La Corée ? Quelle Corée ? Le Nord ou le Sud, évidemment. Pas si simple, car il en existe une troisième : la Corée « chinoise » composée de trois millions de « Coréens » de la région autonome de Yanbian, sur la rive chinoise du fleuve Yalu qui sépare la Chine de la République populaire démocratique de Corée (RPDC) : de nationalité chinoise, ils sont restés Coréens par leur culture, leur langue (employée parallèlement au chinois) et leur attachement au pays d’origine.
L’ÉCHEVEAU CORÉEN EST PLUS COMPLEXE QUE NE LE DONNE À PENSER LE MANICHÉISME À PROPOS D’UN PAYS DIVISÉ DEPUIS 1945
Patrick Maurus, professeur émérite de coréen à l’Institut des Langues et Civilisations orientales (INALCO) et fin connaisseur des deux pays où il a séjourné à maintes reprises et dont il traduit des œuvres littéraires, aide à comprendre la situation paradoxale d’une Corée aujourd’hui éparpillée. Un pays qui n’existe plus en tant que tel et n’a même plus de nom pour le désigner : la Corée s’appelle Choson au Nord et Hanguk au Sud…
Ce livre au ton enlevé, parfois sarcastique, dense et érudit – au point parfois d’égarer le lecteur non averti – a le mérite d’ébranler les clichés. L’agacement de l’auteur est légitime : une incompréhension délibérée a nourri des erreurs politiques qui ont conduit à la situation présente, celle d’une RPDC de facto nucléaire et des risques de guerre.
L’écheveau coréen est plus complexe que ne le donne à penser le manichéisme à propos d’un pays divisé en 1945 par les vainqueurs de la guerre du Pacifique devenu deux Etats qui se déchireront dans une guerre fratricide (1950 à 1953) suspendue à un cessez-le-feu qui n’a jamais été suivi d’un traité de paix.
Nationalisme farouche
Dictature au Nord, démocratie au Sud. Certes, mais encore. La démocratie au Sud est jeune : jusqu’en 1987, le pays était placé sous des dictatures militaires soutenues par les Etats-Unis et elle a connu bien des dérives dont témoigne l’arrestation, il y a un an, de la présidente Park Geun-hee pour abus de pouvoir.
Quant à la dictature au Nord, elle mérite d’être étudiée pour elle-même sans se contenter de plaquer sur sa noire réalité la grille de lecture ossifiée appliquée aux régimes communistes défunts afin de comprendre la résilience du régime et ses évolutions dont l’apparition d’une économie hybride (qui mêle planification et initiative privée). La troisième Corée, enfin, silencieuse et si « déterritorialisée » qu’elle semble inexistante, est appelée à jouer un rôle charnière dans toute évolution de la péninsule.
Patrick Maurus montre combien le nationalisme farouche des Coréens qui devrait les unir tend aussi à les séparer : le Nord comme le Sud revendiquant la légitimité d’incarner « la » Corée. Les représentations réciproques de ces altérités construites par la littérature et par le cinéma ajoutent une pierre à la division. Que l’on partage ou non les points de vue de l’auteur, son approche incite à une salutaire pondération des affirmations péremptoires ressassées sur les Corées.
Philippe Pons (Tokyo, correspondant)