Agé de 16 ans, le jeune A. vient d’être relâché de la prison de Tel-Mond, dans le district de Sharon, après cinq mois de détention. Originaire de Housan, un village proche de Bethléem, il avait été arrêté sur le chemin de l’école, un lundi matin, près de la maison de sa tante. En fait, les soldats de Tsahal recherchaient son cousin de 23 ans. Mais A., qui était dépourvu de carte d’identité en raison de son jeune âge, fut pris pour ce cousin et interpellé. A peine fut-il arrêté, raconte-t-il, que les soldats se mirent à le rouer de coups en hurlant : “Pourquoi est-ce que tu jettes des pierres ?” Ils l’emmenèrent ensuite dans un poste de contrôle militaire où il fut à nouveau battu, à coups de bâton cette fois-ci. Il se plaint encore de douleurs au dos. Quand les soldats se sont finalement aperçus que A. n’était pas le jeune recherché, le responsable de Tsahal pour la région de Bethléem n’en a pas moins appelé sa mère pour lui signifier que son fils était arrêté. Deux heures plus tard, A. fut emmené au centre de détention d’Etzyon [une colonie située entre Jérusalem et Bethléem].
Menotté et les yeux bandés, il fut à nouveau battu tandis que les soldats exigeaient qu’il avoue avoir jeté des pierres sur les voitures et qu’il livre les noms d’autres lanceurs de pierres. Sa tête fut plongée dans un tonneau d’eau froide, puis d’eau chaude et, enfin, dans la cuvette des toilettes. Quelques heures plus tard, il était transféré du centre d’Etzyon à celui d’Adoraïm, plus connu chez les Palestiniens sous le nom d‘ “El Majnouna” [La dingue]. A. fut maintenu en isolement à El Majnouna pendant trente-quatre jours, faisant ses besoins dans une boîte en plastique et recevant sa nourriture à travers une ouverture pratiquée dans la porte. Interrogé tous les jours, il se rappelle que certains de ses questionneurs étaient habillés en civil et se faisaient appeler “capitaine Hakim”, “capitaine Shawkat” ou “capitaine Ayyoub”. Il y avait aussi des bérets rouges qui se faisaient appeler “Yossi” ou “Ozmo”.
Quand A. fut emmené au tribunal pour que les juges statuent sur sa détention préventive, il fut condamné à rester incarcéré jusqu’à la fin de la procédure, ce que les prisonniers et leurs avocats appellent le “chèque en blanc”. A. fut par la suite transféré en Israël, à la prison de Tel-Mond. Le 2 février dernier, A. a été jugé par le tribunal militaire de Beit-El [colonie proche de Ramallah]. Selon les termes de l’accusation, “pendant les mois de septembre, octobre et novembre, il a jeté un objet ressemblant à une pierre sur un véhicule dans l’intention de blesser le conducteur. A vingt-cinq reprises, durant ladite période, lui et d’autres ont jeté des pierres sur les véhicules israéliens et militaires qui passaient par le carrefour de Beit-Anoun. A chaque fois, l’accusé a jeté huit pierres.” A la lecture de l’acte d’accusation, un avocat palestinien ironise : “Il faut croire que le procureur militaire dispose d’un registre spécial dans lequel sont consignées minutieusement les occasions durant lesquelles A. a jeté des pierres et le nombre exact de pierres…” Pendant sa détention, les parents de A. n’ont jamais été autorisés à lui rendre visite.
Depuis le début de l’Intifada, en septembre 2000, les prisonniers cisjordaniens détenus en territoire israélien n’ont en effet pas le droit de voir leurs familles. Cela fait six mois que la Croix-Rouge internationale, responsable de l’organisation de ces visites, les a suspendues en protestation contre ce qu’elle appelle “les énormes obstacles créés par les autorités israéliennes”. B., aujourd’hui âgé de 14 ans, est également originaire de Housan. Il a été accusé d’avoir jeté 32 pierres à deux reprises. N’étant pas chez lui lorsque les soldats de Tsahal sont venus l’arrêter, en décembre dernier, B. a choisi d’aller se constituer prisonnier à la caserne israélienne d’Etzyon. “Je voulais au moins m’épargner quelques passages à tabac de la part des soldats qui seraient venus m’épingler”, explique-t-il. Il a lui aussi échoué à la prison de Tel-Mond. Lors de leurs procès respectifs, les deux jeunes ont reconnu avoir jeté des pierres. A. a été condamné à huit mois de prison et à une amende de 1 500 shekels [3 600 FF], tandis que B. a écopé de six mois de prison et d’une amende de 500 shekels [1 200 FF]. Tous deux ont été relâchés après avoir purgé les deux tiers de leur peine. Selon A. et B., environ 50 autres mineurs palestiniens étaient incarcérés en même temps qu’eux à Tel-Mond, beaucoup venant du même village de Housan.
Ils affirment que les jeunes détenus - qu’ils soient en attente de leur jugement ou déjà condamnés - sont mêlés à des criminels adultes d’origine palestinienne ou issus des minorités ethniques israéliennes. Tous deux affirment également que ces adultes ont recours à la violence (coups, lames de rasoir, brûlures de cigarette) ou à la menace pour forcer les mineurs, surtout les plus faibles, à être leurs esclaves. Ils leur volent les cigarettes, les vêtements, les cartes de téléphone et la nourriture qu’ils achètent à la cantine de la prison. Certains adultes essaient aussi de violer les jeunes dans leur cellule. Selon un habitant de Housan, des parents de mineurs emprisonnés en Israël et des émissaires de l’Autorité palestinienne auraient approché les familles de certains prisonniers soupçonnés d’abus sexuels. Ils les auraient chargées de faire savoir aux individus en question qu’ils feraient l’objet d’une vengeance - en prison ou une fois libérés - s’ils ne mettaient pas fin à ces abus. “Nous avions demandé aux autorités pénitentiaires israéliennes de prendre des mesures pour protéger nos enfants emprisonnés. Mais elles n’ont rien fait”, explique cet homme. A et B. ne sont pas les seuls à avoir subi ces abus.
Leurs plaintes contre les coups et la torture pendant la détention préventive et les interrogatoires, ainsi que celles relatives aux abus sexuels, correspondent aux témoignages recueillis par les avocats Khaled Kuzmar et Sahar Fransis auprès d’autres jeunes prisonniers palestiniens. Tous deux représentent la section palestinienne de l’ONG Defense for Children International (DCI) et de l’ONG Ad Damir, une organisation de défense des prisonniers palestiniens dont le siège est à Ramallah. Début mai, après une visite à la prison pour femmes de Neveh Tirtza, à Ramlé, DCI a publié un rapport révélant que deux des neuf prisonnières palestiniennes détenues étaient des mineures. L’une d’elles, G., originaire de Doura, n’avait que 14 ans. Selon M. Kuzmar, Israël aurait arrêté quelque 350 mineurs palestiniens âgés de 12 à 18 ans depuis le début de l’Intifada d’Al Aqsa.
Les organisations palestiniennes de défense des droits de l’homme, se fondant sur la Charte des droits de l’enfant de l’ONU, rappellent que la majorité ne commence qu’à 18 ans. Tsahal, quant à elle, estime que la minorité s’arrête à 16 ans dans les Territoires. Selon les estimations de DCI, 105 mineurs palestiniens de moins de 18 ans ont été tués l’année dernière dans les Territoires, dont 49 entre le 29 septembre et le 31 décembre. Un tiers d’entre eux ont été abattus d’une balle dans la tête ; un autre tiers de balles tirées en pleine poitrine ; les autres sont morts des suites de leurs blessures. La moitié des mineurs palestiniens détenus en Israël ont entre 15 et 16 ans, et 40 % d’entre eux sont condamnés à des peines de prison allant de six à douze mois. Les mineurs palestiniens sont arrêtés pendant les manifestations ou dans leurs foyers, généralement en pleine nuit, sur la foi de photos, de témoignages d’autres détenus ou de renseignements donnés par des indicateurs. Les mineurs arrêtés à Jérusalem-Est et dans ses environs sont placés en détention préventive à la Moskobiya, dans la colonie russe, à Jérusalem-Ouest. Après leurs interrogatoires, ils passent devant le tribunal de district.
Si certains sont placés en résidence surveillée, la plupart des autres sont envoyés à Tel-Mond. Les mineurs palestiniens de 17 ou 18 ans placés en préventive sont détenus à la prison de Megiddo, tandis que les autres sont incarcérés dans l’une des quatre prisons militaires israéliennes de Cisjordanie (Etzyon, Adoraïm, Beit-El et Hawara), dans une prison de la Bande de Gaza (près d’Erez) ou bien dans la prison de Tel-Mond, qui dépend, elle, de l’administration pénitentiaire, c’est-à-dire de l’administration civile. Les centres de détention de Cisjordanie et de Gaza ne sont normalement pas habilités à accueillir des prisonniers. Selon les dossiers de Me Kuzmar, la plupart des mineurs sont accusés de jets de pierres, les autres de jets de cocktails Molotov, d’appartenance à une organisation ennemie ou de détention d’armes artisanales confectionnées avec les débris ramassés sur le sol.
“Dans de nombreux cas, et malgré le fait qu’il est clair que ces armes improvisées sont inefficaces et à peine dangereuses, surtout à cette distance, le procureur militaire ajoute une charge de tentative de meurtre. Le but est d’impressionner le tribunal militaire et de l’encourager à infliger une longue peine de prison.” Me Kuzmar rappelle que l’article 123 de la loi militaire applicable dans les Territoires occupés limite les peines de prison infligées aux mineurs de 12 à 14 ans à un maximum de six mois. Le même article précise que les mineurs âgés de 14 à 16 ans peuvent être condamnés à un maximum de douze mois de prison à condition qu’ils aient commis un crime pour lequel un majeur serait condamné à cinq ans. Dans la plupart des cas, explique l’avocat, les mineurs voient retenir contre eux des charges si lourdes qu’ils sont en fait condamnés à des peines exorbitantes. Ainsi, la peine maximale pour les jets de pierres sur des voitures est de cinq ans ; les jets de pierres intentionnels sur des particuliers sont passibles d’un maximum de dix ans de prison ; quant aux jets de pierres sur des voitures avec intention de blesser leurs occupants, ils peuvent entraîner vingt ans de prison ferme.
“Notre expérience montre qu’il est extrêmement rare que des mineurs palestiniens soient acquittés, placés en résidence surveillée ou remis en liberté conditionnelle. Et cela n’arrive que dans des tribunaux civils, explique Me Kuzmar. Les tribunaux militaires n’accordent jamais l’acquittement et infligent immanquablement des amendes ou des peines de prison, une façon de punir dans la foulée les familles des mineurs, des familles qui vivent déjà dans des conditions d’existence pénibles. L’âge qui est pris en compte par ces tribunaux militaires est en outre celui qui correspond à la date du jugement, et non celui qu’avait l’inculpé au moment des faits incriminés.” Selon le porte-parole de Tsahal, 45 mineurs âgés de 16 ans au maximum ont été détenus dans des centres carcéraux de Cisjordanie et de Gaza depuis le 28 septembre 2000. Le plus jeune détenu palestinien avait 10 ans. La plupart sont des garçons.
De septembre dernier à aujourd’hui, les dossiers de quelque 40 suspects gazaouites âgés de moins de 18 ans ont été transmis au procureur militaire, et 35 mineurs sont passés devant le tribunal, les autres dossiers ayant été clos par manque de preuves. Concernant la Cisjordanie, où des centaines de dossiers ont été ouverts, le porte-parole de Tsahal est incapable de dire combien de mineurs ont été arrêtés depuis septembre et combien de dossiers ont été transmis au procureur militaire. Tous les mineurs qui ont subi un procès en Cisjordanie ont été condamnés. La plupart étaient accusés de délits aussi divers que jeter des pierres, troubler la paix, brûler des pneus ou quitter leurs zones autonomes sans permission. Les peines s’échelonnent de quelques jours à un an de prison ferme, tandis que les amendes oscillent entre 250 et 3 000 shekels [600 et 7 500 FF]. Ceux qui ne peuvent s’acquitter de leur amende voient leur peine allongée. A la mi-avril, il y avait 64 détenus de 17-18 ans à la prison de Megiddo, chiffre qui ne prend pas en compte les mineurs âgés de moins de 16 ans. Ce que l’on sait, c’est que 11 mineurs de moins de 16 ans attendent encore leur jugement dans une prison militaire.
Début mai, le cabinet du porte-parole de l’administration pénitentiaire déclarait que l’aile réservée aux jeunes à la prison de Tel-Mond contenait actuellement 96 mineurs palestiniens : 58 d’entre eux seraient condamnés pour résidence illégale en Israël et 38 autres seraient jugés ou en attente de jugement pour “atteinte à la sécurité”. Toujours selon ce porte-parole, tous les problèmes rencontrés dans l’aile des jeunes sont immédiatement et correctement traités. En réponse aux plaintes de jeunes Palestiniens selon lesquelles ils auraient été torturés durant leurs interrogatoires et leur détention dans les casernes israéliennes, le porte-parole de Tsahal affirme que, “à la suite d’une enquête menée par la police militaire, le bureau du procureur militaire et le Shabak, ce dossier devrait être pris en charge par l’administration pénitentiaire ou la police israélienne”. Or ces deux instances n’ont aucune compétence pour traiter des activités de Tsahal dans les Territoires et dans les centres de détention militaire.
Joseph Algazy
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