Jean Pisani-Ferry a tenu à faire amende honorable en publiant une nouvelle tribune [2]. Il y reprend tous les poncifs sur les dépenses publiques excessives et inefficaces, et n’hésite pas à désigner la cible : « La France consacre ainsi autant de moyens à l’éducation (du primaire au supérieur) qu’à l’emploi (allégements de cotisations sociales compris) : 120 milliards d’euros par an. Sur vingt ans, la dépense publique pour l’éducation a stagné alors que la dépense pour l’emploi a explosé. » Bref, pour reprendre le titre de la tribune : « La stratégie de la dépense palliative a atteint ses limites ».
Réduire le chômage
Le chiffre est exact. Selon les dernières données de la Dares [3] « les dépenses en faveur de l’emploi et du marché du travail comprennent les dispositifs ciblés sur les demandeurs d’emploi et les personnes en difficulté sur le marché du travail, et les dispositifs généraux destinés à réduire le coût du travail pour certains secteurs, territoires et catégories de salariés. Elles s’élèvent à 122 milliards d’euros (Md€) en 2015, soit 5,6 points de PIB ».
Avant de dire que c’est trop (« un pognon de dingue » ? selon la formule macronienne), il faudrait y regarder de plus près et examiner ce que recouvre ce chiffre. Le service statistique du ministère du Travail donne les détails en distinguant deux grandes catégories. La première est celle des « dépenses ciblées pour les politiques du marché du travail » qui représente une grosse moitié du total (65,7 milliards). Elle comprend principalement les allocations chômage et la formation professionnelle des demandeurs d’emploi.
L’essentiel de ces dépenses (48,9 milliards) correspond donc à des « transferts aux individus » pour reprendre le regroupement opéré par la Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques ). Employeurs et salariés cotisent, et ces cotisations sont reversées aux chômeurs, en tout cas à ceux qui sont indemnisés.
Est-ce trop ? Oui, certainement, parce qu’il y a trop de chômage. Les contempteurs des dépenses sociales, comme Jean Pisani-Ferry, répondent eux aussi positivement, mais ce qu’ils suggèrent de réduire, ce n’est pas le chômage, mais l’indemnisation des chômeurs.
Baisser le coût du travail, une dépense pour l’emploi ?
La seconde catégorie est celle des dépenses générales en faveur de l’emploi, qui recouvrent pour l’essentiel des mesures en faveur des employeurs qui servent, comme l’écrit la Dares, à « réduire le coût du travail » mais dont on peut penser que l’effet sur l’emploi est assez incertain. Avant de démissionner de France Stratégie [Commissariat général à la Stratégie et à la Prospective, rattaché au Premier ministre] pour rejoindre l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron, Jean Pisani-Ferry présidait le comité de suivi du CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi). A ce titre, il est bien placé pour connaître les conclusions du dernier rapport de ce Comité [4] : « la prise en compte de l’année 2015 dans les travaux d’évaluation ne lève pas toutes les incertitudes entourant l’effet du CICE sur l’emploi. Un effet positif mais modéré, concentré sur les entreprises les plus exposées au CICE, lui paraît le plus vraisemblable, de l’ordre de 100’000 emplois sauvegardés ou créés sur la période 2013-2015 (mais dans une fourchette large, allant de 10’000 à 200’000 emplois) ».
On peut alors faire un petit calcul de coin de table. Sur la période 2013-2015, le CICE représente une « créance fiscale » de 47,9 milliards (11,6 en 2013 ; 17,7 en 2014 ; 18,6 en 2015). Si on rapporte cette dépense au haut de la fourchette (200’000 emplois sauvegardés ou créés), on trouve un coût unitaire de 20’000 euros par mois ! Avec ces 48 milliards, on aurait pu créer deux millions d’emplois à 2000 euros par mois et, en plus, faire vraiment baisser les dépenses d’indemnisation du chômage.
En parlant de « dépense palliative », Jean Pisani-Ferry cible clairement l’indemnisation du chômage, dans un style certes plus châtié que celui d’Emmanuel Macron. Mais si « la dépense pour l’emploi a explosé », c’est évidemment du côté des « aides » que la Dares répertorie ainsi pour 2015 : 30,5 milliards en exonérations de cotisations sociales ; 23,3 milliards en « dépenses fiscales » (dont le CICE) ; enfin 16,8 milliards de transferts aux employeurs et prestataires de services. C’est la stratégie de la dépense incitative à la création d’emplois qui a atteint ses limites.
Michel Husson