ISHIGAKI (ARCHIPEL D’OKINAWA) ENVOYÉ SPÉCIAL
Par trois à quatre mètres de fond, dans une mer transparente qui passe du bleu à l’émeraude, un cadre métallique repose au milieu des coraux. Il comporte huit rangées d’une dizaine de colonnes blanches d’une cinquantaine de centimètres de hauteur formées de tétons de céramiques de 4 cm de diamètre dont la saillie permet de les assujettir les uns au-dessus des autres. Dans les interstices apparaissent de minuscules branches de corail. « C’est la première expérience de culture du corail à des fins de transplantations qui évite d’endommager les massifs par des prélèvements », explique Mineo Okamoto, le père du procédé, biologiste à l’université pour la science et la technologie marine de Tokyo.
Le chercheur japonais a commencé ses expérimentations en 2002. Aujourd’hui, 73 000 de ces pics de céramique formant les abris où se fixent les larves du corail ont été placés en cinq endroits du lagon de Seiseki, entre les îles d’Ishigaki et d’Iriomote, le plus grand massif corallien du Japon, au sud de l’archipel d’Okinawa. Il y a dix mois, une première transplantation de 5 000 tétons a eu lieu sur un fond rocheux situé à une dizaine de kilomètres du lieu où les oeufs de corail avaient commencé à se fixer sur la céramique.
« Nous cherchons, précise le scientifique, à faciliter la reproduction naturelle des coraux en offrant un substitut d’abri aux larves qui se fixent généralement dans des failles des rochers. Une fois qu’elles ont commencé à croître, nous les transplantons. Les jeunes coraux se développent ou non. C’est la nature qui décide. Alors que la transplantation traditionnelle entame la biodiversité, cette méthode évite toute manipulation. » L’Agence pour l’environnement apporte son soutien à cette expérience. Certes, tout cela est encore « expérimental » mais « c’est pour le moment l’une des techniques de régénération des massifs coralliens », commente Keisuke Takahashi, directeur adjoint du bureau de la conservation du corail.
Au large de l’île Kuro, à l’extrémité sud du lagon, des transplantations d’embryons de coraux ont aussi été engagées sur une surface d’une trentaine de mètres carrés dans trois à cinq mètres d’eau. Certains, encore très fragiles, n’ont pas supporté la transplantation. D’autres se sont développés. Le site est traversé par des courants qui remontent le long des autres îles et qui pourraient emporter des larves vers d’autres massifs coralliens.
Aussi, le Japon suit-il de près l’expérience, car il possède quelque 96 000 hectares de récifs coralliens. Une richesse qu’il lui faut protéger parce qu’elle est menacée - un tiers des coraux de la planète ont disparu au cours des quarante dernières années - mais aussi parce que les îlots qui les abritent sont stratégiques pour le pays.
Or, à l’extrémité la plus méridionale du Japon, les minuscules îlots inhabités d’Okino Tori, que ceinturent 11 km de récifs coralliens, s’enfoncent lentement dans la mer. Qu’ils disparaissent et Tokyo ne pourra plus exercer sa souveraineté économique sur les 400 000 km2 qu’il contrôle aujourd’hui. Manquera à l’appel pour le Japon la possibilité de contrôler une zone dont la superficie est équivalente à celle de son territoire terrestre. Depuis 1987, Tokyo s’efforce donc de renforcer ces îlots avec des blocs de béton, mais la convention des Nations unies sur le droit de la mer ne reconnaît pas les îles artificielles dans la définition des zones d’économie spéciale. Aussi la barrière de corail d’Okino Tori, formant une digue protectrice des îlots, suscite-t-elle toute l’attention des autorités.
Sous l’égide de l’Agence des pêches, le laboratoire d’Akashima (Okinawa) vient de lancer une expérimentation d’élevage artificiel des colonies coralliennes à partir d’oeufs prélevés dans les massifs d’Okino Tori. Lorsqu’ils seront assez forts, les jeunes coraux seront replacés dans leurs lieux d’origine. C’est le premier essai sur grande échelle d’une culture à partir de la ponte des coraux.
Selon Yoshimi Suzuki, professeur de biochimie à l’université de Shizuoka et responsable d’une recherche conjointe avec l’IRD de Marseille, « ces expérimentations constituent un pas important mais, pour conserver ces transplants, il faut aussi savoir comment conserver les équilibres globaux de l’écosystème corallien d’un point de vue microbiologique ».
Encart
Un site unique menacé par le réchauffement
Le lagon de Seiseki couvre une superficie de 270 kilomètres carrés. En 1972, il a été classé Parc marin national par l’Agence de l’environnement et abrite dans ses eaux 363 espèces de coraux. Un formidable foyer de biodiversité qui fait de cette « forêt tropicale sous la mer » une rivale en beauté des plus beaux récifs coralliens. Ceux de la Grande Barrière australienne, au large du Queensland, et ceux, aussi, de la Nouvelle-Calédonie. Le lagon, brassé par le « courant noir », un flux chaud qui remonte du sud le long de l’archipel d’Okinawa pour baigner ensuite les côtes du Japon, a été victime ces dernières années du réchauffement des eaux. Conséquence : une destruction partielle des coraux.