En costume-cravate, ils ont défilé l’un après l’autre derrière le micro installé dans la cour de l’Elysée, après leur rencontre, le 17 juillet, avec Emmanuel Macron. Huit hommes, tous numéro un d’une organisation syndicale ou patronale. Et « zéro femmes », comme l’a sobrement relevé Laurence Parisot, l’ex-présidente du Medef, sur Twitter, au lendemain de la réunion.
L’année 2018 aurait pourtant pu être l’occasion de voir des dirigeantes arriver aux manettes de ces structures car trois d’entre elles ont connu un processus électoral : FO, CFDT et Medef. Las. De nouveau, trois hommes ont été élus. Très rares sont celles qui pilotent, aujourd’hui, une organisation syndicale. Il y a bien Bernadette Groison (FSU) ou Cécile Gondard-Lalanne, co-porte-parole de Solidaires, mais elles restent des exceptions.
Dans le passé, Annick Coupé a longtemps représenté Solidaires (2001-2014). Nicole Notat a été secrétaire générale de la CFDT pendant dix ans (1992-2002) et Carole Couvert présidente de la CFE-CGC le temps d’un mandat (2013-2016). Dans toute l’histoire du syndicalisme, ces dirigeantes se comptent sur les doigts d’une main. « Le fait qu’il y ait une secrétaire générale n’est pas le bon indicateur, analyse cependant Rachel Silvera, maîtresse de conférences à l’université Paris-Nanterre. Ça peut même être l’arbre qui cache la forêt. Quand bien même on peut afficher des femmes dans certaines directions, ce n’est pas suffisant : il faut regarder toutes les directions, partout. »
Nécessité de faire bouger la situation
Une étude du Conseil économique, social et environnemental [1], publiée en 2015 et intitulée « Les forces vives au féminin », rappelait qu’en France, le taux de syndicalisation des salariés était estimé à environ 8 % : 7,5 % pour les femmes, 9 % pour les hommes. Bien que représentant près de la moitié de la population active salariée, les syndiquées étaient 37 % à la CGT, 47 % à la CFDT, 45 % à FO, 42 % à la CFTC, 29 % à la CFE-CGC et 52 % à l’UNSA. Des différences qui s’expliquent notamment par les bastions militants propres à chaque centrale, certains restant très masculins.
Mais une plus grande syndicalisation des femmes n’amène pas automatiquement une plus grande prise de responsabilités de ces dernières. Si les organisations syndicales ont pris conscience de la nécessité de faire bouger la situation, leur approche, liée à leur histoire et à leur culture d’organisation, n’a pas été la même.
La CFDT a été la première, dans les années 1980, à mettre en place des principes de quotas (alors un tiers) au sein des plus hautes instances confédérales. Aujourd’hui, la commission exécutive, composée de 10 membres, est strictement paritaire. Depuis le congrès de Rennes, en juin, c’est aussi le cas du bureau national (40 personnes).
La CGT s’est engagée dans un processus similaire plus tardivement mais de façon plus radicale. Depuis 1999, son bureau confédéral comme sa commission exécutive, sa direction élargie, comportent autant d’hommes que de femmes. Depuis 2015, la confédération a aussi choisi de faire la transparence en interne sur le sujet avec un « rapport de situation comparée » de l’ensemble des organisations CGT, présenté chaque année.
« Deuxième plafond de verre en interne »
Quelques chiffres sont présentés dans un guide disponible en ligne, « Réussir l’égalité femmes/hommes dans la CGT » [2]. En 2015, seules 17,2 % des secrétaires généraux de fédérations étaient des femmes, 21,8 % pour les secrétaires généraux d’union départementale ou 23,8 % pour les secrétaires généraux de comités régionaux. Même dans des syndicats qui se revendiquent féministes, comme Solidaires, les choses avancent lentement. A peine un tiers de militantes sont présentes dans leurs instances nationales. « Le fonctionnement syndical traditionnel a été forgé par des hommes pour des hommes », rappelle Cécile Gondard-Lalanne.
« Mon expérience à la CFDT me pousse à dire qu’il n’y a pas de montée en responsabilités des femmes de manière naturelle et magique », témoigne également Nicole Notat. La preuve en est à FO. Avant son élection en avril, le nouveau secrétaire général, Pascal Pavageau, avait tenu des discours très allants sur la parité. Mais il a été rattrapé par la réalité. Son bureau confédéral ne compte que quatre femmes sur treize membres.
Malgré cela, pas question pour M. Pavageau de revenir sur l’absence de quotas, auxquels la confédération est opposée. « Pas de discrimination négative au profit de discrimination positive », justifie-t-il. Ce dernier reconnaît cependant « une logique de deuxième plafond de verre en interne » et la nécessité de la combattre. « Les hommes, qui ont plus accès à ces responsabilités, ont du mal à rendre leur mandat, à déposer le chapeau à plumes, juge-t-il. C’est un travail de longue haleine mais qui est nécessaire et on a besoin d’être pro-actif. »
« Il y a trop de machos »
Une politique volontariste nécessaire tant les freins à l’accès aux responsabilités des militantes dans les syndicats sont nombreux et identifiés. Coût pour la carrière, modes d’organisations difficilement compatibles avec une vie de famille, manque de réseaux, niveau de qualification, aisance à l’oral… Résultat, note Cécile Guillaume, auteur de Syndiquées, défendre les intérêts des femmes au travail (Presses de Sciences Po, 2017), « il y a peu de vocations et les femmes sont peu détectées ».
Tous ces facteurs peuvent également amener ces dernières à s’autocensurer.
« Quand on m’a proposé des responsabilités, je me suis demandé si j’avais les compétences, si j’allais avoir la disponibilité pour faire le job, raconte Carole Couvert. C’est aussi à nous, les femmes, de faire un travail là-dessus. Personne ne nous donnera les clés mais y aller, c’est extrêmement utile même si c’est difficile. »
Autre obstacle : une culture machiste parfois encore bien ancrée dans les syndicats. En 2016, Philippe Martinez, à la tête de la CGT, lâchait lors de la Fête de L’Humanité : « La CGT n’est pas machiste mais il y a trop de machos à la CGT. » Certains clichés ont la vie dure. Evelyne Rescanières, à la tête de la fédération CFDT Santé-Sociaux, n’a pas oublié les remarques qu’elle a essuyées lors de sa prise de fonctions en 2017. « On m’a demandé comment j’allais faire avec mes enfants, si j’avais un problème dans mon couple, se souvient-elle. Nous les femmes, nous devons démontrer qu’on est combatives. Soit on est des chieuses, soit des mères, soit les deux. »
Et lorsqu’elles arrivent aux commandes, ces militantes ne restent souvent pas longtemps dans leurs fonctions. « Les sphères du pouvoir ne sont pas forcément très agréables, il y en a un certain nombre que ça lasse, pointe Mme Guillaume. Pour les détecter, il faut aller les chercher et donc ce n’est pas forcément leur désir d’être là. »
« Des signaux encourageants »
Suffit-il pour autant d’être une femme pour défendre leur cause ? « Non, répond Cécile Gondard-Lalanne. Encore faut-il qu’elle soit féministe. » Et que les hommes aussi s’emparent du sujet. D’où l’importance de formations internes sur ces questions.
« On travaille sur les stéréotypes dans la CGT et dans le monde du travail et comment les déconstruire, souligne Sophie Binet, qui suit ces thématiques à la confédération. Il y a des signaux encourageants. La question de l’égalité femme-homme est de plus en plus revendiquée et on a de plus en plus de remontées d’hommes qui s’en saisissent. »
C’est d’autant plus important, rappelle Rachel Silvera, que « ce sujet est très lié à la personne qui le porte. Il y a des cycles complexes. La question peut monter très fortement puis redescendre. Il faut que les instances prennent le relais pour éviter une trop forte personnalisation ». Une façon de rappeler qu’ici comme ailleurs, rien n’est jamais acquis.
Raphaëlle Besse Desmoulières