Trois gilets jaunes ont été placés en garde à vue à Angoulême, suite à l’ouverture d’une enquête à la demande du Parquet. Ils sont soupçonnés d’avoir participé à la mise en scène d’une décapitation de Macron à l’occasion d’une manifestation organisée le 21 décembre et dûment déclarée en préfecture. Ils sont accusés de « provocation publique à la commission d’un crime » et « outrage à personne dépositaire de l’autorité publique ». La préfète du département des Charentes qui a été la première à sonner la charge a dénoncé des « faits portant gravement atteinte tant à la personne qu’à la fonction du Président de la République ». Edouard Philippe a ensuite pris le relais, en twittouillant.
Pour que la mesure soit tout à fait complète, des journalistes de la presse locale qui avaient rendu compte de ce mini-événement ont été convoqués chez les flics en qualité de « témoins mis en cause » – si l’on comprend bien, le simple fait d’avoir « couvert » l’action en question en fait des complices objectifs de ce supposé délit.
Tous ceux, fonctionnaires, magistrats, gouvernants, flics, échotiers (etc.) qui se sont attelés à la répression et à la stigmatisation de cette roborative mise en scène méritent à leur tour d’être convoqués en vue d’un sérieux rappel, non pas à la loi, mais à la connaissance historique élémentaire.
Première remarque générale : l’exécution en effigie des gouvernants, quels qu’ils soient, à l’occasion de manifestations publiques et de défilés de rue, est, sous la V° République, de tradition, une routine presque. Généralement, les responsables politiques honnis, pour des raisons variées mais généralement bien fondées, sont pendus en effigie et trimballés en cet appareil, du début à la fin de la manif, à bout de bras, par quelque robuste syndicaliste, pas plus cannibale et assoiffé de sang que ça pour autant. Il n’y a que les cons, ès qualités ou pas, qui ne savent pas faire la différence entre une potence, une guillotine en carton (une effigie) et une vraie. Et il serait bon que les mêmes nous expliquent en quoi un important pendu, c’est quand même plus tempéré qu’un homme d’Etat tranché.
Seconde remarque : dans le régime traditionnel des pénalités, en France, en Angleterre, notamment, la mort infligée par pendaison c’est la mort vile, celle que le pouvoir royal et ses exécuteurs de basses œuvres infligent au commun, au peuple, à la plèbe – ceci jusqu’en plein XIX° siècle, voir à ce propos le classique ouvrage d’E. P. Thompson, La formation de la classe ouvrière anglaise, avec le cortège des pendaisons à la chaîne qui accompagne la lutte contre les illégalismes et les émeutes. La mort par décapitation, par contraste, c’est la mort noble – modalité réservée aux gentilshommes, aux gens de sang bleu qui ont offensé le souverain, ont comploté contre lui.
La « scène primitive » à laquelle fait implicitement mais distinctement référence le simulacre d’Angoulême, c’est évidemment la mise à mort de Charles 1er, le 30 janvier 1649, qui marque symboliquement la fin de la monarchie absolue en Angleterre et l’avènement provisoire de la République, sous Olivier Cromwell. Comme nul ne l’ignore, cet événement est, dans l’histoire européenne, un moment inaugural dans l’histoire de la souveraineté populaire.
Son équivalent symbolique, dans l’histoire française, c’est évidemment la mise à mort de Louis XVI, par décapitation aussi, un événement dont des philosophes du politique aussi négligeables que Jacques Rancière ou Alain Badiou ont montré qu’il était résolument indissociable de l’avènement de ce nouveau régime de la politique connu sous le nom de démocratie. Pas d’avènement de l’ère du citoyen sans rupture violente avec le temps de l’Ancien Régime, une rupture qui ne sera jamais aussi fortement et solidement imagée que dans et par cette cérémonie où le corps du roi est coupé en deux.
On s’en voudrait presque d’avoir à rafraîchir la mémoire des ineptes qui nous gouvernent et de tous les appareils dont ils s’entourent avec ces banalités – mais il semblerait que nous vivions dans un temps où l’inanité des maîtres et des Grands Citoyens culmine à de telles hauteurs qu’aucun rappel du b-a ba de la culture républicaine ne soit de trop.
Ce que signale la mise en scène d’Angoulême est tout à fait distinct : le retour en force, dans l’imagination du peuple en colère, de la symbolique de l’Ancien Régime, la notion vague mais tenace d’une sorte de monarchie absolue subrepticement restaurée, sous les apparences trompeuses d’un régime républicain en bout de course. Ce n’est pas pour rien que la mobilisation des gilets jaunes est suscitée, en premier lieu, par le fardeau écrasant de l’impôt, quelle qu’en soit la forme – un bon vieux motif d’Ancien Régime, analysé en son temps par Boris Porchnev, puis repris par Foucault. La cérémonie, plus combative et joyeuse (une sorte de carnaval) que sanguinaire et cannibale, de la mise à mort du tyran de papier, du petit monarque poudré enfermé dans ses présomptions et son palais de l’Elysée vient ponctuer, du côté de l’initiative populaire, la dérive néo-monarchique du régime présidentiel. Ce n’est au fond qu’une autre façon de nous rappeler que le mouvement des gilets jaunes, c’est bien la fuite à Varennes de Macron 1er. Ce n’est là qu’une des manifestations de la vivacité de cet imaginaire populaire agencé autour du motif du retour de la forme monarchique et dont le génial « Eh bien, donnez-leur du bio-carburant – signé : Brigitte Macron » inscrit sur un mur parisien au fort des événements de décembre, est un autre signe tangible.
Se trouvera-t-il un ou des juges pour condamner les trois d’Angoulême à des peines de prison ferme, avec sursis, des amendes, des rappels à la loi, des mises à l’épreuve (etc.) ?
Oui, selon toute probabilité et conformément à l’esprit du temps.
Le malheur c’est qu’il ne se trouvera personne, dans le même temps, pour aller condamner ces sourcilleux gardiens de l’indépendance de la Justice à une solide révision de leur catéchisme républicain. C’est bien dommage : ils y auraient appris qu’à défaut d’avoir coupé le roi en deux, nous serions encore et toujours des sujets et eux, réduits à acheter leurs charges.
Alain Brossat