Le 6 septembre 2018, lorsque la Cour suprême de l’Inde a décrété, après des années d’atermoiements, que “le sexe contre nature” ne devait plus être puni par le Code pénal, des soupirs de soulagement se sont fait entendre dans les rangs des professionnels du cinéma. Le lendemain de ce verdict historique, l’actrice et réalisatrice télougou Swati Semwal a salué “cette belle victoire” en mettant en ligne un court-métrage sur NetPix Shorts, une plateforme de streaming financée par le fonds d’investissement First Step Entertainment Capital, dont le but est de soutenir la création artistique. “Tourné il y a déjà quelques années, Abnormal est un hommage à l’une des nombreuses libertés du monde moderne que la génération Internet défend avec ferveur”, explique le journal Eenadu India. “Ce film de vingt minutes raconte l’histoire d’une écolière, Arohi, qui découvre quelque chose sur elle-même qui est considéré comme répréhensible, il dépeint l’innocence de l’amour.”
Une profession “chamboulée”, “bouleversée”
Pour le quotidien économique Mint, “la question est maintenant de savoir si la dépénalisation de l’homosexualité va faire sortir du placard” une profession qui avait jusqu’ici la fâcheuse habitude de se tenir cachée. Scénariste d’Aligarh, un long-métrage inspiré de la mort mystérieuse d’un professeur homosexuel dans une université musulmane de l’Uttar Pradesh, Apurva Asrani estime que le jugement de la Cour suprême “va aider les gens à afficher publiquement leur sexualité”. Âgé de 40 ans, il est “l’un des rares” à l’avoir fait depuis bien longtemps, comme le réalisateur Onir, mais il n’en avoue pas moins avoir été “chamboulé” par la suppression de l’article 377 du Code pénal qui punissait de prison les homosexuels en Inde. Apurva Asrani a surtout été “bouleversé par les excuses” que l’institution suprême de la magistrature a présentées à la communauté gay.
À part Aligarh, plusieurs autres films ayant pour thème l’homosexualité ont bien marché récemment au box-office, signe que la censure laissait parfois passer, comme Loev, de Sudhanshu Saria, en 2015, ou l’année suivante Dear Dad, de Tanuj Bhramar, et Kapoor and Sons, produit par Karan Johar, autre cinéaste ayant fait son coming out. “Je pense que c’est le signe que le cinéma se libère sur cette question”, commente Apurva Asrani. Mais il n’y a pas qu’à Bollywood que les choses vont changer. Dans les studios de Madras, le cinéma tamoul pourrait bientôt se décrisper lui aussi, “bien que ses rapports avec la communauté LGBTQ aient été en grande partie problématiques”, observe The New Indian Express. Le comédien Ashwinjith, qui a tenu le rôle-titre dans My Son is Gay, sorti en 2018, trouve par exemple que c’est “le pays tout entier qui va maintenant dans la bonne direction”.
Selon The Free Press Journal, le cinéma a d’ores et déjà joué “un rôle considérable dans l’évolution des mentalités”, ainsi que le démontre le nombre de films de ces dernières années ayant abordé le thème de l’homosexualité. Et de citer Fire de Deepa Mehta (1996), l’un des premiers longs-métrages indiens à aborder frontalement le sujet des relations homosexuelles, mais aussi Girlfriend de Karan Razdan (2004), My Brother… Nikhil du fameux Onir (2005) et Déesses indiennes en colèrede Pan Nalin (2015).
Guillaume Delacroix
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