Il faut remettre en cause les choix néolibéraux qui ont conduit à l’explosion des banlieues.
Signataires de l’appel des historiens contre la loi du 23 février sur le rôle positif de la colonisation, nous ne pouvons pas demeurer silencieux sur des affrontements qui révèlent une crise profonde de la société et l’incapacité de la classe politique à proposer des solutions, qui suscitent une dérive xénophobe dans l’opinion. Dérive exploitée par l’extrême droite et une droite de plus en plus musclée, chassant sur les mêmes terres.
Couvre-feu ! Perquisitions ! Interdiction des rassemblements ! C’est l’état d’urgence ! Mais quelle urgence, pour quel État ?
Le décret (dont on annonce la prolongation) est pris en application de la loi adoptée le 25 avril 1955, au moment où la guerre remplace la politique en Algérie, annonçant la bataille d’Alger et ses crimes, la répression sanglante de la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris, par une police sous les ordres de Maurice Papon.
Selon certains, ce serait la preuve de la « fracture coloniale » - formule aussi creuse et raccrocheuse que la fracture sociale, dont on peut mesurer la validité (ou la vanité) ! -, la preuve que la République traite ses « indigènes » comme autrefois. Pas pour nous. Le spectre du conflit ethnique, de l’islam qui hante beaucoup d’esprits, agité de manière cyclique, cache la réalité de conflits sociaux et de mouvements qu’il faut analyser et auxquels il faut apporter des réponses. Des réponses qui ne soient pas une aggravation de la discrimination en fonction de l’origine comme le fait le gouvernement, ni la lutte de minorités contre la société dominante. Une telle lutte ne pourrait déboucher que sur un populisme identitaire, c’est-à-dire une inversion indigéniste, un doublet du lepénisme, et conforter les tenants de la ségrégation et du racisme.
Un capitalisme sauvage a tout avantage à avoir ses « sauvageons ». C’était le cas au début de la Révolution industrielle dans le Paris des Misérables, où les « classes laborieuses » affublées des qualificatifs de « nomades », « bédouins », « barbares » étaient considérées comme « classes dangereuses » par le parti de l’Ordre. Deux siècles après, un processus gigantesque d’exclusion frappe ceux qui sont venus du plus loin (d’outre-mer) et le plus tard (au bout des trente glorieuses, quand la société industrielle entre en crise).
Aucun des responsables, ni politiques ni associatifs, ne paraît s’aviser que la détérioration de la situation est due structurellement à la sauvagerie intrinsèque d’un capitalisme débridé.
Même les violences d’une partie des adolescents de banlieue ne sont que l’intériorisation des valeurs brutales de ce capitalisme. Pourquoi les jeunes révoltés détruisent-ils les voitures qui représentent un symbole de consommation inatteignable ? Pourquoi font-ils flamber les écoles et les gymnases qui sont des lieux de l’éducation collective ? Pourquoi cassent-ils les cabines téléphoniques ? Pourquoi ne cassent-ils pas leurs portables symboles de la privatisation de la communication ? Ils s’attaquent à la chose publique qui n’a de valeur pour eux que consumériste. Ajoutons que la délinquance est une composante de ce système.
L’école ? La cage d’escalier nettoyée ? Les « grands frères » ? La Marseillaise pour les enfants ? Le silence de la droite comme de la gauche sur les solutions est assourdissant ! Elles ne proposent rien aux sans-papiers, aux sans-travail, aux sans-logis, à ces millions de sans-espoir que le système condamne à rester aux marges.
Les forces qui se réclament de la démocratie et de la justice sociale doivent d’urgence organiser un mouvement de solidarité, affirmer l’impératif d’un changement radical des choix économiques néolibéraux qui ont conduit à l’explosion actuelle, le refus d’une ethnicisation des problèmes, la nécessité de rechercher les solutions à l’échelle mondiale.
Une République a perdu son âme entre Dien Bien Phu et Alger. La Ve la perdra-t-elle face aux banlieues ?