Il en va ainsi des appels à manifester ce 8 mars à l’occasion de la Journée internationale de lutte des femmes. Soit l’on manifestait contre l’intégrisme dimanche avec Ni putes ni soumises, soit l’on manifeste aujourd’hui avec la Marche mondiale et le Collectif national pour les droits des femmes, mais alors on devrait céder aux sirènes des intégristes islamiques si l’on en croit les médias.
L’histoire mérite d’être racontée par son début. L’appel lancé pour défiler dimanche dernier, le 6 mars, n’initiait pas « un nouveau combat féministe ». Les luttes contre la polygamie, l’excision, les accords bilatéraux entre la France et certains pays et appliquant aux ressortissantes de ces pays vivant en France des « codes de statut personnel » discriminatoires sont des luttes que les féministes assument depuis les années 1970. Les luttes contre les violences faites aux femmes, qui existent d’ailleurs dans tous les milieux sociaux, ont commencé dès 1972 et perdurent encore. La campagne contre les violences faites aux femmes, lancée par le Collectif national pour les droits des femmes et dont le point d’orgue a été la manifestation nationale du 27 novembre 2004, et la préparation d’une proposition de loi-cadre en sont les témoins. La lutte contre les intégrismes religieux ne date pas d’hier non plus : en 1990, c’est pour riposter aux opposants à l’avortement, intégristes chrétiens, qu’était créée la Coordination pour le droit à l’avortement et à la contraception (Cadac) qui a, entre autres, à son actif, le vote, en 1993, de la loi sur le délit d’entrave à l’IVG. La manifestation du 25 novembre 1995, qui a regroupé 40 000 personnes à l’appel de 140 associations, syndicats et partis, et qui est à l’origine de la création du Collectif national pour les droits des femmes en 1996, comportait parmi les quatre mots d’ordre mis en avant : « Contre la remontée de l’ordre moral ». Est-ce cette unité pérenne qui gêne aujourd’hui et que l’on cherche à briser à tout prix ?
L’histoire est donc celle-là, de grâce, pas de réécriture de sinistre mémoire.
Revenons maintenant à une histoire plus récente. Octobre 2003 : à l’ouverture du Forum social européen de Paris, lors de l’Assemblée européenne des femmes, Chahla Chafiq-Beski, Fatima Lalem du Planning familial et Maya Surduts du Collectif national pour les droits des femmes signaient une tribune dans Libération contre la présence de Tariq Ramadan au FSE. Quatre jours plus tard, les mêmes plus quelques militantes du collectif distribuaient ce texte en tract devant une assemblée plénière à Ivry, où figurait Tariq Ramadan.
Le 6 mars 2004, alors que le débat sur le voile faisait rage, le Collectif national pour les droits des femmes appelait à manifester autour d’un texte intitulé : « Nous manifesterons dans l’unité le 6 mars car il y a urgence à défendre les droits des femmes. » Celui-ci avait été précédé d’un article dans les pages Rebonds de Libération le 27 janvier 2004 « Contre le racisme et pour les femmes ». Déjà, nous défendions la voie médiane. Que disions-nous en substance ? Que le voile était un instrument d’oppression des femmes et non « un symbole d’émancipation et de révolte » et que la lutte contre tous les intégrismes était capitale. Que nous avions aussi à faire face à un gouvernement acteur de la plus gigantesque régression sociale depuis bien des années. Qu’il fallait défendre l’avortement et le droit de choisir sa sexualité, lutter contre les violences faites aux femmes, revendiquer l’égalité FrançaisEs et immigréEs, condamner la casse des services publics, la marchandisation des corps, se battre contre la guerre et son idéologie.
Ni l’association Ni putes ni soumises, ni le collectif Une école pour toutes et tous ne signèrent cet appel. Les deux furent cependant présentes à la manifestation ; Ni putes ni soumises dans un deuxième cortège où figuraient d’ailleurs des membres du gouvernement, Une école pour toutes et tous étant reléguée par le service d’ordre en fin du premier cortège. Jamais il n’y eut trace dans cette manifestation de l’UOIF et faire l’amalgame entre cette manifestation et celle du 7 novembre 2004 sur le racisme et l’antisémitisme, à laquelle participèrent presque toutes les forces politiques et syndicales de gauche, même si elles se sont déchirées à ce sujet, à l’exclusion de la mouvance SOS Racisme et Ni putes ni soumises, relève de la désinformation.
Arrive donc le 8 mars 2005. Ni putes ni soumises initie son collectif pour un nouveau combat féministe. Le collectif décide de participer au lancement de la Marche mondiale 2005 et de manifester le 8 mars au soir, jour de ce lancement. La Marche mondiale et le CNDF organisent des réunions unitaires pour construire la mobilisation et lancent un appel à signatures. Une école pour toutes et tous donne sa signature. La réunion unitaire du jeudi 24 février décide, à une très large majorité sur le fond et au nom de l’unité du collectif, de la refuser. Le MFPF, qui s’était retiré à cause de cette signature, maintient sa position. Et depuis, c’est haro sur le baudet de toutes parts... Nous serions des suppôts de l’intégrisme, nous serions peu claires, nous aurions des fréquentations louches...
Il faut savoir raison garder. Ce n’est pas parce qu’un groupe s’acharne à vouloir accoler sa signature aux initiatives du CNDF que le CNDF qui décline l’invitation a changé de nature. Quelle structure peut aujourd’hui se targuer de ne pas avoir été divisée autour de la loi sur le voile ? Quelle structure peut se vanter aujourd’hui de ne pas être agitée de soubresauts ? Nous luttons depuis longtemps contre tous les intégrismes. Mais la lutte pour les droits des femmes ne se borne pas à la lutte pour la mixité et la laïcité, elle est autrement plus large que cela. Elle inclut la lutte contre le patriarcat dans son ensemble, le libéralisme et la mondialisation capitaliste. Le combat altermondialiste a toute sa légitimité, même si le problème des alliances en son sein suscite de vifs affrontements.
L’oppression des femmes, l’exploitation des femmes imprègnent tous les pores de la société. Nous la combattons partout, sans exception.
Suzy Rojtman , Maya Surduts