Mai 1969. A cette date, j’ai rencontré Troglo et depuis lors nous avons eu une activité politique commune et très unie, en plus d’une très grande relation affective – les deux sans interruption depuis quarante-neuf ans, beaucoup plus que la moitié de nos vies.
En mai 1969, il a joué son rôle dans la reconstruction d’une ETA brisée, en avril, par la répression policière qui avait incarcéré toute sa direction politique, avec les arrestations de la rue Artekalea de Bilbao et dans un petit village (Mogrovejo) dans les montagnes de Cantabrie. En 1970, le ministre de l’Intérieur avait lancé contre lui – surnommé « Le Roi » - un acte d’accusation pour banditisme et terrorisme dans lequel il était décrit comme « commandant suprême » de l’ETA.
Le surnom de Troglo (abréviation de troglodyte) est apparu, quelque temps plus tard parce qu’un jour, il a demandé si Bitter [la boisson Bitter Cinzano] était une marque de détergent ; la question était une blague, mais dans ce pays, vous restez volontiers avec le surnom qui vous a été donné. Nous l’avons donc appelé ainsi depuis lors et, sûrement, parmi certains de ses amis proches il y a ceux qui jusqu’à aujourd’hui n’ont pas entendu parler de José Ramón Castaños Umaran. Ce n’est pas grave. Pour notre monde au moins, Troglo est un nom parfait pour un souvenir indélébile.
Avec plus d’enthousiasme que d’espoir, la reconstruction de l’ETA a commencé en 1969 et 1970. En 1968, après les funérailles de Txabi Etxebarrieta, son premier militant mort, elle s’est imposée comme la principale référence politique pour un mouvement sociopolitique d’une certaine durée. Pendant ces années, nous avons toujours travaillé à maintenir un équilibre difficile entre mettre l’accent sur l’identité socialiste et sur l’identité nationaliste. En 1970, nous avons dû nous exiler en France. Là, nous avons vécu des moments difficiles, devant faire face à des accusations d’« españolistas » qui ont fini par provoquer la séparation entre ETA VI et une autre ETA (ETA V) qui est devenue, avec le temps, l’organisation qui a perduré jusqu’à aujourd’hui comme en tant qu’ETA.
Otxanda [la seule fille de Troglo] est née en 1971.
Troglo était d’une générosité politique sans bornes. Il a répondu à un appel à l’aide internationaliste et est parti pour un certain temps en Argentine, en dépit du risque personnel si grand qu’impliquait, là-bas, l’instabilité considérable de la situation politique dominante. Mais même durant sa période latino-américaine, il est resté très proche de son organisation en Euskal Herria, suivant de près son évolution .
Cette évolution a conduit, en 1973, à la fusion entre ETA VI et la LCR, ce qui a donné naissance, en Euskal Herria, à la LKI – Ligue komunista Iraultzailea. Troglo a toujours été un militant et un dirigeant de la LKI. Il en fut de même après une autre unification, avec l’EMK [d’origine maoïste], qui a cette fois donné naissance à l’organisation Zutik ! [Débout !] dans laquelle il a poursuivi son engagement. Pour diverses raisons - politiques et organisationnelles - la fusion des ces deux courants de gauche révolutionnaires dans Zutik ! n’a pas marché et il y a eu rupture.
Cependant, même après l’expérience de cet échec, Troglo n’a jamais mis de côté son militantisme politique. Ame infatigable des ILP (Iniciative Legislative Popoulaire), d’initiatives, de rencontres, de conférences et de débats, il en est resté ainsi, même après que le cancer l’eut piégé il y a quelques années de cela. Il semblait s’éloigner durant l’hiver 2016-2017, mais un traitement immunologique lui a donné une année de plus d’une vie qui, jusqu’à la fin, a gardé toute sa cohérence.
Nous avons beaucoup appris de lui. Non seulement de sa générosité et de son militantisme politique, mais aussi de sa pensée et son savoir-faire en bien des choses. Par exemple, il ne fait aucun doute pour nous, et toujours depuis sa relative autonomie politique, qu’il a réussi à tisser des liens et des relations – non brisés en dépit des différences ou débats – avec le nationalisme de gauche ; en particulier, lors de l’important processus politique de ces dernières années. Troglo est aussi celui qui, parmi nous, a su le mieux s’accorder avec les secteurs chrétiens engagés dans le combat pour la justice, l’égalité et la défense des droits humains.
Nous avons appris et nous avons beaucoup bénéficié de l’amitié généreuse et active de Troglo. Certains, parmi lesquels j’ai eu de la chance d’être, en avons reçu une quantité illimitée. Je sais qu’il a ressenti la même chose de notre part. Et tout ce que Troglo a représenté pour moi, depuis près de 50 ans, bien que j’occupe peu de place dans cet écrit, est ce que je recherche le plus en ce moment.
Je sais que ce n’est valable que pour moi. Je sais que demain nous devrons revenir, en particulier, sur la signification politique de Troglo. Nous le ferons. Mais pour l’instant, c’est cette partie personnelle que j’aime le plus.
Petxo Idoiaga