Adopté en première lecture par la Douma le 19 juillet et en attente d’une seconde lecture le 24 septembre, le projet gouvernemental de réforme des retraites – qui s’attaque à un véritable tabou – a secoué l’opinion russe. Sa disposition la plus radicale prévoit de reculer l’âge de la retraite de 55 à 63 ans pour les femmes et de 60 à 65 ans pour les hommes.
De nombreuses manifestations ont eu lieu tout l’été à travers le pays. Et les cotes de popularité du gouvernement et de Vladimir Poutine lui-même se sont effondrées. Une pétition sur Change.org a recueilli à ce jour près de 3 millions de signatures et, à la veille d’élections partielles le 9 septembre, le Parti communiste, qui a voté contre la réforme, engrange les intentions de vote.
Extrêmement impopulaire, ce projet de loi s’attaque à un sujet auquel le président avait pourtant promis de ne pas toucher. Dans une allocution mercredi 29 août, Vladimir Poutine a néanmoins justifié, par des raisons macroéconomiques et démographiques, sa nécessité absolue – tout en proposant des aménagements importants afin d’en réduire la brutalité. Parmi ceux-ci :
- Le recul de l’âge de départ à la retraite des femmes à 60 ans et non à 63 ans (plus tôt encore pour les mères de famille en fonction du nombre d’enfants) ;
- Des sanctions administratives et pénales contre les employeurs qui licencient des salariés proches de l’âge de la retraite ou qui refusent d’embaucher des seniors, et l’augmentation des indemnités de chômage pour ces derniers ;
- La non-application de ces nouvelles mesures pour les travailleurs des mines et de certaines industries lourdes, ainsi que pour les représentants des peuples autochtones du Grand Nord, et l’augmentation de la pension pour les retraités de l’agriculture.
Poutine a utilisé son capital politique
Le discours télévisé de Vladimir Poutine, exercice jugé de haute voltige, a été perçu par la presse russe comme un moment exceptionnel de communication avec la nation : “Un événement hors norme, parce que l’augmentation de l’âge de la retraite est un événement hors norme”, écrit Gazeta.ru,estimant que cette réforme est “sans le moindre doute le sujet le plus important actuellement en Russie, car il a des conséquences sur la vie de dizaines millions de personnes”.
“Une épreuve titanesque”, jugeait l’éditorialiste de Moskovski Komsomolets Mikaïl Rostovski, la veille de l’intervention de Vladimir Poutine. Celui-ci devait chercher à “convertir la ‘majorité poutinienne’ abstraite [la réserve électorale du chef du Kremlin] qui accepte la logique de la réforme, quand bien même elle ne la salue pas. Le 29 août sera une date clé du dernier mandat du président, la date où il aura commencé à puiser activement dans le capital politique engrangé au cours de longues années.”
“Jamais encore Poutine n’avait si précisément expliqué aux gens, en termes simples et accessibles, les arguments en faveur de l’adoption de telle ou telle mesure économique”, note Gazeta.ru.
Un discours inhabituel
“Poutine a montré qu’il comprenait la logique de l’homme de la rue. Après avoir recensé les arguments macroéconomiques, il a changé de braquet pour décrire la situation telle que la voit le simple citoyen qui [à partir de 55 ans] n’arrive pas à trouver d’emploi et ne peut plus compter sur sa pension de retraite. Son discours était totalement différent de tous ceux des défenseurs de la réforme. Il a établi une relation émotionnelle avec l’auditoire et montré qu’il était le seul à écouter les gens et à penser à eux”, a commenté le politologue Abbas Galliamov, cité par Moskovski Komsomolets.
Enfin, le chef de l’État a endossé la responsabilité de l’augmentation de l’âge de la retraite. Il s’agit désormais d’une réforme d’État, et non plus d’un projet gouvernemental. Pour la première fois, le président déposera ses amendements lors de la seconde lecture à la Douma, le 24 septembre.
Laurence Habay
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