Quel est le lien entre les ports de Chittagong, au Bangladesh, Kyaukpyu en Birmanie, Hambantota, au Sri Lanka, et Gwadar, au Pakistan ? Tous font l’objet de projets de développement ou d’extension portuaires et industriels confiés à des sociétés chinoises, qui ont obtenu la concession de ces infrastructures pour plusieurs décennies. Hambantota est aux mains de la China Merchants Port Holdings pour quatre-vingt-dix-neuf ans, Gwadar dans celles de la China Overseas Port Holding pour quarante ans.
Tous présentent un intérêt stratégique pour Pékin dans l’océan Indien. Ils incarnent le « collier de perles », cet étau militaire chinois redouté par les Indiens et les Japonais depuis plus de dix ans, mais qui, pour l’heure, se matérialise sous forme de projets commerciaux. Une dizaine d’autres ports à travers le monde présentent les mêmes caractéristiques. Alors que la diplomatie chinoise s’évertue à rejeter toute visée stratégique, les études des centres de recherche proches du gouvernement et des organes de défense chinois disent l’inverse. Le rapport Harbored Ambition, du think tank américain Center for Advanced Defense Studies (C4ADS), publié en avril, souligne que « les analystes chinois, notamment ceux qui sont en lien avec les affaires militaires, décrivent les investissements portuaires comme permettant discrètement à la Chine de renforcer sa présence militaire dans l’Indo-Pacifique », avec de nombreux exemples à l’appui.
Djibouti, Gwadar, les Seychelles
Les chercheurs de l’institut de recherche navale de la marine chinoise ont recommandé en 2014 d’investir « des points de ravitaillement et de logistique dans les principaux ports pour permettre à la marine chinoise de mieux protéger les lignes d’approvisionnement en énergie de la Chine ». Les emplacements cités sont Djibouti, Gwadar ou encore les Seychelles. Un article du journal de l’université des relations internationales de Chine met en avant le concept de « civil d’abord, militaire ensuite », avec des ports commerciaux progressivement transformés en « points de supports stratégiques ». Plus généralement, constatent les auteurs de l’étude de C4ADS, les analystes chinois considèrent ces ports comme les « composantes d’une stratégie de défense » et non seulement comme des « projets économiques gagnant-gagnant découlant de l’initiative des “routes de la soie” » – la rengaine de la propagande chinoise.
Ces infrastructures portuaires sont dimensionnées et équipées pour un usage double. Le Sri Lanka a par exemple autorisé l’escale, en 2014, de sous-marins chinois à Colombo, dans un port sous concession chinoise, durant la visite du premier ministre japonais, Shinzo Abe, provoquant le scandale. Colombo a toutefois refusé d’accueillir d’autres sous-marins en 2017.
« L’influence chinoise est économique, politique, diplomatique et militaire, explique un expert naval européen à Pékin. Tout est coordonné car, pour assurer la protection de ses investissements, il faut des moyens militaires. L’approche chinoise consiste à construire des installations portuaires civiles à usage dual – jusqu’en Tanzanie, en Namibie et peut-être même à Vanuatu et aux Fidji, ce qui inquiète les Australiens. »
Cette vaste entreprise, qui a commencé avec l’ouverture économique chinoise, est aujourd’hui refondue dans le projet BRI (Belt and Road Initiative) des « nouvelles routes de la soie », tout en connectivité et infrastructures. Les routes terrestres et les nouvelles lignes ferroviaires envisagées à travers la Russie, l’Asie centrale et le Pakistan sont essentielles si un jour un conflit éclatait autour de Taïwan ou en mer de Chine méridionale, les deux points de friction les plus « chauds » avec les Etats-Unis. Or, ces nouvelles voies sont à la fois terrestres et maritimes, avec des interconnexions. C’est ainsi le cas du « corridor économique pakistanais », un segment des « routes de la soie » qui relie la frontière chinoise au port de Gwadar, dans l’océan Indien.
Brice Pedroletti