Un état des lieux révélant un retour en arrière socio-économique et linguistique...
« Si, comme le dit l’auteur, grosso modo, nous ne sommes plus les ‘‘nègres blancs des Amériques’’, [grâce aux] luttes sociales et nationales [qui] ont arraché des acquis », il n’en reste pas moins que la présente dynamique socio-économique et linguistique québécoise témoigne d’un retour en arrière. Si on prend le PIB par ménage comme un indicateur synthétique socio-économique, celui-ci, après avoir été au milieu du peloton des provinces canadiennes encore en 2007, est dorénavant relégué à la queue [2]. Et ce malgré un recul marqué de la population québécoise par rapport à celle canadienne [3] dû à un solde migratoire inter-provincial constamment négatif (2.2), à une part relativement moindre pour l’immigration internationale (2.1) et, pour les trois dernières années disposant de statistiques, à un taux naissance plus bas que pour le reste du Canada (1.6).
Quant à la force relative du français au Québec, l’analyste Charles Castonguay a démontré que les manipulations de Statistique Canada en masquent l’affaiblissement [4] suite au charcutage de la loi 101 par la Cour suprême et à l’hégémonie néolibérale de l’anglais. Si on peut conclure à un relatif jovialiste état des lieux en comparant deux clichés historiques, la prise en compte des récentes tendances coupe court à toute célébration.
… et une impasse politique y compris à gauche
La débâcle néolibérale, dont le PQ a été le porteur au sein du camp souverainiste, avait presque emporté les acquis de la soudure entre libération nationale et émancipation sociale découlant du soulèvement quasi permanent de l’étape prolétarienne de la « révolution tranquille » dont la grève générale pré-révolutionnaire de 1972 fut le point d’orgue [5]. Il a fallu la transformation du petit NPD-Québec fédéraliste en Parti de la démocratie socialiste (PDS) indépendantiste au début des années 1990 pour amorcer le chantier de la reconstruction de cette soudure. Sa solidité se concentrait en la revendication-clef du moratoire sur le remboursement de la dette publique au cœur du débat socio-économique de l’époque finalement gagné par le PQ au Sommet économique et social de 1996 [6], le Canossa du mouvement syndical et populaire. Cette défaite stratégique, un an après la défaite référendaire crève-cœur de 1995, creuse la tombe de la lutte indépendantiste jusqu’à ce jour.
Pendant que le PQ remplaçait l’indépendantisme par la « bonne gouvernance » du Québec fédéral, les partis successeurs du PDS le réduisirent au moyen dispensable d’un projet de société que Québec solidaire dilue de plus en plus dans le social-libéralisme électoraliste de plus en plus éloigné de son programme et même de sa plate-forme [7]. Pour que ça soit clair, le nouveau porte-parole et député de Gouin renie la radicalité du porte-parole homme qu’il était lors du Printemps érable de 2012 [8]. En diapason, dans un contexte de recul de la riposte, non sans spasmes altermondialiste en 2000-2001 puis étudiant entraînant les autres en 2012, l’ardeur indépendantiste de la nouvelle génération tiédit [9] au prorata de leur altermondialisme progressiste ou même de leur cosmopolitisme néolibéral. Elle se refroidit d’autant plus que du nationalisme de l’opprimée émane une odeur de roussi identitaire, larvé au PQ, évidente à la CAQ, honteuse au PLQ et pas toujours absente chez les Solidaires dont la position sur le voile reste alambiquée [10]. La jeunesse progressiste, comme Diogène cherchant l’homme, est à l’affût d’un concret indépendantisme internationaliste capable de damer le pion autant à celui identitaire qu’au fédéralisme.
La jeunesse décroche d’un indépendantisme se ratatinant sur l’identitaire
Il ne faut pas alors se surprendre que les deux plus jeunes panélistes du quatuor aient rejeté la stratégie indépendantiste. L’une, niant le noyau dur de l’histoire de l’État canadien [11], suggère l’inexistence de la nation québécoise la reléguant à une notion imaginaire à la Benedict Anderson [12] laquelle ne peut engendrer que le nationalisme ethnique. L’autre, dans un esprit typiquement post-moderne confondant nations et provinces, clame le cul-de-sac capitaliste de toute stratégie indépendantiste qui serait diviseuse d’un prolétariat multi-ethnique, honnie par la jeunesse rendue ailleurs et ne pouvant changer la réalité étant donné des frontières devenues très poreuses.
Ce rejet de l’indépendantisme par la jeunesse québécoise devient une impasse que si elle n’est pas surmontée signalerait la fin d’une époque née dans le tumulte des années soixante sans qu’aucune autre alternative stratégique ne s’annonce à l’horizon. Ce qui plongerait le peuple québécois dans la noirceur pétrolière canadienne aux dépens des prolétariats non seulement québécois mais aussi canadien pour qui souvent les luttes sociales québécoises, comme le récent Printemps érable, sont exemplaires justement à cause de la symbiose entre libération nationale et émancipation sociale.
Les vieux refrains, tout en restant nécessaires, ne suffisent plus
On ne peut se contenter de rétorquer à la jeunesse progressiste les vieux refrains de la gauche indépendantiste comme l’ont fait les deux autres panélistes, en particulier le responsable Solidaire des communications et co-dirigeant du site web Presse-toi-à-gauche. Il faut certes rappeler que l’État canadien s’est formé comme creuset inachevé d’une nouvelle nation anglophone aux dépens de peuples conquis — aborigènes, acadien et québécois [13] — jusqu’au tournant du vingtième siècle. Qu’elle tente toujours de les assimiler territorialement comme linguistiquement par d’autres moyens n’excluant pas la répression par l’armée comme en octobre 1970 au Québec et à Oka-Kanehsatake en 1990. On doit aussi étudier les acquis et erreurs des grandes luttes nationales de la rébellion de 1837-38 jusqu’à la méconnue mobilisation de classe expliquant la remontée du ‘oui’ jusqu’à la presque victoire en 1995.
Est bien sûr à rappeler que la lutte contre l’oppression nationale est une composante de l’unité prolétarienne démocratiquement construite laquelle implique la lutte conséquente, sans réserve et sans tarder, contre toutes les oppressions. Que, à contrario, le nationalisme même indépendantiste tend à soumettre le prolétariat à l’hégémonie (petite-)bourgeoisie dont le nationalisme au Québec est mou et donc porté sur l’autonomisme à la Duplessis. Ce à quoi répond, par effet de miroir, un chauvin bloc interclasse de la nation dominante ce qui est la source du Quebec bashing et surtout de la non-reconnaissance de la nation québécoise par la Constitution canadienne de 1982 qu’aucun gouvernement du Québec n’a entérinée depuis lors. On aura beau démontrer à coups de citations de Lénine qu’unité prolétarienne et qu’auto-détermination se renforcent réciproquement et que l’option de l’indépendance dépend de l’intérêt fondamental du prolétariat, il n’en reste pas moins qu’il faut démontrer la pertinence d’un indépendantisme internationaliste, de préciser son projet de société, sa stratégie.
Un faux débat faussement résolu par un retour annoncé à l’alliance nationaliste
Québec solidaire répond par la Constituante qui ne pourrait faire autrement qu’être de facto indépendantiste si elle s’enracinait dans la lutte sociale dont l’ampleur devrait atteindre et dépasser le niveau pré révolutionnaire de 1972. Comment alors expliquer le débat entre Constituante « ouverte » ou « fermée », c’est-à-dire restreinte à la seule option indépendantiste, qui a déchiré la militance Solidaire jusqu’à ce que l’option fermée, à l’encontre de la décision du congrès de révision du programme de 2016, soit incluse dans l’accord global de fusion avec Option nationale sans être spécifiquement rediscutée ? Ce faux débat démontre à quel point la stratégie Solidaire est hors sol, confinée aux seules institutions [14], et devant être l’aboutissement d’un triple processus électoral (gouvernement Solidaire, Assemblée constituante, référendum) sans lien autre qu’accidentel ou manipulatoire avec les luttes sociales. Il a fallu finalement contourner la difficulté en ayant recours à l’accord de fusion avec Option nationale pour mettre fin à la discussion sans qu’elle ne soit réglée quant au fond.
Cet accord de fusion tant célébré est toutefois électoraliste malgré le score électoral marginal de cet ex petit parti de purzédurs indépendantistes. Il vise à redorer le blason de l’indépendantisme de Québec solidaire, mise en doute de par sa subordination de la question nationale à la question sociale, auprès de l’électorat péquiste sans qu’il ne soit nécessaire d’ouvrir le débat du projet de société et de la stratégie. Au contraire, une autre clause de l’accord de fusion pave la voie à la conception droitière d’un Québec indépendant extractiviste insérée dans le marché global [15], cul-de-sac plus que démontré par l’échec parfois dramatique du néo-développementalisme andin.
L’accord de fusion est jugé tellement électoralement efficace qu’il dispense désormais la direction du parti de critiquer le PQ, ce qui permet de ne pas mettre en évidence le caractère PQ+ de la politique réellement existante de sa campagne pré-électorale [16]. En agissant de la sorte, malgré trois votes de congrès en sens contraire, cette direction prépare le terrain à une nouvelle tentative d’alliance souverainiste, probablement après les prochaines élections du premier octobre prochain mais peut-être avant, sur la base d’un meilleur rapport de forces espéré [17]. Une nouvelle tentative du OUI-Québec pourrait en être le cadre [18] d’autant plus qu’une clause de l’accord de fusion affirme que « le parti unifié poursuivra sa participation aux OUI-Québec lors de la reprise des travaux ».
Un concret indépendantisme internationaliste accueilli comme un chien dans un jeu de quille
Québec solidaire est très loin de l’articulation d’un projet de société à la hauteur d’un indépendantisme internationaliste et d’une stratégie concomitante. Et sa direction n’en veut pas même s’il en existe une sonnante et trébuchante dont l’orientation générale a été votée en bonne et due forme lors du congrès de révision du programme du printemps 2016 :
Préconiser, d’ici 2050, une économie décarbonisée, c’est-à-dire de réduire de 95 % les émissions de gaz à effet de serre (GES) en dessous du niveau de 1990, notamment en appliquant un plan de transition énergétique visant l’élimination des hydrocarbures dans la production et la consommation d’énergie et une réduction substantielle de l’utilisation de produits à base de dérivés du pétrole d’ici le milieu du siècle. Afin de rattraper le retard accumulé par rapport à nos engagements internationaux et afin de contenir la hausse moyenne de la température mondiale à 1,5 degrés Celsius, il faut accélérer la transition énergétique pour la période entre 2018 et 2030 de façon à atteindre 67% de réduction en dessous du niveau de 1990. […] S’opposer aux Bourses du carbone qui sont des outils d’enrichissement des multinationales, et qui risquent de devenir un nouvel instrument spéculatif. Rejeter les fausses solutions techniques qui n’engagent pas de réelles réductions d’émissions des gaz à effet de serre (les agrocarburants, la géo-ingénierie, le stockage du carbone, etc.). S’opposer aux taxes sur le carbone qui frappent surtout les plus pauvres. (Je souligne)
La direction du parti rejette les résultats de ce congrès en commençant par la Constituante « ouverte » que le congrès suivant de 2017 a renversé par le subterfuge du vote de fusion avec Option nationale. Ensuite, elle est mal à l’aise avec l’horizon de « la socialisation des activités économiques » et non pas seulement de « certaines » d’entre elles comme l’a laissé voir le nouveau candidat-vedette Solidaire de Rosemont au sujet de la nationalisation des minières telle que stipulée dans la plateforme [19]. Et surtout elle récuse la cible anti-GES pour 2030 et le rejet du marché ou taxe carbone considérés « irréalistes » d’où leur suppression de la plateforme 2018 de sorte que la politique des cibles Solidaire se situe à droite de celle des Libéraux.
Pourtant cette orientation radicale conforme aux cibles de température de l’Accord de Paris est faisable techniquement, financièrement et politiquement [20] en autant qu’on l’adosse à un plan d’action à l’avenant, de plein emploi écologique, reposant sur une mise au pas de l’économie de marché, ce que le patronat canadien n’a pas hésité à faire en 1939 pour des fins guerrières. On comprend alors qu’une clause de l’accord de fusion avec Option nationale stipule que le prochain congrès post-électoral, aussi tôt qu’en décembre 2018, portera sur « la révision de l’ensemble du programme notamment (mais non exclusivement) dans une optique d’arrimage avec le programme d’ON. »
Un réseau dit écosocialiste, chien de garde de la direction du parti, ignore l’enjeu écologique
C’est cette orientation plein emploi écologique qui n’a pas trouvé preneur à ce débat organisé par le Réseau écosocialiste. Le paradoxe est de taille : des panélistes dit écosocialistes n’arriment pas la thématique écologie à la thématique indépendance. Est-ce si malin de réaliser que le plein emploi écologique nécessite l’indépendance pour sortir du carcan du Canada pétrolier, pour détenir les pouvoirs constitutionnels afin de le mettre en œuvre et surtout pour se débarrasser de l’humiliant et paralysant fardeau du Quebec bashing : les pouvoirs pour contrôler la Finance et les changes grâce à une monnaie nationale, ceux pour que le Québec ne devienne pas une passoire pétrolière et gazière et pour qu’il se sorte d’accords de libre-échange masquant la dictature des transnationales acquis au bon marché des hydrocarbures.
Ce point aveugle témoigne qu’il y a un éléphant dans la pièce : occuper la position aile gauche Solidaire afin de protéger la direction du parti pour qu’elle découple sans être contestée la substantifique et radicale moelle écologique du programme de sa politique réellement existante d’adaptation au capitalisme vert [21]. L’opération diversion du Réseau dit écosocialiste se poursuivra d’ailleurs jusqu’au déclenchement officiel de la campagne électorale par l’organisation d’activités et de débats ignorant l’enjeu écologique [22]. En attendant, un comité d’experts cher payé est à concocter un plan « réaliste » de sortie du pétrole sous la supervision d’un comité restreint hors statuts a tenu la militance dans le noir y compris le comité thématique sur l’environnement et l’énergie et le nouveau réseau militant écologiste. The tail wags the dog, c’est la démocratie à l’envers.
Marc Bonhomme, 13 avril 2018,
www.marcbonhomme.com ; bonmarc videotron.ca