Des personnes peu familières avec la politique thaïlandaise ont pu être déconcertées par les propos du Premier ministre, Prayuth Chan-ocha, le 24 septembre, au sujet de son intérêt pour une carrière politique.
Un observateur naïf pourrait penser qu’un général qui a renversé un gouvernement élu par un coup d’État, il y a quatre ans, n’est pas intéressé par la politique.
Prayuth a justifié son putsch par la nécessité de maintenir l’ordre et de mettre fin aux profondes divisions nationales. Les agitateurs politiques, militaires et les membres de l’élite manifestaient dans les rues [contre le gouvernement élu] depuis la fin de 2013, signe avant-coureur du coup d’État.
Une fois en poste, Prayuth et son équipe ont tout fait pour conserver et étendre leur pouvoir politique. Tous les ordres qu’il a donnés en tant que chef de la junte, toutes les lois adoptées par un Parlement à sa botte et toutes les tentatives de musellement et arrestations de ses opposants visaient à consolider l’autorité et l’avenir politique de Prayuth.
Homme politique ou général ?
Cependant, si ses actes sont clairs, ses paroles brillent par leurs incohérences. Ainsi, tantôt, il affirme ne pas s’intéresser à la politique mais se présente, dans le même temps, comme un militaire doublé d’un politicien. D’un côté, il se dit las de travailler pour le pays, mais exprime, de l’autre, sa volonté de continuer à œuvrer pour l’intérêt national et pour le peuple.
La déclaration du 24 septembre a fait la une des journaux, mais elle n’a pas créé la surprise, car l’entourage de Prayuth prépare activement sa carrière politique. Plusieurs groupes ont annoncé leur décision de se constituer en partis politiques pour soutenir sa candidature après les élections législatives [de février 2019]. [Selon la Constitution, dictée par la junte, le Parlement élira le Premier ministre.]
Le paysage politique est d’ores et déjà façonné, avec les partisans de Prayuth d’un côté, et, de l’autre, ses opposants. La victoire du général est probable, surtout s’il conserve ses pouvoirs de chef de la junte et de Premier ministre au moment de se lancer dans la course.
Une tâche facilitée par les lois
Juridiquement parlant, il est impossible de briguer un siège au Parlement tout en occupant un poste politique. Mais, en l’occurrence, Prayuth ne vise pas un poste de parlementaire. En vertu de la Constitution promulguée par la junte, il pourra être investi par des partis et devenir Premier ministre après les législatives.
Il n’aura besoin que de 126 voix à l’Assemblée [sur 500], car les 250 voix des sénateurs lui sont acquises. Les sénateurs étant nommés par la junte elle-même. À moins que ses opposants ne remportent une victoire écrasante aux législatives, le chemin de Prayuth vers la victoire est donc assuré.
Si ses propres activités politiques restent soumises à des restrictions, les membres de son gouvernement et ses partisans sont, quant à eux, entièrement libres de leurs mouvements, les instruments et appareils juridiques mis en place par des membres de la junte leur facilitent même la tâche.
L’échiquier politique lui est si favorable que rares sont les observateurs qui doutent de son succès. Prayuth les a d’ailleurs confortés dans leur opinion en déclarant aux journalistes qu’il ne démissionnerait pas de ses fonctions politiques avant ou pendant les élections.
Avec lui, pas d’élections libres
Ses prérogatives de Premier ministre et de chef de la junte apparaîtront comme un atout majeur lorsque les partis et groupes politiques devront opter pour un candidat.
Le monde entier sait que Prayuth ne se soucie guère d’équité, sans quoi il ne se serait pas emparé du pouvoir par la force il y a quatre ans. La seule chose à espérer est qu’il n’aille pas jusqu’à prélever des fonds sur le budget de l’État pour financer sa campagne électorale.
Prayuth devrait renoncer à tous ses pouvoirs de façon à rendre possibles la tenue d’élections libres et régulières et le mode de gouvernement qui va avec.
Editorial
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