Le site d’investigation The Intercept, en partenariat avec le journal italien La Repubblica, a enquêté sur les frappes de drones menées en Libye par l’armée américaine. Il a pour ce faire recoupé les données compilées par l’organisation indépendante Bureau of Investigative Journalism et les indications recueillies auprès de sources au sein de l’armée de l’air américaine, de l’AFRICOM (Commandement des États-Unis pour l’Afrique) et du ministère américain de la Défense.
Au terme de cette enquête, The Intercept met en lumière trois informations principales :
- La Libye a été l’une des principales cibles des frappes de drones américaines.
- Le pays “a servi de laboratoire pour de nouvelles tactiques et la génération suivante de drones de combat”.
- Les attaques de drones et leurs victimes civiles sont difficiles à recenser, pour trois raisons principales : les différentes sources fournissent des chiffres différents ; ces frappes surviennent dans des zones difficilement accessibles à la presse ; elles sont menées dans un climat de secret.
Le laboratoire libyen
Les frappes américaines ont commencé avec l’intervention occidentale qui a conduit au renversement et à l’assassinat de Muammar Kadhafi, en 2011. “Après la chute de Kadhafi et sa mort le 20 octobre 2011, la Libye a sombré dans le chaos et l’insécurité due aux milices, ce qui a permis à des groupes terroristes de prospérer et à l’organisation État islamique de s’emparer de Syrte, sur la côte de la Méditerranée”,rappelle The Intercept.
Après plusieurs années d’activité limitée, l’implication de l’armée a connu une accélération à l’été 2016 pour déloger Daech de Syrte, à la demande du gouvernement de Faiez Sarraj (l’une des forces qui revendiquent la légitimité sur le territoire libyen). Dans une interview au Corriere della Sera, le Premier ministre Sarraj affirmait n’avoir demandé que des frappes “chirurgicales, sur un laps de temps et un périmètre limités”.
En réalité, d’après Chris Woods de l’organisme Airwars, qui recense les frappes aériennes,
Syrte [a été visée] par [environ] 300 frappes de drones en à peine cinq mois. C’est un rythme terrible, par rapport au déploiement de drones dans d’autres conflits où les États-Unis sont impliqués.”
“Le recours aux drones à Syrte a été plus intense qu’en Irak et en Syrie sur une période comparable”, précise le journal. Qui souligne :
Syrte a servi de terrain d’essai pour de nouveaux concepts du combat en zone urbaine à l’aide de plusieurs drones qui opèrent en synchronisation avec des forces locales et des unités spéciales américaines.”
Une communication opaque
Depuis 2012, trois factions libyennes et quatre pays étrangers ont mené au moins 2 158 frappes en Libye, écrit encore The Intercept. “Des centaines de civils ont été tués par tous les belligérants dans le conflit extrêmement complexe qui a lieu en Libye, et personne n’en assume la responsabilité”, déclare Chris Woods, directeur d’Airwars, au magazine. Dans une analyse publiée le mois dernier, le ministère de la Défense prétend ainsi n’avoir trouvé “aucune information digne de foi sur des pertes civiles causées par les frappes américaines en Libye en 2017”.
Ces opérations sont en outre entourées d’un halo de secret. “Comme ce sont des appareils sans pilote qui décollent depuis des bases à l’étranger, les États-Unis n’ont aucun mal à préserver s’ils le veulent le secret qui préside à ces opérations”, commente Daphne Eviatar, directrice du programme Sécurité et droits humains d’Amnesty International USA, interrogée par The Intercept.
On constate de plus en plus que, surtout hors des zones de conflits armés reconnus comme en Syrie et en Irak, les États-Unis interviennent secrètement sans même communiquer publiquement à propos des règles ou du cadre juridique de ces opérations.”
Daphne Eviatar souligne en outre que, bien que “le gouvernement Trump ait assoupli les restrictions sur les frappes de drones hors des zones de conflit armé – dont la Libye –, il a refusé de reconnaître publiquement ce changement de politique”.
The Intercept
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