Chers camarades,
Pardonnez ces quelques lignes écrites à la hâte. Je suis emprisonné, enchaîné par le militarisme. Il m’est donc impossible de vous rejoindre ...
Deux tâches sérieuses se posent devant vous. Une tâche dure, celle du rude devoir, et une tâche sacrée, celle de l’enthousiasme et de l’espérance.
Règlement des comptes, impitoyable règlement des comptes avec les déserteurs et transfuges de l’Internationale, d’Allemagne, d’Angleterre, de France et d’ailleurs.
Compréhension, encouragement et exhortations réciproques de tous ceux qui sont restés fidèles au drapeau, qui sont résolus à ne pas reculer d’un seul pas devant l’impérialisme international, en tomberaient-ils victimes. Faire de l’ordre dans les rangs de ceux qui sont décidés à tenir jusqu’au bout, à tenir jusqu’au bout et à lutter, fidèles au socialisme international.
Faire brièvement la clarté sur les principes de notre position vis-à-vis de la guerre mondiale, en tant que cas spécial de notre position de principe vis-à-vis de l’ordre social capitaliste, voilà de quoi il s’agit. Brièvement – je l’espère ! Car, à ce sujet, nous sommes tous, vous êtes tous, nous devons tous être d’accord.
Il s’agit avant tout de tirer les conclusions tactiques de ces principes. Sans aucun égard ! Pour tous les pays !
Guerre sacrée, non pas union sacrée ! Pour la solidarité internationale du prolétariat, contre l’harmonie des classes pseudo-nationale, pseudo-patriote. Lutte de classe internationale pour la paix, pour la révolution socialiste ! Il faut dire comment il faut lutter. Ce n’est que par la collaboration, par les rapports réciproques entre pays, que les plus grandes forces possibles, s’encourageant réciproquement, peuvent être réunies, que les succès possibles peuvent être obtenus.
Les amis de chaque pays tiennent dans leurs mains les espoirs et les perspectives des amis de chaque pays. Surtout vous, socialistes français et allemands, vous êtes la destinée l’un de l’autre. Vous, les amis français, je vous en conjure, ne vous laissez pas ensorceler par la phrase d’union nationale — c’est certain que vous ne donnerez pas dans ce piège-là ! — pas plus que par celle non moins dangereuse de l’unité du parti. Chaque protestation, par contre, chaque manifestation de votre opposition à la politique gouvernementale officieuse, chaque profession de foi hardie pour la lutte de classe, pour la solidarité avec nous, pour la volonté prolétarienne de paix, renforce notre combativité, décuple notre force d’agir dans le même sens en Allemagne pour le prolétariat mondial, pour son émancipation économique et politique, pour son affranchissement des chaînes du capitalisme, mais aussi des chaînes du tsarisme, du « kaisérisme », du « junkerisme », du militarisme, du militarisme non moins international ; décuple notre force de lutter en Allemagne pour la libération politique et sociale du peuple allemand, contre la puissance et l’expansionnisme des impérialistes allemands, pour une paix prochaine qui rende la liberté et l’indépendance à la Belgique malheureuse, et la France au peuple français.
Frères français, – nous connaissons les difficultés particulières de votre situation tragique, nous saignons avec vous comme avec la masse torturée et lapidée de tous les peuples. Votre malheur est le nôtre, nous qui savons que notre douleur est la vôtre. Que notre lutte soit la vôtre, aidez-nous comme nous jurons de vous aider.
La nouvelle Internationale naîtra, peut naître sur les ruines de l’ancienne, sur de nouveaux fondements plus solides. Vous les amis socialistes de tous les pays, vous devez aujourd’hui poser la première pierre de l’édifice de l’avenir. Jugez impitoyablement les faux socialistes ! Aiguillonnez impitoyablement les chancelants, les hésitants de tous les pays également... ceux d’Allemagne ! La grandeur du but vous aidera à passer par l’étroitesse et la petitesse du jour, par la misère de ces jours horribles.
Vive la paix des peuples de l’avenir ! Vive l’antimilitarisme ! Vive le socialisme international, révolutionnaire, émancipateur des peuples !
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
Karl Liebknecht
(1915)