
Les oiseaux sont des espèces relativement résilientes, en raison de leurs larges aires géographiques, d’une certaine longévité et d’une alimentation diversifiée. Ils arrivent en bout de chaîne. Lorsqu’ils déclinent, cela indique que toutes les autres espèces en font de même.
Au-delà, c’est une valeur patrimoniale que nous sommes en train de perdre : nous avons façonné depuis des milliers d’années des paysages dans lesquels on entend des oiseaux chanter. En dépendent une forme de bien-être, de qualité de vie, en plus du tourisme. Alouettes, perdrix, linottes : autant de noms familiers d’une biodiversité ordinaire qui va bientôt nous manquer.
On parle de sixième extinction de masse à l’échelle de la planète…
Le déclin des oiseaux s’inscrit dans une tendance globale à l’accélération de l’érosion de la biodiversité. Il y a la disparition des espèces, qui a lieu à un rythme cent à mille fois plus rapide que par le passé, mais il est très inquiétant de mesurer également le recul des populations (en nombre d’individus) et de constater qu’il touche les espèces communes de nos campagnes. L’ampleur de ce phénomène nous avait échappé.
Si rien ne change, on peut craindre des disparitions d’espèces dans les prochaines décennies, comme par exemple l’outarde canepetière, qui est un des oiseaux les plus menacés des plaines cultivées de France : il a perdu 95 % de ses effectifs en cinquante ans et il ne subsiste plus que dans une petite poche dans les Deux-Sèvres – malgré l’instauration de zones de protection et de plans de restauration.
Comment limiter ce phénomène ?
Il s’agit tout d’abord de réduire l’intensification de l’agriculture. Ensuite, nous devons trouver des mécanismes pour rémunérer les efforts des agriculteurs pour maintenir la biodiversité et les paysages – par exemple, une certification des cultures qui seraient favorables à la faune et à la flore. Ils savent comment le faire mais ils doivent y trouver un intérêt économique.
Aujourd’hui, les politiques de conservation de la biodiversité ne sont pas suffisamment efficaces : on subventionne la réalisation, plus que les résultats. C’est par exemple le cas lorsqu’on rembourse les agriculteurs qui ont planté des haies. On ne tient pas compte des espèces choisies – les haies viennent de pépiniéristes, plutôt que de prendre des arbres qui poussent spontanément dans la parcelle –, du lieu où elles doivent être plantées, ni de comment les gérer par la suite. Nous devons aller vers un changement de paradigme : incorporer la biodiversité sauvage dans le modèle économique des exploitations agricoles.
Audrey Garric