Fin des opérations de recherche
Les autorités indonésiennes ont décidé, jeudi, de stopper les opérations de recherche. Le bilan est désormais de 2 073 morts et 5 000 disparus.
Deux semaines après le tremblement de terre et le tsunami qui ont touché la région de Palu, dans l’île de Sulawesi, en Indonésie, les autorités du pays ont ordonné, jeudi 11 octobre, la fin des recherches, même si 5 000 personnes sont toujours portées disparues. Le bilan est actuellement de 2 073 morts.
« Les opérations de recherche et de secours pour les victimes s’achèveront ce jeudi après-midi, a déclaré Bambang Suryo, responsable des recherches à Palu. Au vu des difficultés sur le terrain, nous avons vraiment besoin de prendre en considération la santé et la sécurité de nos sauveteurs. »
L’armée indonésienne a refusé, mardi, l’aide des secouristes étrangers, voulant éviter toute ingérence. L’agence AHA, chargée de coordonner leur action, a conseillé « à toutes les ONG étrangères ayant déployé des équipes sur le terrain de les rapatrier immédiatement ».
Des sauveteurs indonésiens resteront néanmoins positionnés à Palu jusqu’au 26 octobre, date à laquelle l’état d’urgence imposé dans la zone après la catastrophe devrait être levé. Le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU), Antonio Guterres, doit se rendre vendredi, selon son agenda, dans la zone dévastée, avec le vice-président indonésien, Jusuf Kalla.
De nombreuses zones comme aspirées
Le gouvernement envisage par ailleurs de laisser en l’état Petobo et Balaroa, anéanties dans la catastrophe. Les survivants devraient décider s’ils veulent en faire des sépultures collectives, y ériger un monument ou les transformer en espaces verts. De nombreuses zones se sont enfoncées dans la terre comme aspirées, quand les secousses telluriques ont transformé le sol en sables mouvants, un processus connu sous le nom de « liquéfaction ».
Quelque 200 000 personnes ont un besoin urgent d’aide humanitaire à Palu et dans sa région, où manquent la nourriture et l’eau potable. Environ 80 000 déplacés s’abritent dans des logements de fortune près de leurs maisons détruites.
L’ONU a annoncé le 5 octobre rechercher 50,5 millions de dollars (43,9 millions d’euros) pour un plan de secours immédiat élaboré avec les autorités indonésiennes. Des avions transportant de l’aide venue notamment des Etats-Unis, d’Australie, de l’Union européenne et des Philippines sont arrivés à Palu. Les difficultés logistiques ajoutées aux réticences initiales de Djakarta ont toutefois entravé l’arrivée de l’assistance aux victimes.
• LE MONDE | 11.10.2018 à 15h53 • Mis à jour le 12.10.2018 à 16h59 :
http://www.europe-solidaire.org/ecrire/?exec=article_edit&new=oui&id_rubrique=283
A Palu, des fosses communes pour l’éternité
Les secouristes vont bientôt cesser de chercher des corps dans les deux quartiers où 5 000 personnes auraient péri dans le séisme qui a frappé le pays le 28 septembre.
Au loin, on ne distingue que les casques rouges des sauveteurs indonésiens qui progressent lentement dans les ruines. Quand ils s’approchent, on réalise qu’ils transportent de longs sacs jaunes, des civières en plastique où reposent des corps à l’instant retrouvés. Une petite foule de curieux – parfois de rares survivants venus fouiller les restes de leurs maisons – regarde en silence passer le funèbre cortège qui laisse à son passage traîner les effluves de la mort. Dans la première civière, une forme légère : celle d’un garçonnet. La deuxième transporte une masse plus volumineuse : « C’est une femme et son enfant dans les bras », glisse un sauveteur. Etreints jusqu’au bout : durant le séisme, dans la mort, sur la route vers la tombe.
A Petobo, village de la banlieue de Palu où vivaient plus de 2 000 personnes avant le séisme, la terre molle de l’après-catastrophe semble à tout moment menacer d’engloutir le marcheur : quand le tremblement de terre a secoué ce quartier, l’une des deux zones où la catastrophe risque d’avoir fait le plus de morts, le sol s’est « liquéfié », transformé en un mélange d’eau et de boue qui emportait tout : des gens ont raconté que des maisons, des mosquées, ont bondi dans les airs tandis que la terre ondulait sauvagement sous eux. Celles et ceux qui n’ont pas pu s’enfuir à temps ont été aspirés par ce sol mou qui, par endroits, cède encore sous les pas.
On a beau scruter le lointain pour essayer de distinguer quelque chose, il n’y a plus rien. Petobo, le pays de l’infinie désolation. Selon les autorités, 5 000 personnes – dont on est pour la plupart sans nouvelles – habitaient à Petobo et à Balaroa, les deux zones les plus touchées de l’agglomération de Palu (capitale de la province centrale de Sulawesi) et de ses environs. Dans le complexe d’habitations de Balaroa, qui fut le fruit d’un projet gouvernemental destiné à permettre à des familles modestes d’acquérir des maisons à des prix modérés, on comptait en effet 600 foyers. Et chaque foyer indonésien regroupe au moins quatre personnes.
« On a pioché, pioché »
Ce dernier chiffre nous a été communiqué, lundi 8 octobre, par le pasteur Fernando Pollo, oncle du lurah (chef de village) de Balaroa. Cet ancien membre des commandos spéciaux de la police entré dans les ordres sur le tard habite depuis une vingtaine d’années sur les hauteurs du quartier dans une belle maison de bois qui a été épargnée. « Je pense qu’environ 2 000 personnes sont ensevelies dans les ruines », précise le pasteur.
Dès le lendemain de la catastrophe, ce fort gaillard d’une soixantaine d’années a payé de sa personne : « Avec mon cousin, je suis descendu vers les ruines avec une pioche et j’ai creusé », raconte-t-il. « On a pioché, pioché. Le premier jour, on a sorti 29 corps, le lendemain 9, le surlendemain 8, le jour d’après 7 et le dernier jour, 5. » Le révérend Fernando estime que guère plus d’une centaine de personnes ont été retrouvées dans le complexe. « Elles ont toutes été enterrées au-dessus de chez moi, près de la route », poursuit-il.
En bas du monticule de boue, car ici aussi, comme à Petobo, la terre s’est liquéfiée, une institutrice de 25 ans du nom de Dini évoque des chiffres similaires : « Environ 2 000 personnes vivaient à Bararoa », assure-t-elle. « On habitait dans une succession de trois maisons. On aurait pu les vendre aujourd’hui plus d’un milliard de roupies [57 000 euros] », commente la jeune femme devant les débris de ce qui fut la résidence familiale.
Pour quelqu’un qui vient de voir s’écrouler un logement où elle a passé toute sa vie, Dini est plutôt guillerette, alors que deux policiers déposent, devant la ruine d’à côté, deux cadavres dans des sacs noirs, forçant tout le monde à se boucher le nez. Presque guillerette parce que vivante, sans doute : « Mon école était tout près d’ici. Je pense que toutes mes copines sont mortes. J’ai essayé de leur téléphoner. Plus personne ne répond », observe-t-elle, alors que l’Internet et le téléphone ont été rapidement rétablis à Palu.
Un musée Picasso de cauchemar
Autre raison, et non des moindres, de se réjouir, pour cette jeune femme voilée d’un hidjab gris, elle et toute sa famille s’en sont sortis. « On n’a même pas une égratignure », sourit-elle. Elle raconte comment elle a vécu la catastrophe : « Au moment du séisme, j’ai réussi à sortir de la maison, mais mes parents et mon frère étaient bloqués dans la pièce d’à côté. On a cassé un carreau et ils ont pu sortir. C’était juste avant la seconde secousse. La maison s’était déjà enfoncée, mais on a eu le temps de s’enfuir. Heureusement, car la deuxième secousse a été la plus forte. »
Si les chiffres avancés par les chefs de village, ainsi que les affirmations du pasteur Ferdinand et les estimations de l’institutrice Dini s’avèrent exacts, le bilan du séisme de Palu risque d’être dramatiquement élevé. En ajoutant les 5 000 « disparus » et morts supposés de Petobo et de Balaroa aux quelque 2 000 morts officiellement annoncés lundi, on pourrait se diriger vers un bilan d’au moins 7 000 morts, sans prendre en compte tous les endroits des districts environnants où des cadavres pourrissent sans doute dans les décombres.
DES PAYSANS EXPLIQUENT, EN MONTRANT UN PAYSAGE TOURMENTÉ DE CHAMPS DE MAÏS, QU’ICI, IL Y AVAIT UNE VILLE. LE CHAMP DE MAÏS, LUI, EST VENU D’AILLEURS : DÉPLACÉ PAR LA FORCE DU SÉISME
A l’extérieur de Palu, dans la municipalité campagnarde de Sigi, la catastrophe n’a vraisemblablement pas fait autant de victimes qu’en ville. Etirée dans une large vallée encadrée de montagnes, la luxuriante beauté de Sigi fait oublier pour un temps l’horreur urbaine du tremblement de terre et du tsunami qui l’a accompagné. Pas pour longtemps.
A quelques kilomètres au sud de Palu, les premières habitations du district de Biromaru sont là pour rappeler au voyageur que le séisme a continué, ce fatal vendredi 28 septembre, de tracer ses zébrures au hasard. Plus aucun bâtiment n’est debout, et maison après maison, la petite ville aligne les sculptures décalées d’un musée Picasso de cauchemar. Miracle, aucun mort. A la sortie de sa modeste résidence écroulée, un certain Imam Shafi, cinquantenaire à la dentition vacillante, résume la catastrophe en riant de bonheur : « Tout le monde est vivant, ici ! On a eu tous le temps de sortir ! »
« Lourdeurs bureaucratiques »
Tel n’est pas le cas d’autres habitants, à quelques kilomètres encore plus au sud. Soudain, la route goudronnée s’arrête. Des paysans expliquent, en montrant un paysage tourmenté de champs de maïs, qu’ici, il y avait une ville. Le champ de maïs, lui, est venu d’ailleurs : déplacé par la force du séisme et ce maudit phénomène de « liquéfaction ». Une église protestante et un séminaire où des jeunes étudiaient la Bible ont disparu, emportés trois kilomètres plus loin… Les cadavres de 34 étudiants ont été retrouvés.
« IL Y A DES PROBLÈMES DE COORDINATION ENTRE LE GOUVERNEMENT INDONÉSIEN ET LES BAILLEURS INTERNATIONAUX »
Alors que le bilan grimpe, les secours affluent désormais à Palu. Dimanche et lundi, le ciel a pris parfois des allures de pont aérien permanent. De lourds appareils de type Hercules C-130 de l’aviation indonésienne, mais aussi américaine, australienne et d’autres pays d’Asie n’ont cessé de se poser sur le petit aéroport de la ville. Les fournitures d’urgences alimentaires et médicales s’accumulent, mais la logistique de distribution fait défaut : « Il y a des problèmes de coordination entre le gouvernement indonésien et les bailleurs internationaux, relève Gennadi Aryawan, coordinateur pour l’ONG américaine Mercy Corps. Les lourdeurs bureaucratiques ralentissent la distribution, surtout dans les zones encore éloignées. »
Des équipes de secours évacuent des corps, à Petobo, le 7 octobre.
Mardi matin, une réplique d’une magnitude de 5,2 a réveillé Palu, faisant précipitamment sortir dans l’aube naissante les habitants qui n’ont pas fui. Les autorités ont fixé jeudi 11 octobre comme date butoir pour les recherches des corps dans les endroits où tout a disparu sous la terre, comme les deux zones de destruction massive de Petobo et à Balaroa. Après, les fouilles prendront fin, transformant ces terribles endroits en fosse commune pour l’éternité. Il a également été annoncé que, plus tard, quand tout aura été dégagé, des espaces verts viendront recouvrir ces grands cimetières sans sépultures.
Bruno Philip (Palu ( Indonésie), envoyé spécial)
• LE MONDE | 09.10.2018 à 15h40 • Mis à jour le 09.10.2018 à 18h28 :
https://abonnes.lemonde.fr/international/article/2018/10/09/seisme-en-indonesie-a-palu-des-fosses-communes-pour-l-eternite_5366882_3210.html
Indonésie : l’armée ne veut pas des équipes de secours étrangères
Plusieurs ONG n’ont pu accéder à la région touchée par la catastrophe, devant le refus de l’armée indonésienne de les laisser participer aux opérations.
Dans un communiqué envoyé mardi 9 octobre au matin aux secouristes qui ont proposé leur aide humanitaire en Indonésie, l’agence AHA, chargée de coordonner leur action, « conseille à toutes les ONG étrangères ayant deployé des équipes sur le terrain de les rapatrier immédiatement ». La décision ne surprend pas de nombreux secouristes français, qui ont été ralentis dans leurs opérations par l’armée indonésienne, soucieuse d’éviter une ingérence étrangère après le séisme du 28 septembre.
« Nous n’avons pas vu un seul caillou de la zone dévastée », regrette Patrick Villardry. Le trajet du sapeur-pompier niçois et de l’unité légère d’intervention secours s’est arrêté dans la ville de Makassar, située à 800 kilomètres au sud de Palu, dans la province de Sulawesi. « Les militaires nous ont refusé l’accès au pont aérien, malgré le soutien d’un médecin sur place, sous prétexte que nous étions étrangers », explique-t-il.
« L’armée bloque tout »
D’autres ONG, comme Pompiers missions humanitaires et les médecins d’Aides actions internationales pompiers, témoignent des mêmes fins de non-recevoir de la part des autorités indonésiennes. C’est seulement grâce à l’invitation d’une équipe indonésienne de sauvetage que le Groupe de secours catastrophe français, mené par le secouriste Thierry Velu, a pu livrer une unité de traitement de l’eau aux habitants. Sans pour autant participer directement aux opérations. « L’armée bloque tout. Nous sommes venus livrer du matériel, et nous ne pouvons rien faire d’autre », décrivait Thierry Velu depuis Palu, le vendredi 5 octobre.
Les Pompiers de l’urgence internationale sont l’une des rares ONG étrangères à avoir accédé aux décombres de Palu à la recherche de survivants. Seule association française certifiée par l’ONU comme un groupe d’élite dans la spécialité du « sauvetage-déblaiement », l’équipe a travaillé sous l’égide des secours venus de Djakarta. « Les secouristes indonésiens se sont toujours placés entre nous et l’armée, justifie leur coordinatrice Nathalie Buisson. C’est ce qui a fait de nous une équipe à part autour de Palu. »
Simon Auffret
• LE MONDE | 09.10.2018 à 10h36 • Mis à jour le 10.10.2018 à 08h02 :
https://abonnes.lemonde.fr/planete/article/2018/10/09/les-equipes-de-secours-etrangeres-invitees-a-quitter-le-terrain_5366704_3244.html