Dans les 180 villes où ont eu lieu des manifestations à l’appel de 7 syndicats de la Fonction publique, partout les chiffres sont en augmentation par rapport au 10 octobre 2017, dernière date de grève du secteur, alors qu’à l’époque la CFDT et l’UNSA appelaient aussi à la grève. Plus de 500000 manifestants comptabilisés par la CGT (400000 le 10 octobre). De même, 25000 cheminot.e.s ont participé à la manifestation nationale parisienne CGT, SUD, UNSA, CFDT, et 35% étaient en grève à l’appel de Sud Rail et de l’UNSA.
Dans l’enseignement primaire, un.e enseignant.e sur deux était en grève. Dans les Finances publiques, fort taux de grève, supérieur nationalement à 40%. Il faut noter aussi une augmentation des grévistes parmi les personnels hospitaliers. Dans plusieurs villes, étaient présents des hospitaliers en grève depuis plusieurs jours (comme l’Hôpital psychiatrique de Dijon), des postiers comme à Bordeaux (20 bureaux en grève depuis 15 jours).
Dans la plupart des villes, des cortèges de jeunes étaient présents dans les manifestations, avec des retraité.e.s, des cheminot.e.s n’ayant pu aller à Paris, des salarié.e.s des entreprises du privé : chimie, métallurgie.
Partout, plusieurs éléments communs ressortaient :
Evidemment, les mots d’ordre et les revendications partent de questions différentes d’un secteur à l’autre. Globalement, le plan contre les fonctionnaires prévoit 120000 suppressions de postes dans les 4 ans à venir, le maintien du gel des salaires, le développement de la précarité. Pour les cheminot.e.s, c’est la mise en marche forcée de la privatisation avec le démantèlement du service public et la fin des embauches statutaires, puis à l’horizon la remise en cause du régime des retraites. Les agents hospitaliers subissent la dégradation quotidienne des conditions de travail, avec les fermetures de lits, et les enseignants les fermetures de classes.
Mais toutes et tous subissent l’attaque frontale contre les services publics, la baisse des budgets pour les emplois et le fonctionnement et la volonté d’aligner le pays sur les pays européens ayant déjà subi les mêmes attaques. Ces points communs apparaissaient dans les manifestations, même si les échéances sont différentes. Le but du gouvernement est évidemment d’essayer d’émietter les ripostes et d’engluer les directions syndicales dans un pseudo-dialogue étalé dans le temps.
Au-delà, les préoccupations des cortèges de retraité.e.s, de jeunes recoupaient aussi le rejet d’une politique du gouvernement Macron-Philippe qui poursuit la régression sociale, sur le montant des pensions, les aides au logement, les processus de sélection aggravée dès le lycée et pour l’accès à l’enseignement supérieur. De même, les délégations de salariés du privé témoignaient de la violence des politiques patronales de fermetures de site, de blocage des salaires, de plans de licenciements, avec l’aval d’un gouvernement qui réduit les obligations patronales et les moyens d’action des syndicats et des salarié.e.s, tout en menant une politique fiscale en faveur des actionnaires et des privilégiés. Les chômeurs eux, avec la nouvelle réforme, vont être soumis à des menaces accrues de radiation de leurs droits et d’une pression croissante pour des contrats précaires et déqualifiés.
Il y a donc bien un climat de polarisation sociale au lendemain du 22 mars, un début de mobilisation de différentes catégories de salarié.e.s et d’une partie de la jeunesse scolarisée. Toute la question est maintenant de la capacité d’en faire, dans les prochaines semaines, un mouvement d’ensemble capable de gagner et de bloquer la politique de Macron.
Concernant cet enjeu, les derniers jours sont révélateurs :
Le discrédit de ce gouvernement augmente. De multiples sondages d’opinion confirment ce que l’on peut ressentir autour de nous, dans les entreprises et dans la rue : malgré son affichage de président triomphant et sûr de lui, disant, le 23 mars à Bruxelles, que les mouvements sociaux ne sont « pas de nature à le faire revenir sur les engagements pris durant sa campagne », comme s’il avait bénéficié d’un plébiscite, Macron n’a guère plus de soutien que celui qu’avaient les gouvernements Sarkozy et Hollande 10 mois après leur élection. Ainsi un sondage BVA, publié le 21 mars, indique que 17% seulement soutiennent la politique de Macron (c’est le pourcentage de vote qu’il avait obtenu au 1er tour de la présidentielle de 2017) ; 57% des sondés ont une mauvaise opinion de sa politique. Dans un autre sondage, 55% des sondés soutenaient le mouvement de grève du 22 mars, et c’était le cas pour 82% des salarié.e.s du secteur public. De même les 2/3 des sondés considèrent que la dégradation des services publics vient des attaques dues aux diminutions des moyens par le gouvernement.
Ce discrédit est évidemment accentué par l’image de président des riches, PDG de la France, que veut se donner Macron. Les derniers jours ont renforcé ce sentiment avec l’information que Bernard Arnault, PDG de LVMH, souvent présenté par Macron comme exemple des « premiers de cordée » qui tirent la France vers le haut, a augmenté sa fortune personnelle de 30 milliards de dollars en 2017, l’amenant à plus de 72 milliards.
Le premier but du gouvernement est d’éviter la convergence de luttes. Le calendrier qu’il s’est donné est évidemment un atout : l’Assemblée nationale doit lancer le processus des ordonnances contre la SNCF début avril, pour centrer l’attaque contre les cheminot.e.s immédiatement en espérant les isoler. Le gros des attaques contre la Fonction publique doit s’étaler dans les mois suivants en les parsemant de rencontres « pédagogiques » avec les directions syndicales.
La propagande gouvernementale, complaisamment relayée par les grands medias dont la ligne éditoriale encense Macron depuis son élection, se centre donc ces jours-ci sur plusieurs points : dévaloriser le succès du 22 mars, en faire un demi-échec, ce qui est contredit par les faits ; ensuite, centrer les coups contre les « privilèges » des cheminot.e.s accusés de vouloir bloquer le pays pendant des semaines ; distiller des images réduisant les manifestations à des scènes de violence, comme l’avait fait Manuel Valls lors des manifestations contre la loi El Khomri en 2016 ; enfin le gouvernement va essayer de briser dans l’œuf les possibilités de construction d’un mouvement dans la jeunesse scolarisée et notamment dans les universités.
Des interventions policières contre les jeunes dans les manifestations du 22 mars, mais aussi la mise sous tutelle de l’Université Jean Jaurès Toulouse 2 où les étudiants s’opposent à leur dissolution dans l’école d’Ingénieurs, synonyme de sélection accrue, vont dans ce sens. De même, l’intervention de nervis à la faculté de Droit de Montpellier, avec la complicité active du doyen entre dans la même logique.
Toutes ces manœuvres visent à démoraliser et à freiner la montée d’un climat de sympathie et de cohésion.
Mais l’élément principal sur lequel les militant.e.s peuvent agir directement c’est évidemment la convergence des grèves, des mouvements des différents secteurs et le dépassement dans les jours qui viennent des divisions et des blocages des directions syndicales confédérales.
Il faut arriver à faire converger les mouvements de la jeunesse, des EHPAD, de la Fonction publique, notamment de la Poste, des hôpitaux des Finances publiques et bien sûr des agents SNCF., et au-delà des salariés du privé. Les points communs, les passerelles existent, mais pour cela, il faut que les forces militantes dans les syndicats se rassemblent consciemment, localement et nationalement dans chaque secteur professionnel. Car nous n’avons pas, pour plusieurs raisons, un calendrier syndical qui soit à la hauteur, qui soit un point d’appui pour construire cette convergence.
Nationalement, seule la CGT propose une date pour une mobilisation interprofessionnelle… le 19 avril, c’est-à-dire quasiment un mois après le 22 mars, plus de 15 jours après le début du mouvement de grève de la SNCF et en plein milieu des vacances scolaires de Pâques. Il est dès lors contradictoire de dire, comme le fait Martinez, le secrétaire général de la CGT, qu’il faut hausser le ton et proposer une telle date qui ne fournit pas une échéance concrète pour les secteurs combatifs. Mais cette timidité est encore peu de choses face à la politique de la direction de Force ouvrière. Alors que beaucoup de dirigeants fédéraux et locaux de FO tiennent un langage combatif, Mailly, secrétaire général, refuse pour l’instant toute perspective de convergence. Il avait d’ailleurs déclaré le 6 mars, douter « de la volonté des salariés de descendre massivement dans la rue de manière interprofessionnelle ». Pour Berger, de la CFDT, il est urgent d’attendre « la convergence des luttes, ce n’est pas la tasse de thé de la CFDT ». Seul Solidaires qui pèse moins dans le champ syndical, se prononce clairement pour une convergence public/privé.
L’intersyndicale Fonction publique qui a appelé au 22 mars se réunit le 27 mars. Le 30, l’Intersyndicale Air France appelle à la grève pour les salaires. Le 31, c’est l’intersyndicale des magasins Carrefour pour les revendications salariales et contre les suppressions d’emploi. L’intersyndicale des EHPAD n’a pas prévu pour l’instant de nouvelle date.
Malgré cet éclatement apparent, tous les secteurs combatifs ont en tête la date du 3 avril, début de la grève SNCF. Même si CGT, CFDT et UNSA SNCF préconisent un rythme de 2 jours de grève tous les 5 jours, Sud Rail appelle à voter un mouvement reconductible à partir du 3.
L’intersyndicale Finances publiques Paris (CGT, Solidaires, FO) appelle à la grève le 3 avril. Il en est de même pour une coordination des hospitaliers CGT réunie vendredi dernier. Dans plusieurs villes, comme à Bordeaux, Rouen ou Grenoble, les dates des 3 ou 4 avril sont mises en perspective comme nouvelle date de convergence dans les Assemblées générales.
Dans tous les cas, les militant.e.s combatifs ont compris que le+ chemin n’est pas balisé et qu’l faut à la fois dépasser les divisions de secteurs, les divisions syndicales et ne pas s’en remettre à un calendrier vide de convergences. Cela va imposer rapidement la formation de solides coordinations intersyndicales locales rassemblant les différents secteurs et pouvant donner confiance aux secteurs en grève et favoriser l’extension. La partie est évidemment loin d’être gagnée.
Mais, le véritable enjeu est bien dans ces coordinations, ce changement de climat politique qui doit s’imposer dans les jours qui viennent. Cette convergence ne doit pas seulement se faire en terme de « solidarité » avec les cheminot.e.s, mais bien en terme de « tous ensemble », de plate-forme convergente pour la défense des services publics, contre la politique d’austérité du gouvernement, faite de cadeaux au MEDEF et d’attaques contre les salarié.e.s.
Du côté des organisations politiques de gauche, l’appel initié par Olivier Besancenot et le NPA à l’unité autour des cheminot.e.s et de l’ensemble des services publics, rejetant les politiques antisociales du gouvernement, a été très bien perçu et, signe des temps, Besancenot est devenu ces jours-ci, dans les sondages, le plus populaire parmi les sympathisants de gauche grâce à un langage de combativité et d’unité.
Le chemin ouvert peut se prolonger pour tisser un front unitaire regroupant syndicats, partis et associations du mouvement social autour des exigences communes, un rassemblement dans la durée, un tous et toutes ensemble, une grève générale pour faire reculer Macron.
Léon Crémieux