La tenue au Brésil de la Coupe du monde de football de la FIFA en 2014 et des Jeux olympiques d’été de Rio de Janeiro en 2016 a forcé les syndicats du pays à trouver de nouvelles méthodes d’organisation et de coopération.
Au cours des dix dernières années, le Brésil a vécu dans la perspective de l’organisation de deux évènements sportifs majeurs : la Coupe du monde de football de la FIFA en 2014 et les Jeux olympiques d’été de Rio de Janeiro en 2016.
De l’attribution par les comités organisateurs à la tenue des compétitions, une importante partie de l’économie nationale a été concernée par les investissements, par l’emploi généré, mais aussi par les exigences normatives et les délais de la FIFA et du Comité International Olympique (CIO).
La construction est le secteur qui a le plus bénéficié de cette impulsion économique externe. Des milliers d’ouvriers ont participé, plusieurs années durant, à la construction de stades, mais aussi de ports, d’aéroports et autres infrastructures de transports, telles que des routes ou des lignes de métro, de trams ou de bus.
La préparation à des évènements sportifs majeurs est un moment exceptionnel pour le pouvoir structurel des syndicats. Gouvernements, comités d’organisation et sociétés de construction ont besoin de la coopération entière des travailleurs afin d’assurer l’aboutissement dans les délais de tels projets internationaux prestigieux. Avec autant d’enjeux, toute forme d’action industrielle a le potentiel, non seulement de causer des retards, mais aussi de porter un coup à la réputation du pays. Résultat, les évènements sportifs majeurs offrent aux syndicats un terreau fertile pour des campagnes réussies qui peuvent entraîner des améliorations sur le long terme pour les travailleurs, tels que de meilleurs salaires et de meilleures conditions de sécurité.
Dans cette perspective, les syndicats de travailleurs se sont retrouvés face à des défis inédits et ont dû trouver des nouvelles formes d’organisations et de coopération, tout en bénéficiant de l’appui et de l’expérience d’autres syndicats à travers le monde.
Dans son étude sur les stratégies des syndicats de la construction dans le cadre de la « Campagne pour un travail décent pour la Coupe du monde 2014 au Brésil », lancée par l’Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois (IBB), le sociologue Maurício
Rombaldi, professeur de l’Université fédérale du Paraíba (UFPB), évoque l’impact généré par ces événements sur les conditions de travail dans le secteur.
Ce type de campagne, bien qu’inédite au Brésil, avait déjà été organisée précédemment à Londres pour les Jeux Olympiques de 2012 et en Afrique du Sud pour l’organisation de la Coupe du monde de la FIFA en 2010. Les syndicats locaux ont donc reçu l’appui de diverses organisations internationales, telles que la Confédération syndicale internationale (CSI), qui a, elle, par ailleurs, lancé une campagne intitulée Play Fair. Celle-ci visait à protéger d’autres travailleurs : la main d’œuvre utilisée dans la confection d’articles de sport et d’accessoires liés à l’évènement, au Brésil et dans le monde.
L’objectif de ce type de campagnes est de garantir le respect de l’Agenda du travail décent sur la base des principes de l’Organisation internationale du travail (OIT), notamment en favorisant les échanges et l’élaboration de stratégies innovantes entre les syndicats des différentes villes du pays, et une meilleure intégration internationale.
Un des défis auquel doivent faire face les responsables syndicaux est celui de traiter avec des interlocuteurs peu habituels pour eux que sont les comités organisateurs de la FIFA et du CIO.
Les ouvriers qui ont travaillé sur les chantiers de la Coupe du Monde et des JO répondaient certes le plus souvent à des commandes publiques, mises en œuvre par des entreprises traditionnelles du secteur de la construction telles qu’Odebrecht, OAS, Camargo Corrêa ou bien Andrade Gutierrez. Cependant les normes et les délais étaient fixés par la FIFA et le CIO.
Comme le souligne Maurício Rombaldi, bien qu’étant officiellement des organisations à but non lucratif, les intérêts financiers, notamment ceux des sponsors et partenaires, ont pu peser sur les conditions d’élaboration des travaux. La question des délais, extrêmement stricts dans ce cas de figure, a joué comme facteur de pression supplémentaire sur les travailleurs. Cependant, la nécessité de livrer les travaux dans les temps, a aussi pu être un levier à actionner pour les syndicats et a pu obliger les parties à négocier plus rapidement.
Le premier constat de l’étude montre que les syndicats brésiliens au début de la période étaient assez peu connectés entre eux et donc n’avaient pas l’habitude de mener des négociations conjointes. Le grand intérêt de la mise en place de la « Campagne pour le travail décent » a donc été de faire converger des organisations syndicales éparses, aussi bien du point de vue géographique que sectoriel.
Ainsi, les syndicats brésiliens, pour pouvoir participer à la campagne, ont dû accepter de s’aligner sur un agenda international orienté sur les grands évènements sportifs. « C’est ainsi qu’à travers la médiation d’une organisation étrangère, une thématique nationale inédite s’est constituée de façon consensuelle entre les syndicats brésiliens et est intervenue dans le déploiement des négociations faîtes localement », écrit Rombaldi qui évoque des avancées notamment sur les salaires, qui n’auraient sans doute pas eu le même résultat sans ces actions conjointes.
Celles-ci ont également permis de conclure plusieurs accords stratégiques ainsi que la rédaction d’un manifeste, qui a représenté le premier consensus en la matière concernant 3 les revendications du secteur de la construction au Brésil. Ce manifeste a ensuite servi de base à un Programme national unifié pour de meilleures conditions de travail et de conditions de vie des travailleurs qui fut présenté ensuite au gouvernement. Par ailleurs, ce travail de rapprochement, a généré un renforcement des liens entre les syndicats brésiliens de la construction et l’IBB. Ainsi, entre 2010 et 2012, le nombre de syndicats affiliés à l’IBB est passé de 5 à 25.
En revanche, les syndicats ont dû surmonter certaines difficultés.
Premièrement, l’auteur montre que les syndicats brésiliens ont pu parfois manquer de prévision et de maîtrise sur les revendications des travailleurs. Il donne notamment l’exemple de nombreuses « grèves sauvages » sur les chantiers que les dirigeants syndicaux n’avaient pas vu venir et auxquelles ils ont dû s’adapter une fois que les travailleurs avaient déjà lancé le mouvement sans l’accompagnement initial de leurs représentants.
Deuxièmement, le processus d’internationalisation des pratiques ne s’est pas fait de manière homogène et linéaire. Ceci étant notamment dû à la diversité des différentes centrales syndicales, tant sur le point de vue de leur filiation historique ou politique, que des secteurs concernés. « Au-delà des divisions internes constatées entre les syndicats des différentes centrales, une certaine désarticulation entre syndicats et confédérations a été observés. Avant 2011, il n’y avait pas d’expérience significative d’une négociation nationale qui visait des thèmes tels qu’un accord salarial unifié entre les états brésiliens, une demande pourtant récurrente », affirme Rombaldi.
En ce qui concerne les Jeux Olympiques de 2016, la campagne syndicale pour le travail décent s’est déroulée dans la continuité de celle de la Coupe du monde. Cependant les axes de travail ont été différents. Par exemple, plus que la question salariale, c’est l’élaboration d’un protocole de sécurité sur les chantiers qui a fait l’objet d’un travail en commun entre syndicats. Mauricio Rombaldi observe cependant que les différences politiques entre eux n’ont pas disparu au fur et à mesure des années et que certaines articulations syndicales n’ont pas toujours perduré dans le temps.
En conclusion de son étude sur l’expérience syndicale face à l’organisation de grands événements sportifs, l’auteur souligne que « les particularités du syndicalisme national influencent de façon significative les stratégies à adopter, autant que les résultats à espérer d’une stratégie syndicale internationale ».
Au regard de cette expérience, les organisations syndicales internationales se retrouvent devant un défi de taille que seront les futures coupes du monde de football en Russie et au Qatar. Ainsi l’IBB et la Confédération syndicale internationale ont déjà lancé une campagne intitulée « Pas de Coupe du Monde en 2022 sans droits des travailleurs migrants. »
Ceux-ci ont déjà rencontré les dirigeants de la FIFA, qui ont reconnu « une part de responsabilité ».
Are major sports events opportunities for innovative trade union action ? The example of Brazil by Mathilde DorcadieAutomatic word wrap
https://www.fes.de/index.php?eID=dumpFile&t=f&f=31084&token=dd6f301f2284bba3c6bf7e5f79713256b956cba9
Mega Sporting Events in Brazil : Trade Unions’ Innovative Strategies for the Construction Industry,by Mauricio RombaldiAutomatic word wrap
http://library.fes.de/pdf-files/iez/14146.pdf
Campanhas por trabalho decente em megaeventos esportivos no Brasil : estratégias sindicais inovadoras no setor da construção, seus êxitos e permanências
https://www.fes.de/index.php?eID=dumpFile&t=f&f=31074&token=14973ca524b7730b2d50f2ffb47e62563ba8a74b
Mathilde Dorcadie
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