La Russie a « effectué une démonstration de force », en septembre lors de ses exercices navals, a estimé l’amiral français Charles-Henri du Ché.
Bombardiers et frégates russes ont achevé, samedi 8 septembre, un des plus importants exercices navals organisé par Moscou en Méditerranée orientale, durant une semaine. En déployant 25 navires et 34 aéronefs, une concentration inhabituelle de frégates de premier rang et de bateaux logistiques autour du croiseur lance-missiles Maréchal Oustinov, la Russie a « effectué une belle démonstration de force », remarque l’amiral français Charles-Henri du Ché, qui cumule les fonctions de préfet maritime et de contrôleur opérationnel de la marine nationale en Méditerranée.
« Quand vous mettez un bateau à l’eau, c’est toujours une démonstration politique, rappelle ce haut responsable, selon qui la Méditerranée est devenue le premier théâtre du jeu des Etats puissances. La zone, qu’on pouvait qualifier de lac de l’OTAN jusque dans les années 1990, est devenue un concentré des problèmes géopolitiques mondiaux ; c’est là que les puissances s’évaluent et se jaugent. Les choses vont très vite, il faut être à la mer pour anticiper et comprendre ce qui se passe dans la région. »
Dans le bassin oriental, le conflit syrien a conduit la Russie à consolider méthodiquement sa base de Tartous, jusqu’à y baser deux sous-marins équipés de missiles de croisière Kalibr ; Moscou déploie en permanence une dizaine de bâtiments.
Les Etats-Unis et leur 6e flotte ont conservé une présence stable avec quatre destroyers de défense aérienne basés à Rota en Espagne, un bâtiment de commandement et des avions de patrouille maritime. Mais l’US Navy fait entrer régulièrement un groupe aéronaval dans le bassin. Et le chef d’état-major des armées des Etats-Unis, Joseph Dunford, vient d’annoncer sa volonté de renforcer la présence militaire américaine en Grèce : « Si vous regardez la géographie, les opérations en cours en Libye, en Syrie et les potentielles autres opérations dans l’est de la Méditerranée, les opportunités sont importantes. »
« Eviter les escalades stupides »
La Chine, elle, fait systématiquement remonter ses navires par Suez lors des relèves de ses forces antipiraterie du Golfe d’Aden, effectuant deux à trois déploiements annuels, avec deux frégates et un ravitailleur. Ses prises de contrôle croissantes de terminaux portuaires en Grèce, en Espagne, en Italie, en Turquie, en Algérie, inquiète. Après avoir évacué 35 000 de ses ressortissants de Libye en 2011, et réalisé de premiers exercices navals avec la Russie en 2015, « la question d’une stratégie chinoise en Méditerranée se pose plus expressément, note Alice Ekman, de l’Institut français des relations internationales. Les autorités chinoises envisagent à terme l’ouverture d’une base dans le bassin méditerranéen ».
Avec une trentaine de bateaux de guerre présents en permanence, la densité militaire reste trois fois moindre que celle de la guerre froide. Mais « comme nous sommes dans un jeu de puissances, l’Inde va venir aussi, peut-être le Pakistan demain, et si la Méditerranée est un point de jauge, cette densification pourrait créer des freins à notre liberté d’action », explique l’amiral Charles-Henri du Ché.
Les incidents restent limités à ce stade. « Toute notre politique est de rester prévisible et d’entretenir des liens de courtoise fermeté avec ces marines. Le jeu est compliqué mais la situation plutôt stable. Cela se passe entre gens professionnels ; nous nous parlons et cherchons à éviter les escalades stupides. »
La marine française maintient trois à quatre bâtiments en permanence à la mer. Elle vient de resserrer ses coopérations navales avec Israël et l’Egypte, qui lui a accordé des escales militaires à Alexandrie et facilité les passages de Suez. Et tandis que les nations de l’OTAN ont accru leurs rotations en mer Noire, la France est également le seul pays européen à entretenir une coopération navale bilatérale avec la Roumanie et la Bulgarie.
Nathalie Guibert