La Chine du président Xi Jinping hausse le ton vis-à-vis de Taïwan à la suite de l’entrée en vigueur aux Etats-Unis d’une loi autorisant les échanges de haut niveau entre les membres du gouvernement américain et ceux de l’île, avec laquelle Washington entretient des relations diplomatiques officieuses.
La préparation du Taiwan Travel Act, adopté par le Congrès américain et entré en application après sa signature par le président des Etats-Unis, le 16 mars, avait suscité de virulentes protestations de la part de Pékin, en vain. Le texte constitue un rapprochement d’une portée inédite depuis le Taiwan Relations Act de 1979 qui énonçait les obligations, notamment de soutien militaire, de Washington vis-à-vis de Taipei après la rupture de leurs relations diplomatiques au profit de la Chine populaire.
Pour Pékin, la signature de la loi par le président américain et la nomination d’un nouveau secrétaire d’Etat, Mike Pompeo, connu pour ses positions favorables à Taïwan, sont des signes de la détermination renouvelée du gouvernement Trump à jouer la carte de Taïwan dans sa confrontation avec la Chine, un an et cinq mois après le fameux appel téléphonique entre la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen et le candidat Trump, tout juste élu. Cette entorse aux usages avait irrité la Chine au plus au point. Cette fois, Pékin doit en outre se préparer à de possibles sanctions douanières américaines, dont le détail était attendu jeudi.
Ce contexte explique le ton farouchement nationaliste adopté par le président Xi Jinping dans son discours de clôture, mardi 20 mars, de la session annuelle du Parlement chinois. M. Xi a prévenu, au sujet de Taïwan – qui, pour la Chine, fait partie de son territoire – que « toutes les manœuvres et les sales tours déployés pour diviser la mère patrie ne peuvent que se conclure par un échec ».
« Un symbole très fort »
Le soir même, le porte-avions chinois Liaoning s’engageait dans le détroit de Formose, qui sépare l’île du continent. Un passage que les observateurs militaires à Taïwan estimaient prévu à l’avance pour coïncider avec la clôture de la session parlementaire chinoise. Le Liaoning, qui traverse plusieurs fois par an le détroit depuis 2016, n’en a toutefois pas franchi la ligne médiane.
A Taipei, le Conseil des affaires de Chine continentale, l’agence officielle chargée de la politique chinoise du gouvernement taïwanais, a appelé mardi M. Xi à « s’écarter de la voie habituelle des menaces et de la confrontation » pour « faire face à la réalité que les deux rives [du détroit] sont gouvernées chacune d’une manière différente ».
Washington avait de son côté dépêché le 20 mars à Taipei le secrétaire d’Etat adjoint pour l’Asie de l’Est et le Pacifique, Alex Wong. « L’objectif de la politique américaine est de s’assurer que le peuple de Taïwan peut continuer sur le chemin qu’il a choisi, libre de toute coercition » a déclaré ce dernier mercredi, lors d’un banquet auquel participait Mme Tsai.
Ce n’est pas la première fois qu’un secrétaire d’Etat adjoint américain se rend à Taïwan. Mais « jamais dans le passé on n’avait eu tant de visibilité et de publicité que pour la visite d’Alex Wong », explique le sinologue Gerrit van der Wees, spécialiste de Taïwan à Washington. Les restrictions que les Etats-Unis s’imposaient jusqu’à maintenant s’appliquent par exemple au secrétaire d’Etat adjoint à la défense. « Il faut s’attendre à une augmentation graduelle de la fréquence et de la visibilité des contacts entre officiels taïwanais et américains à des niveaux plus élevés », estime M. van der Wees. La nouvelle loi n’exclut pas les visites au plus haut niveau – c’est-à-dire présidentiel.
Pour June Teufel Dreyer, spécialiste des affaires militaires chinoises à l’Université de Miami, le Taiwan Travel Act est « un symbole très fort. Mais il faudra voir sa mise en œuvre », écrit-elle dans un courriel. Mme Teufel Dreyer estime que Washington, dont la représentation officieuse à Taipei, l’American Institute in Taiwan, emménagera dans un nouveau complexe cet été, pourrait par exemple nommer à Taipei un diplomate qui a servi ailleurs comme ambassadeur. Pékin a avancé couche par couche en mer de Chine méridionale et orientale, en mettant chaque fois les pays de la région face au fait accompli. « Les Etats-Unis pourraient faire de même en se dirigeant progressivement vers une reconnaissance formelle de Taïwan comme Etat souverain indépendant », écrit la chercheuse.
La carotte et le bâton
A Pékin, le très nationaliste Global Times a appelé à des mesures de rétorsion à la suite du Taiwan Travel Act et de la visite de M. Wong, notamment à refuser l’entrée du secrétaire d’Etat adjoint sur le territoire chinois, mais aussi à « se préparer à un conflit militaire direct dans le détroit ».
Tout porte à croire que Pékin va mener une stratégie double sur Taïwan : manier le bâton et continuer à faire pression sur le gouvernement pro-indépendance à Taipei, possiblement en le privant de nouveaux alliés diplomatiques. Mais aussi jouer de la carotte, notamment à destination d’une jeunesse qui se plaint à Taïwan de bas salaires. Trente et une mesures ont été annoncées par Pékin en mars pour donner aux Taïwanais s’installant en Chine un statut et des avantages similaires aux Chinois du continent. Cette initiative a provoqué de vives réactions à Taipei, où le gouvernement étudie ses propres contre-mesures pour limiter la fuite des cerveaux.
Brice Pedroletti (Pékin, correspondant)