L’Association générale des Coréens du Japon (Chosen Soren), la plus importante communauté pro-Pyongyang dans un pays allié de Washington, mise sur un rapprochement entre la République populaire démocratique de Corée (RPDC) et les Etats-Unis permettant une amélioration de la situation de ses adhérents. Alors qu’en RPDC, la population est coupée des informations du reste du monde, au Japon, les membres de Chosen Soren, au nombre de 70 000, sont informés comme tout résident de l’Archipel.
« Ce qu’il faut retenir de ce sommet, c’est la ferme intention des deux dirigeants d’instaurer un régime de paix dans la péninsule, estime Choe Kwan-il, rédacteur en chef de Choson Sinbo, journal de l’organisation. Et tous les Coréens, où qu’ils vivent, ont une même aspiration : ne plus être victimes des ambitions hégémoniques dont nous avons souffert depuis des générations. »
Choisir son camp
Cet hégémonisme des puissants se traduit au Japon par un ostracisme à l’égard des Coréens, quelle que soit leur appartenance. Formant la plus forte minorité ethnique dans l’Archipel (650 000 personnes), ils sont divisés en deux groupes : pro-Sud – Mindan (Union des Coréens du Japon) – et pro-Nord – Chosen Soren. Après la défaite du Japon, en 1945, ils étaient plus de deux millions, arrivés dans le cadre du recrutement forcé de la main-d’œuvre ou de la conscription au cours de la colonisation japonaise de la péninsule (1910-1945). Corvéables à merci, beaucoup émigrèrent alors en Corée du Sud. Ceux qui restèrent dans l’Archipel durent choisir leur camp.
La plupart provenaient de la partie sud de la péninsule, lorsque la Corée était une seule et même nation, et le choix fut d’abord politique : ceux qui choisirent le Nord le firent par conviction idéologique, mais aussi, pour beaucoup, par rejet de la dictature mise en place dans le Sud par les Américains.
Entre 1959 et 1984, près de 100 000 d’entre eux partirent pour la RPDC. Beaucoup furent amèrement déçus. « Contaminés par le capitalisme », nombre d’entre eux finirent dans des camps de travail. D’autres se firent une place : ainsi, la mère du dirigeant Kim Jong-un, Ko Young-hui (1953-2004), prima donna de la troupe artistique Mansudae, serait née dans le quartier coréen de Tsuruhashi à Osaka. Elle aurait gagné la RPDC avec sa famille en 1961.
Au fil des années, des Coréens du Japon ont préféré disparaître en tant que minorité en adoptant la nationalité et un nom japonais. Pour les membres de Chosen Soren, la vie est difficile : ils ont un visa de séjour permanent (assorti de contraintes pour entrer et sortir de l’Archipel), mais ils sont sans nationalité reconnue, puisqu’il n’y a pas de relations diplomatiques entre la RPDC et le Japon.
L’espoir suscité chez eux par le sommet entre Donald Trump et Kim Jong-un est double. « Mettre fin à la guerre de Corée par un traité de paix est une chose, mais il faut aussi que cesse le climat d’hostilité dont nous, Coréens du Japon, sommes victimes », dit ce restaurateur du quartier populaire d’Ueno, à Tokyo. Son appartenance à Chosen Soren est connue du voisinage, mais il préfère ne pas l’afficher vis-à-vis de sa clientèle. Son fils, 26 ans, revendique, lui, « le droit à la fierté d’être Coréen ».
Les discriminations à l’égard des membres de Chosen Soren se sont envenimées au cours deux dernières décennies. La confirmation en 2002 par Pyongyang de l’enlèvement de Japonais par des agents nordistes dans les années 1970-1980 a renforcé l’ostracisme à leur égard. Mais cette révélation a aussi ébranlé les convictions de la jeune génération de Chosen Soren, qui découvrait des pratiques du régime qu’elle ignorait.
Messages de haine
Alors que s’aggrave la tension avec le Japon à la suite des essais nucléaires et balistiques de Pyongyang et de l’arrivée au pouvoir de Shinzo Abe – qui a fait de la question des kidnappés son cheval de bataille –, la pression sur Chosen Soren s’est accentuée : surveillance accrue des entreprises de ses membres qui autrefois transféraient des fonds en RPDC ; interdiction des échanges commerciaux avec celle-ci et suppression des subventions d’Etat à la soixantaine d’écoles gérées par l’organisation. Ces établissements sont en fait fréquentés aussi par des enfants de Coréens non adhérents, parce qu’une partie de l’enseignement y est donnée en coréen. « Le rétablissement des subventions à nos écoles et la liberté de sortir et de rentrer au Japon sont nos principaux combats », dit Mme Kim Wooki, responsable des droits humains à Chosen Soren.
« Ce que nous espérons de ce sommet, c’est qu’on nous respecte », dit une élève de 16 ans d’un lycée de l’arrondissement nord de Tokyo. Comme ses camarades, reconnaissables à leur uniforme (longue robe de style coréen), elle est victime d’agressions verbales dans la rue. Les messages de haine fleurissent sur Internet – les écoles nord-coréennes sont considérées comme des « foyers d’espions » et de « propagande ennemie en territoire japonais ».
Les jeunes de Chosen Soren nés au Japon, dont ils ont adopté les modes de vie, sont partagés entre une revendication identitaire en réaction à l’image dévalorisante renvoyée par la société japonaise et leur désir d’intégration.
La crise de conscience ouverte par l’affaire des enlèvements et les pressions des autorités japonaises ont entraîné une diminution du nombre des adhérents à Chosen Soren : après avoir atteint plus de 300 000 dans les années 1970, il était tombé à 100 000 en 2000, puis à 70 000 aujourd’hui.
L’organisation demeure cependant l’un des rares canaux de contact avec Pyongyang à un moment où, dans son suivisme de Washington, M. Abe cherche à renouer le dialogue. Les investisseurs, en tout cas, attendent une levée des sanctions : les actions des Messageries maritimes des ports de la mer du Japon (qui font face à la péninsule) sont en hausse et les entreprises de Chosen Soren, mises à l’index, pourraient bien à l’avenir être courtisées.
Philippe Pons (Tokyo, correspondant)