C’est un fait suffisamment rare pour être noté. En pleine affaire Benalla, fin juillet, Jean-Luc Mélenchon s’est attardé une nuit avec des journalistes dans la salle des quatre colonnes de l’Assemblée nationale, pour commenter longuement la situation politique. Pour que le leader de La France insoumise (LFI), grand contempteur des médias, soigne soudain ses relations avec la presse, c’est que l’heure est grave. Ou bien qu’il opère un changement de stratégie.
Après l’échec des mobilisations sociales dans la rue en septembre et au printemps, le chef de file de LFI, qui a touché du doigt après la présidentielle les limites de la radicalisation, joue désormais la carte de l’apaisement et du rassemblement. « A chaque fois qu’une élection approche, Jean-Luc Mélenchon s’adoucit », observe le chef de file du Parti communiste aux européennes, Ian Brossat. « A la fin de la campagne de 2017, il était devenu le gentil prof de la IIIe République, blouse comprise, et puis le naturel est revenu au galop », ironise l’adjoint à la mairie de Paris.
Même souci affiché d’ouverture en vue des universités d’été du parti qui se tiennent à Marseille du 23 au 26 août. La France insoumise a invité les autres partis de gauche, mais également deux députés Les Républicains : Marianne Dubois, qui interviendra lors d’une table ronde sur la défense, et Olivier Marleix, qui a présidé la commission d’enquête sur Alstom. Deux députés de la majorité avaient également été invités, le premier frondeur du quinquennat, l’ex-LRM Jean-Michel Clément, et la députée Sonia Krimi, qui n’hésite pas à faire valoir ses convictions, en allant parfois à l’encontre de la ligne de la majorité, notamment sur les questions d’asile et d’immigration. Tous deux ont décliné pour « raisons personnelles ».
« Une impasse »
« La France insoumise n’est pas sectaire », revendique le directeur des campagnes de LFI, Manuel Bompard. « Face à la brutalité du gouvernement, ce n’est pas absurde d’avoir un lieu où se retrouvent toutes les oppositions. C’est une pratique normale en démocratie de discuter », répond le chef de file de LFI aux européennes aux critiques venues de la gauche. « Jean-Luc Mélenchon défend une stratégie hors de la gauche, c’est une impasse », juge par exemple Rachid Temal, chargé des relations avec les partenaires du Parti socialiste. « Je ne crois pas au dépassement des oppositions. Je ne suis pas pour additionner nos voix à celles de la droite, comme il a voulu le faire lors de la motion de censure. Il faut être cohérent », ajoute le responsable socialiste.
Après l’affaire Benalla, Jean-Luc Mélenchon se disait en effet prêt à voter la motion de censure de la droite contre le gouvernement. Les trois groupes de gauche, communistes, socialistes et insoumis, ont finalement réussi à s’entendre pour déposer un texte commun. Une nouvelle preuve d’ouverture de la part de M. Mélenchon qui refuse pourtant toujours de se définir comme étant à « gauche », préférant s’adresser directement « au peuple ».
Cette stratégie semble avoir connu une évolution début juillet, si l’on en croit le post de blog de l’orateur national de LFI, François Cocq : « La ligne stratégique dite “populiste” a été rangée ce week-end au placard pour laisser place au “leadership à gauche” », regrette ce dernier après un conseil national du parti de gauche, composante de LFI.
C’est bien l’objectif de LFI en vue des élections européennes de mai 2019 : arriver en tête de la gauche, conforter une position de leader et se retrouver au centre du jeu en vue de potentielles alliances aux municipales de 2020. « Avant, on devait passer devant le PS pour éviter le vote utile, maintenant il nous faut rassembler, tout en conservant un mouvement citoyen », résume le député LFI de Seine-Saint-Denis, Eric Coquerel.
Une stratégie qui franchirait une nouvelle étape si le député européen Emmanuel Maurel, animateur de l’aile gauche du PS, décidait de rejoindre Jean-Luc Mélenchon dont il est proche. Les deux hommes se sont invités à leurs universités d’été respectives à Marseille où un ralliement du socialiste pourrait être annoncé. Par ailleurs, treize places ont été réservées à « des personnalités extérieures » sur la liste des européennes qui en compte soixante-dix-neuf.
Astrid de Villaines