Le président américain, Donald Trump, a annulé jeudi sa rencontre prévue le 12 juin à Singapour avec le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un, bien que la Corée du Nord ait tenu sa promesse de mettre hors service son site d’essais nucléaires.
Dans un spectaculaire retournement, Donald Trump a annulé, jeudi 24 mai, le sommet historique prévu dans moins de trois semaines à Singapour avec le leader nord-coréen, Kim Jong-un, dénonçant « la colère » et « l’hostilité » du régime de Pyongyang, bien que la Corée du Nord ait tenu sa promesse de mettre hors service son site d’essais nucléaires.
La Corée du Nord a qualifié cette décision d’« extrêmement regrettable », tout en assurant être toujours ouverte au dialogue.
Dans un communiqué publié par l’agence officielle KCNA, le vice-ministre nord-coréen des affaires étrangères, Kim Kye-gwan, explique que la République populaire démocratique de Corée (RPDC, nom officiel de la Corée du Nord) reste ouverte à l’idée de régler ses différends avec les Etats-Unis « à tout moment et de quelque façon que ce soit » :
« Nous tenions en haute estime les initiatives du président Trump, sans précédent chez aucun autre président, pour parvenir à un sommet historique entre la Corée du Nord et les USA. Nous disons une fois de plus aux Etats-Unis que nous sommes ouverts à un règlement de nos problèmes à tout moment et de quelque façon que ce soit. »
« L’annonce abrupte de l’annulation de la rencontre est inattendue pour nous et nous ne pouvons que la qualifier d’extrêmement regrettable », ajoute-t-il.
Menaces sur la lutte contre les armes nucléaires
« Je suis profondément préoccupé par l’annulation du sommet, a déclaré le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies, Antonio Guterres, lors de la présentation de son agenda pour le désarmement à Genève. Et j’exhorte les parties à poursuivre leur dialogue pour trouver une voie vers une dénucléarisation pacifique et vérifiable de la péninsule coréenne. »
M. Guterres a précisé que « l’élimination totale » des armes nucléaires devait être une « priorité », déplorant que les engagements pris après la guerre froide soient « maintenant plus que jamais menacés ». « Quelque 15 000 armes nucléaires sont encore stockées dans le monde. Des centaines sont prêtes à être lancées en quelques minutes », a-t-il ajouté, soulignant que « nous sommes à une erreur – mécanique, électronique ou humaine – près d’une catastrophe qui pourrait rayer des villes entières de la carte ».
Lors d’une conférence de presse commune à l’occasion de la visite d’Emmanuel Macron en Russie, le président français et son homologue russe ont regretté l’abandon du sommet. M. Poutine a émis le souhait que « le dialogue puisse redémarrer » face à un « problème régional et même planétaire, à savoir la dénucléarisation de la péninsule coréenne ». M. Macron a demandé pour sa part que les efforts engagés en vue de la dénucléarisation de la Corée du Nord se poursuivent et jugé que l’ONU avait un rôle à jouer.
Dans un communiqué, Beatrice Fihn, la directrice de la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (International Campaign to Abolish Nuclear Weapons, ICAN) qui a obtenu le prix Nobel de la paix 2017, a déclaré :
« Le monde ne peut pas aveuglément faire confiance à Donald Trump pour assurer la paix mondiale. C’est la raison pour laquelle nous devons aller de l’avant avec le traité sur l’interdiction des armes nucléaires. La Corée du Nord et la Corée du Sud pourraient encore adhérer au traité et dénucléariser la péninsule coréenne pour de bon. »
Séoul dans l’ignorance
Le président sud-coréen, Moon Jae-in, a convoqué une réunion d’urgence, avec notamment son chef des services secrets et son ministre de la réunification, a annoncé l’agence de presse Yonhap. La Corée du Sud « cherche à comprendre quelles sont les intentions du président Trump et leur signification », a déclaré le porte-parole de la présidence, Kim Eui-kyeom.
A Washington, le secrétaire d’Etat Mike Pompeo a dit, devant le comité des affaires étrangères du Sénat des Etats-Unis, avoir été impliqué dans les discussions de mercredi soir et jeudi matin qui ont mené à l’annulation de ce sommet. Mais il n’a pas précisé si des pays, y compris la Corée du Sud, avaient été prévenus du revirement américain. De son côté, Paul Ryan, président républicain de la Chambre des représentants, a estimé que la résolution pacifique du face-à-face nucléaire dans la péninsule coréenne requiert « plus de sérieux » de la part de Kim Jong-un. Dans un communiqué, M. Ryan a ajouté que le régime nord-coréen a donné à plusieurs reprises des raisons de s’interroger sur son engagement pour la stabilité.
AFP, AP et Reuters
* Le Monde.fr | 24.05.2018 à 18h33 • Mis à jour le 25.05.2018 à 01h45 :
https://www.lemonde.fr/international/article/2018/05/24/apres-l-annulation-du-sommet-trump-kim-appels-a-la-reprise-du-dialogue_5304119_3210.html
La méthode Trump en échec sur la Corée du Nord
Le président américain a déclaré que le sommet de Singapour ne se tiendrait pas en raison de l’« hostilité » des déclarations de Kim Jong-un. De son côté, Pyongyang dit rester « ouvert au dialogue ».
Le président des Etats-Unis a sans doute évité le pire en annulant brusquement, jeudi 24 mai au matin, le sommet historique prévu à Singapour le 12 juin avec le dirigeant de la Corée du Nord, Kim Jong-un. Une semaine plus tôt, comme l’a confirmé un haut responsable de l’administration, les Nord-Coréens avaient, sans en informer Washington, boudé une réunion préparatoire dans cette cité-Etat asiatique. Les canaux de communication s’étaient progressivement grippés et les échanges publics étaient devenus acrimonieux.
Dans la lettre adressée à Kim Jong-un pour lui faire part de sa décision, lettre « dont il a dicté tous les mots », selon ce haut responsable, Donald Trump a mis en cause « l’hostilité affichée » de la Corée du Nord, matérialisée par de récentes déclarations conformes à la rhétorique souvent incendiaire du régime. Le président des Etats-Unis lui a donc imputé la responsabilité de l’annulation, jugée « regrettable » par Pyongyang.
Donald Trump a tenté d’entretenir l’espoir. « Si vous changez d’avis en ce qui concerne ce très important sommet, n’hésitez pas, s’il vous plaît, à m’appeler ou à m’écrire », a-t-il assuré. Mais le président américain s’est montré également menaçant. « Vous évoquez votre arsenal nucléaire [une référence à une déclaration officielle survenue la veille], mais le nôtre est si massif et puissant que je prie Dieu que nous n’ayons jamais à en faire usage », a-t-il écrit.
Un malentendu ?
Selon le haut responsable de l’administration, l’annulation a sanctionné une série de « promesses non tenues » de la part de la Corée du Nord, citant notamment le rendez-vous raté de Singapour et des critiques contre des manœuvres militaires conjointes de la Corée du Sud et des Etats-Unis. Il a ajouté que les menaces « d’épreuve de force entre puissances nucléaires » agitées un peu plus tôt par Choe Son-hui, une vice-ministre des affaires étrangères, avaient également pesé.
Le responsable américain a ajouté à sa liste la destruction, annoncée le jour même, sous les yeux de journalistes étrangers, du site d’essais nucléaires de Punggye-ri, en l’absence des « experts » que le régime s’était engagé à inviter pour la circonstance. « Sincèrement, nous ne savons pas » si le site est redevenu inutilisable, a-t-il ajouté.
Mettre l’accent sur les responsabilités prêtées à la partie nord-coréenne a permis à l’administration américaine de s’exonérer à bon compte des siennes dans l’échec, à commencer par l’empressement avec lequel Donald Trump avait accepté cette proposition de rencontre, le 8 mars. Elle avait été transmise par le conseiller sud-coréen à la sécurité nationale, Chung Eui-yong, au cours d’un déplacement à Washington. Le président des Etats-Unis, se fiant à son instinct, avait manifestement pris de court ses propres conseillers, placés devant le fait accompli alors qu’un tel rendez-vous suppose ordinairement des mois de tractations préalables.
Ce projet de rencontre historique, censée ouvrir la voie à un éventuel renoncement de la Corée du Nord à des armes nucléaires, a-t-il reposé sur un malentendu ? L’annulation de jeudi le donne à penser, même si, dans l’intervalle, Mike Pompeo, tout d’abord en tant que directeur de la CIA puis comme secrétaire d’Etat, s’était rendu à deux reprises à Pyongyang pour rencontrer Kim Jong-un.
Le repoussoir du « modèle libyen »
En dépit de gestes nord-coréens, dont la libération de trois ressortissants américains, et d’un changement de ton notable de Donald Trump à propos d’un dirigeant avec lequel il échangeait les insultes quelques mois plus tôt, aucun élément n’a jamais été rendu public à propos du cadre d’un éventuel accord et de sa finalité.
Ecartant toute approche graduelle et toute forme de réciprocité, Washington a exigé, comme préalable à la moindre levée des sanctions internationales qui pèsent sur Pyongyang à son instigation, une dénucléarisation « complète, vérifiable et irréversible », même si Donald Trump a semblé envisager mardi des étapes, à condition qu’elles soient rapprochées.
Pour les dirigeants nord-coréens, cette dénucléarisation a toujours également concerné la Corée du Sud, au travers du bouclier américain, et ils ont présenté la position américaine comme un diktat. Ils ont été enfin particulièrement exaspérés par les propos du conseiller à la sécurité nationale américain, John Bolton, bête noire de longue date de Pyongyang, qui avait qualifié fin avril de « modèle » le renoncement unilatéral à un projet nucléaire militaire par la Libye en 2003.
Si John Bolton visait les procédures de vérification imposées à propos d’un programme qui n’était par ailleurs qu’embryonnaire, le régime nord-coréen, dans un communiqué cinglant qui avait marqué le 14 mai un changement de ton de Pyongyang, a surtout retenu le chaos engendré par l’intervention américaine, huit ans plus tard. Elle s’était soldée par la mort du dictateur libyen, Mouammar Kadhafi.
Donald Trump a tenté de prendre ses distances avec la formule du « modèle libyen », manifestement pour que le sommet puisse se tenir. Mais son vice-président, Mike Pence, l’a utilisée à son tour lundi en assurant que, pour la Corée du Nord, « cela ne pourra finir que comme le modèle libyen si Kim Jong-un ne conclut pas un accord », précipitant la réaction virulente de la vice-ministre nord-coréenne.
Revers et déconvenues
L’annulation du sommet ne sera-t-elle qu’un report, comme l’a souhaité Donald Trump ? La confiance minimale nécessaire n’est pour l’instant pas au rendez-vous. Et cette embardée diplomatique risque de causer également des dégâts collatéraux. Tout d’abord avec la Corée du Sud : le président Moon Jae-in avait affiché son optimisme mardi à la Maison Blanche, à l’occasion d’une visite à Washington. Il a découvert la décision de son homologue une fois rentré à Séoul.
Ensuite avec la Chine, mise en cause par Donald Trump, mardi et jeudi, pour expliquer le raidissement nord-coréen, notamment, selon lui, à la suite d’une rencontre entre Kim Jong-un et Xi Jinping, les 7 et 8 mai, la seconde depuis le début de l’année. Mardi, le président chinois a été qualifié par son homologue américain de « joueur de poker de classe mondiale », une formule qui ne se voulait pas un compliment.
Ce revers à propos d’un dossier complexe, dont personne ne peut dire pour l’instant s’il ne sera que provisoire, a évoqué une autre déconvenue de Donald Trump, cette fois-ci intérieure, à propos d’une délicate réforme du système de santé. Après son échec, le président avait fait mine d’en découvrir les subtilités tout en se défaussant. « Personne ne savait que le système de santé était aussi compliqué », avait-il clamé contre toute évidence.
Gilles Paris (Washington, correspondant)
* LE MONDE | 24.05.2018 à 20h37 • Mis à jour le 25.05.2018 à 08h42 :
https://www.lemonde.fr/international/article/2018/05/24/la-methode-trump-en-echec-sur-la-coree-du-nord_5304140_3210.html