Le 14 juin (jour du lancement de la Coupe du monde de football), le gouvernement a transmis à la Douma un projet de loi sur la réforme des cotisations et l’augmentation de l’âge du départ à la retraite. Celui-ci devrait être repoussé à 63 ans (contre 55 ans actuellement) pour les femmes et à 65 ans (contre 60 actuellement) pour les hommes. Le rythme du recul de cet âge est soutenu : il augmentera d’une année par an pour atteindre l’objectif fixé en 2023 pour les hommes et en 2026 pour les femmes.
Le principal objectif de la loi, selon l’hebdomadaire Expert, qui soutient la réforme, est de “créer les conditions pour une augmentation annuelle substantielle des pensions de retraite”. À titre indicatif, le montant de 1 000 roubles (13,50 euros) supplémentaires par mois chaque année a été évoqué.
Le recul de l’âge du départ à la retraite concernera également les salariés pouvant aujourd’hui faire valoir leurs droits plus tôt pour cause de pénibilité du travail, notamment, rapporte le quotidienKommersant. Les employés des régions du Grand Nord, par exemple, peuvent aujourd’hui partir à la retraite à 50 ans pour les femmes et 55 ans pour les hommes. Il leur faudra attendre eux aussi respectivement 8 et 5 années supplémentaires.
Le gouvernement escompte une adoption par la Douma à l’automne (après un mois de discussion) et une mise en œuvre en 2019. “L’augmentation de l’âge de départ à la retraite était dans les tuyaux depuis longtemps, et cela semble parfaitement logique pour se rapprocher des standards européens, et compte tenu de l’allongement de la durée de la vie. Malgré cela, reconnaît le titre, le projet de loi a soulevé de vives émotions et souvent négatives”.
80 % des Russes opposés la réforme
Selon le quotidien Moskovski komsomolets, 80 % des citoyens russes se prononcent contre cette mesure. Il faut dire que la question des retraites et des retraités est demeurée en marge de la révolution capitaliste qui a secoué le pays depuis la chute de l’URSS. Les travailleurs russes peuvent faire valoir leurs droits plus tôt que partout ailleurs dans le monde, et le gouvernement a, contre vents et marées, toujours versé les pensions. Certes – là non plus il n’y a pas eu de changements –, elles ne dépassent pas souvent le minimum vital [environ 12 000 roubles (163 euros)].
En 2005, Vladimir Poutine avait solennellement déclaré à ses concitoyens : “Je suis contre l’augmentation de l’âge de départ à la retraite. Et tant que je serai président, une telle décision ne sera pas prise”. Mais il ne pensait peut-être pas rester au Kremlin si longtemps et devoir faire face à “l’effet ciseaux” qui frappe la démographie de son pays. Comme l’explique Moskovski komsomolets, le système de retraite est attaqué d’un côté par la baisse de la natalité, de l’autre par la hausse du nombre de personnes âgées.
C’est ainsi qu’un “virage à 180 degrés” vient d’être opéré. “Si nous ne le faisons pas maintenant, nous ne le ferons jamais, et nous regretterons amèrement plus tard de ne pas avoir agi à temps”, a déclaré aux journalistes “un membre éminent du gouvernement”, rapporte le tabloïd. Le revirement est si brutal que Vladimir Poutine s’est déchargé de la responsabilité de la réforme sur le gouvernement, d’autant qu’elle frappe de plein fouet l’électorat poutinien.
Les ravages de l’économie grise sur les cotisations
Une pétition contre le projet de loi a déjà reçu plus d’un million et demi de signatures sur Change.org. Ses auteurs attirent l’attention de Vladimir Poutine, du Premier ministre, Dmitri Medvedev, et des présidents de la Douma et du Conseil de la Fédération sur le fait que, dans 62 régions (sur 85) de la Fédération de Russie, l’espérance de vie moyenne des hommes n’atteint pas 65 ans, et reste au-dessous de 60 ans dans trois régions.
Ils dénoncent par ailleurs les ravages de “l’économie grise” : en effet, sur les 77 millions d’actifs que compte le pays, seuls 43 millions paient leurs cotisations, ce qui explique le trou de 2 200 milliards de roubles [29,8 milliards d’euros] dans les caisses de retraite.
Des manifestations en perspective
L’opposant Alexeï Navalny a annoncé l’organisation de manifestations de protestation contre la réforme le 1er juillet dans au moins 20 villes du pays (qui n’accueillent pas de matches de la Coupe du monde), rapporte le quotidien économique Vedomosti. En 2005, les manifestations de retraités contre la réforme des avantages sociaux avaient été historiques.
Laurence Habay
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