L’abattage des arbres sur les îles Salomon, un petit État de 667 000 habitants du Pacifique sud, est 19 fois plus rapide que le rythme jugé viable pour les forêts naturelles de l’archipel, écrit l’ONG Global Witness dans un rapport [mis en ligne en octobre]. “C’est vraiment inquiétant, commente Beibei Yin, chargée de campagne de l’organisation, qui a supervisé l’étude. Si l’abattage se poursuit à ce rythme, les ressources de ces forêts seront épuisées d’ici à 2036.”
L’équipe dirigée par Beibei Yin a étudié l’exploitation forestière sur les îles Salomon en s’aidant d’images satellites et de drones. Elle a également rassemblé des données de recherche sur les forêts de l’archipel et sur le rôle de ces ressources cruciales dans son économie. Il est ressorti de cette étude que le plus gros client des îles Salomon a la possibilité – et la responsabilité – de faire face à la situation. La majeure partie du bois exporté – plus de 80 % selon les calculs de Global Witness – est destinée à la Chine.
Certains pays d’Asie du Sud-Est et d’Afrique ayant durci les restrictions sur les exportations de bois, la Chine s’est, semble-t-il, tournée vers d’autres sources comme les îles Salomon et sa voisine, la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Ces pays représentent à eux deux la moitié des importations chinoises de bois tropical.
Selon une analyse des données de Global Forest Watch (GFW) publiée par le site Mongabay, entre 2001 et 2017, et surtout depuis 2010, les Salomon ont perdu 1 440 kilomètres carrés de couvert forestier – soit l’équivalent de la moitié du parc national de Yosemite [en Californie].
100 000 alertes déforestation
Dans les années 2000, l’abattage des arbres a entraîné la disparition des paysages forestiers intacts de deux des plus grandes îles de l’archipel, Malaita et Santa Isabel. Et le défrichement semble se poursuivre si l’on en juge par les quelque 100 000 alertes déforestation [Global Land Analysis &Discovery] – qui localisent quasiment en temps réel une perte probable de couvert forestier – enregistrées par GFW durant la seule année 2018.
Les îles Salomon et la Papouasie-Nouvelle-Guinée luttent pour protéger leurs forêts et, par extension, les populations qui en vivent. Selon Beibei Yin, les autorités chinoises ne se sont pas encore penchées sur ces problèmes. “Comme il n’y a pas de loi en Chine pour interdire ce commerce, toutes les importations y sont parfaitement légales, explique-t-elle, même si l’abattage des arbres à de fortes chances d’être illégal dans les pays où il se produit.”
Aux États-Unis et en Europe, les consommateurs de produits chinois risquent de ce fait de violer les lois de leur propre pays. Une étude récente, publiée [en juin] dans la revue américaine Aera, fait apparaître des liens entre la demande des États-Unis et la déforestation dans le bassin du Congo, en Afrique, pour fournir des matières premières aux fabricants de meubles chinois [qui sont donc vendus aux Américains].
Les marchés les plus réglementés, dont ceux de l’Union européenne et des États-Unis, poursuit Beibei Yin, ont des lois qui contraignent les importateurs à s’assurer que les produits qu’ils achètent sont constitués de fournitures “légales”. Les recherches de son équipe montrent cependant que les îles Salomon luttent depuis des décennies contre les problèmes d’illégalité et de viabilité qui affectent le secteur de l’exploitation forestière.
Pots-de-vin et conflits fonciers
Des recherches antérieures avaient montré que les entreprises d’abattage ont “couramment” recours aux pots-de-vin, que les propriétaires fonciers ne sont pas bien informés sur la récolte de bois ou qu’on les force à céder les droits d’exploitation de leurs terrains, et que les conflits fonciers sont le type de litige le plus fréquent dans l’archipel.
Ces rapports indiquent également que les îles Salomon, comme beaucoup de pays producteurs de bois, étudient la manière la plus efficace de faire appliquer la loi sur l’exploitation forestière, en particulier dans les zones les plus reculées.
Beibei Yin et son équipe ont demandé à des entreprises d’abattage de Chine et de Malaisie, où cette industrie est très développée, ce qu’elles pensaient des résultats de leur étude, mais elles n’ont pas reçu de réponses sur le fond du problème, et les tentatives de Mongabay pour recueillir leurs avis ont été tout aussi vaines. “Les résultats de nos recherches sur le risque considérable d’illégalité et de non-viabilité devraient alarmer les milieux d’affaires et les responsables politiques chinois”, déplore la chercheuse.
Bill Laurance, professeur d’écologie tropicale à l’université James-Cook, en Australie, observe qu’aux îles Salomon les effets des agissements de la Chine se répercutent non seulement sur les environs des zones forestières, mais aussi sur l’économie du pays. Avec son équipe, il étudie le développement des infrastructures dans la région, et tout particulièrement le réseau routier.
La Chine invitée à étendre ses engagements au-delà de ses fontières
Selon les données de Global Witness, les îles Salomon comptent plus de 12 000 kilomètres de routes pour une superficie à peine deux fois supérieure à celle de Pékin. “Nos travaux dans les îles Salomon montrent que les coûts environnementaux d’une déforestation effrénée sont très lourds et que son impact sur l’économie est tout aussi important, indique Bill Laurance.
Aujourd’hui, les ressources en bois commercialisable des îles Salomon sont en train de s’épuiser et l’économie du pays est en chute libre, le scénario classique de la bulle qui finit par éclater.”
Le pays est classé 152e sur 189 dans l’indice de développement humain des Nations unies et le PIBpar habitant est d’environ 1 900 dollars [1 600 euros], un niveau équivalent à celui du Rwanda, du Mali et de l’Afghanistan.
Et selon Bill Laurance, “la Chine est au cœur de la crise”. Global Witness a demandé aux îles Salomon d’imposer un moratoire sur l’abattage afin d’évaluer les quantités à respecter pour assurer la viabilité des ressources de bois et la légalité des opérations. Mais compte tenu du rôle central joué par la Chine, l’ONG invite également Pékin à étendre, au-delà de ses frontières, ses engagements à lutter contre le changement climatique et l’abattage illégal, pour protéger les forêts de pays comme les îles Salomon, mais aussi les pays avec lesquels la Chine fait des affaires. Pour Global Witness, les lois chinoises devraient exiger des entreprises qu’elles s’assurent que le bois qu’elles importent a été abattu de manière viable et légale.
“Nous devrions tous nous inquiéter de notre propre consommation et de notre contribution à la destruction des forêts du Pacifique, plaide Beibei Yin. Le temps presse, car on est déjà en train de dévaster les forêts des fournisseurs tropicaux de la Chine.”
John C. Cannon
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