Une vague de chaleur intense et meurtrière touche en ce moment la majeure partie du Japon et devrait se poursuivre au moins jusqu’à la fin du mois. Au début de juillet, à la suite d’un typhon, des pluies diluviennes, provoquant inondations et mouvements de terrain, s’étaient abattues dans l’ouest du pays, avec pour conséquence un bilan de deux cent vingt-neuf morts et disparus. Quelques jours auparavant, un séisme s’était produit dans le nord du département d’Osaka faisant quatre morts. Ces événements ont de quoi témoigner de la fréquence et de la puissance élevées des aléas naturels dans l’archipel nippon.
LA CANICULE, AUSSI INTENSE QU’ELLE SOIT AUJOURD’HUI, N’EST POURTANT PAS UN PHÉNOMÈNE NOUVEAU
Il est tentant de dire – comme certains l’ont fait – que le Japon est confronté à un phénomène météorologique inédit ou unique. La canicule par exemple, aussi intense qu’elle soit aujourd’hui, n’est pourtant pas un phénomène nouveau. En juillet et août 2015, le département de Tokyo en a fait l’expérience durant huit jours consécutifs : autrement dit, les températures maximales mesurées atteignaient ou dépassaient 35 °C.
Durant l’été très chaud de 2010, plus de mille sept cents personnes sont mortes à la suite d’un coup de chaleur – soit deux fois plus que la moyenne annuelle de ces dix dernières années. Les pluies diluviennes qui ont frappé l’ouest du Japon au début de juillet ont aussi été qualifiées d’« exceptionnelles ». Mais, tout comme l’ont aussi été celles du nord de l’île de Kyushu en juillet 2017, où la ville d’Asakura a connu un épisode de pluie, ayant causé une trentaine de morts, qui revient une fois tous les 8 000 ans.
Caractère « inédit »
Si l’intensité de ces phénomènes météorologiques est très importante, mettre en avant un caractère « inédit », alors que chaque événement pourrait être qualifié de la sorte, risque de masquer le fait que ces aléas sont connus et sont annuels. Par ailleurs, la confusion entre aléa et catastrophe est trop fréquente : les précipitations ont tendance à s’intensifier, mais il n’en va pas de même, globalement, du nombre de victimes.
LES PÉRIODES DE LA COUPE DU MONDE DE RUGBY EN 2019 ET DES JEUX OLYMPIQUES DE TOKYO DE 2020 SE SITUENT DANS LA SAISON DES TYPHONS
Au Japon, depuis les années 1990, une soixantaine de personnes meurent chaque année dans des dégâts causés par l’eau et le vent. Or, ce chiffre est stable. Dans le domaine météorologique, seuls les dommages humains causés par la neige ont augmenté au cours des trente dernières années. La tendance à considérer des périodes très courtes, en oubliant le passé, ne peut conduire à des analyses pertinentes.
Bien sûr, des phénomènes majeurs, dépassant largement les moyennes, se produisent et se produiront encore au Japon. Les périodes de la Coupe du monde de rugby (du 20 septembre au 2 novembre 2019) et des Jeux olympiques de Tokyo (du 24 juillet au 9 août 2020) se situent dans la saison des typhons. La grande région de Tokyo a, par exemple, été traversée par un cyclone le 26 juillet 2005. Or, il a été estimé qu’un puissant typhon, similaire à celui de septembre 1947, qui traverserait cette zone aujourd’hui pourrait faire plus de six mille morts.
Pour ce qui est des aléas telluriques extrêmes – qui apparaissent moins fréquemment mais font un nombre plus important de victimes – la probabilité d’un séisme majeur dans la fosse de Nankai (du large de Shizuoka au large de Kochi) ou à Tokyo est de 30 % dans les dix prochaines années. Les bilans humains estimés sont respectivement de 323 000 et 23 000 morts. Mais comme l’a montré la catastrophe de Kumamoto en avril 2016, un séisme meurtrier peut très bien se produire autre part et avant celui de la capitale japonaise.
Mesures de sécurité négligées
Dans cette situation, il est important et urgent d’agir, y compris à travers des mesures concernant les populations plus fragiles. Parmi elles, outre les personnes âgées et handicapées figurent les étrangers. Lors du séisme de Kôbe en 1995, le taux de mortalité des résidents non japonais était une fois et demie plus élevé que celui des citoyens nippons. Plus loin dans le passé, lors du séisme du Kantô en 1923 (105 000 morts et disparus), un tiers des Français présents à Yokohama avaient péri.
A TOKYO, LA ZONE INONDABLE EST PLUS GRANDE QUE LA SUPERFICIE DE PARIS
Aujourd’hui, qu’en est-il de la conscience des risques des Français au Japon, dont le nombre de visiteurs (270 000 en 2017) et de résidents (plus de 12 000) est en augmentation ces dernières années ? Ils sont en réalité nombreux à ne pas participer aux événements de prévention des catastrophes, à ne pas prendre en compte l’exposition aux risques naturels lors du choix de leur logement et à négliger les mesures de sécurité une fois installés.
Si beaucoup craignent surtout les séismes, les tsunamis et les vents violents, ils sont peu à s’inquiéter des inondations, alors que celles-ci représentent un risque important, surtout dans les zones urbaines et situées sous le niveau de la mer, où se concentrent aujourd’hui des millions de personnes. A Tokyo, la zone en question est plus grande que la superficie de Paris.
Démarche participative
Les autorités françaises se mobilisent comme elles peuvent après l’apparition d’un phénomène naturel important, pour vérifier la situation des ressortissants et diffuser des consignes de sécurité. Mais la fermeture, le 22 juin, de la section consulaire de Kyoto – circonscription dans laquelle vivent environ deux mille Français – à la suite du non-remplacement d’un agent, ainsi que la suppression d’un poste à l’antenne consulaire de Tokyo semblent fragiliser le dispositif de sécurité.
L’ENSEMBLE DES VOYAGEURS NE PENSE PAS À S’INSCRIRE SUR LE FIL DE SÉCURITÉ ARIANE, QUI PERMET NOTAMMENT D’ÊTRE CONTACTÉ EN CAS DE CRISE
En outre, il convient de préciser que tous les résidents français au Japon ne sont pas inscrits au registre tenu par l’ambassade de France. L’ensemble des voyageurs ne pense pas non plus à s’inscrire sur le fil de sécurité Ariane, qui permet notamment d’être contacté en cas de crise. Et tous n’ont pas accès en permanence aux réseaux Internet et téléphoniques sur place – si tant est qu’ils fonctionnent. Mais surtout, la prévention des risques est largement insuffisante. L’Etat français, à travers la section consulaire de l’ambassade, ainsi que les universités qui envoient chaque année nombre d’étudiants dans l’archipel sans les former ni les informer, ou encore les entreprises, les agences de voyages et même les compagnies aériennes ont un rôle à jouer pour améliorer la situation. Les médias également.
Il revient donc aux autorités, japonaises et étrangères, comme aux entreprises et aux citoyens eux-mêmes, à travers une démarche participative, de proposer et d’appliquer des solutions, qui existent, face au manque de temps, d’intérêt, mais aussi d’informations qui limitent actuellement la résilience. Le plus dur reste de convaincre de la nécessité d’agir au plus vite.
Jean-François Heimburger (Journaliste et chercheur spécialiste du Japon et des risques)