La commission pastorale de la terre, née en 1975, s’est toujours mobilisée aux côtés des paysans brésiliens, contre l’organisation foncière en place et la politique de répression des autorités. Le MST, s’il a été influencé et aidé par la CPT lors de sa constitution en mouvement autonome, s’est toutefois ouvert à tous les horizons, religieux ou non.. Aujourd’hui, si l’engagement au sein du MST n’est plus de nature religieuse, les convictions de ses militants dans la lutte pour une société « plus juste et plus fraternelle » n’en sont pas moins forte.
Le MST est aujourd’hui un des plus importants mouvements sociaux du Brésil et de toute l’Amérique latine. Parfaitement séculaire et non-confessionnel, le MST ne plonge pas moins ses racines dans la culture socio-religieuse de ce qu’on pourrait appeller le « christianisme de la libération » [1] . On ne peut comprendre son origine sans évoquer le rôle de l’Eglise brésilienne et en particulier de la Commission pastorale de la terre.
De toutes les structures liées à l’Eglise, peu ont incarné « l’option prioritaire pour les pauvres » de façon aussi radicale et conséquente que la Commission pastorale de la terre. Vaste réseau composé aussi bien de membres du clergé - surtout des religieux, mais aussi des prêtres et même quelques évêques - que de laïcs de divers types - théologiens, experts, biblistes, sociologues et surtout agents de pastorale, souvent issus du milieu rural - la CPT, fondée en 1975, a été une formidable école de dirigeants paysans. Beaucoup d’agents de la pastorale, mais aussi des membres du clergé - le père Josimo Tavares, animateur de la CPT dans la région dite du Bec du Perroquet (Etat du Pará) n’est que l’exemple le plus connu - ont payé de leur vie l’engagement actif et intransigeant de la CPT aux côtés des travailleurs ruraux en lutte pour leurs droits.
Une des caractéristiques centrales de la culture socio-religieuse de la CPT - que l’on retrouve intégralement dans le MST -, c’est la critique des conséquences sociales dramatiques de l’introduction du capitalisme dans les campagnes - chômage, expulsion des paysans, paupérisation, exode rural -, la dénonciation de la politique de « modernisation » autoritaire des militaires et de leurs projets « pharaoniques », la protestation contre l’orientation néo libérales des gouvernements civils qui ont remplacé, à partir de 1985, le régime militaire.
Partant du postulat fondamental du christianisme de la libération - les pauvres sont le sujet de leur propre histoire -, la CPT s’est donné comme objectif de favoriser l’auto-organisation des travailleurs ruraux. Respectant l’autonomie et la sécularisation des mouvements sociaux, elle refuse la conception cléricale traditionelle du syndicat - ou parti - « chrétien ». Il s’agit simplement d’aider, encourager, soutenir, protéger - contre la répression policière ou celle des hommes de main des latifondistes - les efforts des travailleurs agricoles pour s’organiser.
Le MST s’est constitué au cours des années 1979-85, d’abord dans certains Etats du Sud du Brésil, et par la suite dans l’ensemble du pays. Dès le début, le mouvement a introduit des nouvelles méthodes de lutte : les occupations « illégales » de terres en friche et l’établissement de campements démocratiquement auto-gérés. Souvent les sans terre étaient brutalement expulsés par la police militaire, mais, dans certains cas, la forte visibilité de ces occupations et leur soutien par l’Eglise, les syndicats et partis de gauche obligeaient le gouvernement à négocier.
La CPT a apporté une contribution décisive à ce processus d’auto-organisation, mais le MST s’est constitué en tant que mouvement indépendant - et fort jaloux de son indépendence ! - séculaire et non-confessionnel, c’est-à-dire ouvert à des catholiques et à des protestants, des croyants et des non-croyants (il faut dire que ces derniers sont rares en milieux rural et se trouvent surtout parmi les - nombreux - militants politiques urbains qui coopérent avec le MST). Malgré cette « dé-confessionalisation », ce n’est un secret pour personne que la grande majorité des militants actifs et des cadres du MST sont originaires de la CPT. Ils ont puisé dans le christianisme de la libération leur culture socio-religieuse et la motivation ethique la plus profonde de leur engagement.
Mais la « mystique » - non plus dans l’acception strictment réligieuse du mot, mais dans le sens plus large que lui donne un Charles Péguy - imprègne d’une façon plus générale la culture socio-politique séculaire du MST. Le terme est employé par les militants eux-mêmes pour désigner l’intransigeance morale, l’engagement émotionnel, le dévouement à la cause au risque de sa vie, l’espérance d’un changement social radical. La mystique du mouvement se manifeste, écrit Joâo Pedro Stédile, un des principaux dirigeants du MST, « dans les symboles de notre culture, dans nos valeurs, dans la conviction qu’il faut lutter » et surtout dans la croyance en « la possibilité d’une société plus juste et plus fraternelle ». [2] Cette mystique laique, ce millénarisme profane sont présents dans les rituels, les textes, les discours, la formation des activistes du mouvement. Ils réprésentent une sorte d’investissement de l’ « énérgie croyante » des militants dans l’utopie révolutionnaire du MST.
Cette foi obstiné dans l’avènement d’une société nouvelle « différente du capitalisme » n’empêche pas le MST de se donner des objectifs immédiats et concrets, en négociant, en position de force, avec les autorités, en organisant des coopératives agricoles rentables et productives. Cette synthèse réussie d’utopie et de réalisme a sans doute contribué à faire du Mouement des travailleurs ruraux sans terre non seulement l’expression organisée de la lutte des pauvres des campagnes pour une réforme agraire radicale, mais aussi la référence centrale pour toutes les forces de la « société civile » brésilienne - syndicats, églises, partis de gauche, associations professionelles, universitaires - qui luttent contre le néo-libéralisme.
Notes
[1] J’entends par ce terme le vaste mouvement social, incluant les pastorales populaires et les CEBs, qui a mobilisé, dépuis le début des années 60, des millions de chrétiens dans toute l’Amérique latine du côté des luttes populaires - un mouvement dont la théologie de la libération, apparue au cours des années 70, est l’expression spirituelle. Pour plus de précisions, je renvoie à mon ouvrage La Guerre des Dieux. Religion et Politique en Amérique latine, Paris, Editions du Félin, 1998.
[2] Joâo Pedro Stédile, « A luta pela reforma agraria e o MST », in A Reforma Agraria e a Luta do MST, p. 105.