Cette affaire avait suscité l’indignation à l’étranger. La Cour suprême du Pakistan a acquitté en appel la chrétienne Asia Bibi, condamnée à mort pour blasphème en 2010, selon un verdict rendu mercredi 31 octobre. « Elle a été acquittée de toutes les accusations », a déclaré le juge Mian Saqib Nisar lors de l’énoncé du verdict, ajoutant qu’elle allait être libérée « immédiatement ».
Chrétienne du Pendjab, Asia Bibi, ouvrière agricole, ramassait des baies rouges le 14 juin 2009 dans le village d’Ittan Wali, lorsqu’elle commit l’irréparable aux yeux de ses voisines : boire de l’eau dans un puits supposé réservé aux musulmans.
Parce qu’elle a répondu aux femmes qui l’accusaient d’avoir sali l’eau, cette mère de cinq enfants a été accusée de « blasphème », un acte passible de la peine de mort au Pakistan. Aussitôt jetée en prison, Asia Bibi a été jugée en novembre 2010 et condamnée à la peine capitale par pendaison. Cette mère de famille, qui clame son innocence, avait fait appel de cette décision.
Lors de l’examen de son recours, début octobre, les juges de la Cour suprême avaient semblé s’interroger sur le bien-fondé de l’accusation. « Je ne vois aucune remarque désobligeante envers le Coran dans le rapport d’enquête », avait observé le juge Saqib Nisar, tandis qu’un second juge, Asif Saeed Khan Khosa, relevait plusieurs points de non-respect des procédures.
Colère des milieux religieux fondamentalistes
Son cas avait eu un retentissement international, attirant l’attention des papes Benoît XVI et François. En 2015, l’une des filles d’Asia Bibi avait rencontré le pontife argentin. Ce verdict pourrait susciter la fureur des milieux religieux fondamentalistes, qui appelaient de longue date à l’exécution d’Asia Bibi. Des islamistes radicaux avaient ces dernières semaines menacé les juges statuant sur son cas en cas de jugement favorable.
« Les musulmans pakistanais prendront les mesures adéquates face aux juges (…) et les conduiront à une fin horrible », avaient fait savoir des responsables du Tehreek-e-Labaik Yah Rasool Allah Pakistan (TLY), un groupe religieux extrémiste devenu parti politique, qui fait de la punition du blasphème sa raison d’être. « Les adorateurs du Prophète ne reculeront face à aucun sacrifice », avaient-ils lancé.
Face à ces menaces, le premier ministre pakistanais, Imran Khan, a appelé mercredi au respect de la décision de la Cour suprême. Lors d’une intervention télévisée, le chef du gouvernement a appelé ses compatriotes à « ne pas céder » à ceux qui appellent à rejeter ce verdict car ils le font « pour leur propre intérêt politique » et « ne rendent pas service à l’islam ». Ce langage est celui « des ennemis du Pakistan », a-t-il lancé. « Ne nous forcez pas à agir », a-t-il ajouté à l’adresse de ceux qui « incitent à la violence » dans le pays.
Le blasphème est un sujet extrêmement sensible dans ce pays très conservateur où l’islam est religion d’Etat. La loi prévoit jusqu’à la peine de mort pour les personnes reconnues coupables d’offense à l’islam.
Mercredi, la capitale Islamabad avait été placée sous haute sécurité, avec des barrages sur les routes notamment à proximité des quartiers où vivent les magistrats et la communauté diplomatique, a constaté l’Agence France-Presse.
Le Monde.fr avec AFP
• Le Monde.fr avec AFP | 31.10.2018 à 05h56 • Mis à jour le 31.10.2018 à 17h50 :
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L’acquittement d’Asia Bibi déclenche des manifestations dans tout le pays
Cette mère de famille chrétienne avait été condamnée à mort par le tribunal de Lahore en 2010, pour avoir blasphémé Mahomet. La Cour Suprême vient de lui accorder une libération surprise.
Coup de théâtre à Islamabad. Mercredi 31 octobre, la Cour suprême du Pakistan a acquitté Asia Bibi, une mère de cinq enfants de confession chrétienne, qui avait été condamnée à mort pour blasphème en 2010. Une affaire qui avait scandalisé de très nombreux pays dans le monde. Comme le rappelle le journal Dawn, le cas d’Asia Bibi était très disputé : “Dès 2011, le gouverneur du Pendjab (où la sentence de la jeune femme avait été prononcée, ndlr) avait été abattu en plein jour pour lui avoir apporté son soutien. L’assassin avait été condamné à mort et exécuté en 2016.”
Il était reproché à Asia Bibi d’avoir “insulté le prophète Mahomet en présence de trois femmes musulmanes, avec lesquelles elle ramassait des fruits dans un champ”. L’intéressée avait démenti, assurant qu’elle s’était fâchée avec ses accusatrices qui avaient refusé de boire de l’eau apportée par ses soins, au motif qu’elle était chrétienne. L’an passé, la Cour suprême avait déjà dénoncé “les excès” de la loi en matière de blasphème, notamment en l’absence de preuves suffisantes, souligne Dawn. Les juges ont du reste précisé que la peine capitale “viole l’obligation du Pakistan de respecter le droit à la vie et à un procès équitable, et d’interdire la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants”.
La libération immédiate d’Asia Bibi ne fait pas que des heureux. Face aux menaces de manifestations de mécontentement après l’annonce de son acquittement, la région du Sindh, dans le sud du pays, a “restreint les libertés de circulation à deux roues”, indique le quotidien The News. Les Taliban de l’organisation islamique Tehreek-e-Labbaik Pakistan sont de fait descendus dans la rue “à Lahore, Karachi, Islamabad et Peshawar”, rapporte le Daily Times, plusieurs routes ont même été “bloquées” par des camions garés en travers de la chaussée. Au Pendjab, les rassemblements de plus de quatre personnes ont été “interdits jusqu’au 10 novembre”.
Guillaume Delacroix
• Le Courrier international, 31/10/2018 - 15:10 :
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