Peu de gens en France ont entendu parler de Jihan Wu, Zhang Nangeng et Hu Dong. Et pour cause, ce sont des mineurs chinois. Mais d’un nouveau genre, leurs mines ne sont pas de charbon mais de bitcoin, cette monnaie numérique sans tête ni pays dont les acrobaties spéculatives défrayent régulièrement la chronique.
Justement, à la suite de la dernière ascension spectaculaire de cette devise, passée de 900 dollars en 2016 à 19 000 un an plus tard avant de retomber à moins de 7 000 dollars, les commentaires se font désormais prudents sur la fiabilité et l’avenir de cette innovation hors du commun. C’est pourquoi nos trois Chinois, fondateurs des sociétés Bitmain, Canaan et Ebang, ont décidé de sortir du trou pour s’exposer en pleine lumière, en s’introduisant à la Bourse de Hongkong et tenter de convaincre les marchés que leur métier vaut de l’or.
A elle seule, Bitmain, la société de Jihan Wu, représenterait la moitié du minage de bitcoin. Un chiffre difficile à vérifier, car l’entreprise fédère des millions de mineurs dans le monde, à qui elle vend du matériel, notamment des puces électroniques.
Durant l’année folle de 2017, elle aurait gagné plus de 3 milliards de dollars, selon les estimations des analystes de la société Bernstein. La partie mise en Bourse ne concernera probablement que la vente de matériel. La société entend collecter 1 milliard de « vrais » dollars et prétend que sa valeur est de 14 milliards aujourd’hui et qu’elle sera de 40 dans trois ans.
Une promesse et une crainte
Rien n’est moins sûr. Le récent yoyo du bitcoin a non seulement ruiné nombre de spécialistes du domaine, principalement en Chine, mais a aussi érodé l’optimisme sur l’avenir de cette monnaie et même de la technologie qui en est à la base, la blockchain. Celle-ci est une immense base de données (un registre) décentralisée et dont les entrées sont validées et verrouillées individuellement par les fameux mineurs. Ces derniers sont rétribués pour cela en bitcoin ou autre monnaie numérique.
Comme le souligne un récent rapport de France Stratégie, cette architecture unique, par son caractère infalsifiable et décentralisé, est porteuse d’une immense promesse, ou crainte, celle d’une « économie programmable » où les échanges pourraient être automatisés sans l’intervention d’un tiers de confiance. Les applications sont multiples, de la transaction financière aux actes notariés, ou pour suivre le parcours de médicaments ou de produits alimentaires.
Mais personne n’est sûr que cette technologie puisse être détachée de son application première, les cryptomonnaies, dont le caractère instable fait peur. Sans mineurs indépendants et rétribués, plus de blockchain. De plus, la lenteur du processus, rançon de sa fiabilité, le rend peu apte à des transactions en masse comme dans la finance. Déjà, les ventes des puces et ordinateurs de Bitmain sont en forte baisse, selon le Financial Times, signe que la défiance s’installe.
L’aventure des trois mineurs à Hongkong sera un test grandeur nature. Mais c’est déjà la confirmation que l’avenir de la société numérique se joue désormais largement en Chine.
Philippe Escande