Mardi 22 janvier Jair Bolsonaro a fait son premier discours à l’étranger à Davos, devant un parterre de CEO alléchés par le tournant ultralibéral et autoritaire que le président brésilien – ou plutôt son équipe, un mix de militaires et d’investisseurs ultralibéraux – commence à imposer au plus grand marché d’Amérique latine.
Le même jour, la presse brésilienne annonçait l’arrestation de cinq suspects liés à l’assassinat de Marielle Franco. Elle révélait aussi les liens entre un milicien soupçonné d’avoir commandité l’exécution de la militante et Flávio Bolsonaro, le fils de l’actuel président brésilien [1]. Des nouvelles que la grande presse suisse n’a pas cru bon de relayer.
La piste des milices. Conseillère municipale à Rio de Janeiro et militante du PSOL (Parti socialisme et liberté), Marielle Franco enquêtait sur le rôle des milices à Rio et leurs liens avec la police et le pouvoir politique. Elle a été assassinée, ainsi que son chauffeur Anderson, le dimanche 18 mars 2018.
Le 22 janvier, cinq hommes suspectés d’avoir organisé et participé à son assassinat ont été arrêtés. Tous seraient liés aux milices qui sévissent dans la communauté de Rio das Pedras (zone ouest de Rio). L’un d’entre eux, Ronaldo Paulo Alves Pereira, est major au sein de la Police militaire (PM) de Rio ; un autre, Maurício Silva da Costa, est un lieutenant, retraité, de la PM – une illustration de plus des liens étroits entre une police ultraviolente et les milices mafieuses qui mettent des quartiers entiers sous leur coupe – et pas seulement dans les favelas. Des milices « connues pour exterminer, torturer, menacer, extorquer, laver de l’argent et commettre encore d’autres crimes contre la population des communautés » [2]. Il faudrait rajouter à la liste l’accaparement d’habitations et de terres en zone urbaine.
Décoré par Flávio Bolsonaro. La police recherche activement huit autres suspects dont Adriano Magalhães da Nóbrega. Cet ex-capitaine du Bataillon d’opérations spéciales (Bope) de la police carioca – dont les méthodes ultraviolentes ont été révélées au public international par les films Tropa de elite (I et II) – serait le chef de la milice de Rio das Pedras, une des organisations criminelles les plus dangereuses à Rio.
Or selon les informations révélées par la presse brésilienne, Adriano Magalhães da Nóbrega semble avoir une relation privilégiée avec le fils du président brésilien. En 2003, Flávio Bolsonaro, alors député à l’Assemblée législative de Rio, a rendu un hommage appuyé au milicien, allant jusqu’à lui accorder la plus haute distinction du pouvoir législatif, la Médaille Tiradentes. Ce n’est pas tout. Selon un reportage réalisé par le journal O Globo, la mère et la femme du milicien ont travaillé pour le cabinet de Flávio jusqu’en novembre dernier. La maman, Raimunda, touchait un salaire de 6490.35 reais, dont elle repassait une partie à l’ancien chauffeur de Flávio – et ami de longue date de Jair Boslonaro – , Fabrício Queiroz. Fabricio Queiroz est aujourd’hui suspecté d’être un prête-nom dans une affaire de lavage d’argent et de corruption qui touche Flávio Bolsonaro depuis plusieurs semaines.
Marielle Franco
Des liens qui ne datent pas d’hier. La sympathie de la famille Bolsonaro pour les miliciens n’est pas nouvelle. L’actuel président brésilien a fait l’éloge publiquement, à plusieurs reprises, de ces groupes organisés, liés à la police, qui sèment la terreur à Rio de Janeiro. En 2006 e 2007, son fils Flávio a affirmé, au cours de discours tenus à l’Assemblée législative de Rio, que « la milice n’est rien d’autre qu’un groupe de policiers cherchant à extraire ce qu’il y a de pire au sein des communautés : les criminels ». Il avait aussi affirmé « ne pas comprendre cette persécution » [des miliciens] et s’était opposé à l’instauration de la commission d’enquête sur la question à laquelle participait Marielle Franco, avant d’être assassinée…
Soutien des milices au « capitaine » Wilson Witzel. Le 25 janvier, l’hebdomadaire Carta Capital apportait un nouvel élément pointant les liens entre le clan Bolsonaro et les milices. Selon l’hebdomadaire, les habitants des favelas de Rio das Pedras auraient été poussés par les miliciens, sous des menaces de mort, à voter en faveur de Wilson Witzel, alors candidat au poste de gouverneur de l’Etat de Rio de Janeiro pour le Parti social-chrétien (PSC). La candidature de Wilson Witzel, dit « le capitaine », a fait un bond après qu’elle a reçu le soutien du clan Bolsonaro, dans la dernière ligne droite du premier tour. Flávio a participé à plusieurs meetings électoraux aux côtés de M. Witzel. Ce dernier, élu gouverneur le 28 octobre dernier, a incité publiquement les policiers à tirer « dans la tête des bandits » [3].
La révélation des liens entre son fils Flávio, qui a été élu sénateur lors des dernières élections, et les paramilitaires a semé un certain trouble chez le nouveau président brésilien. D’autant plus qu’elle s’ajoute à des accusations sérieuses et étayées de corruption contre Flávio.
Interpellé par la presse, Flávio Bolsonaro a affirmé qu’il n’était pas au courant des suspicions qui pesaient contre Adriano da Nobrega lorsqu’il lui avait rendu hommage. Il a aussi « condamné » les activités des milices à Rio de Janeiro et affirmé qu’il ne renoncerait pas à sa charge de sénateur – qu’il endossera le 1er février [4].
Circulez, Ueli n’a rien à voir. Le « président » – sans cornes ou avec ? – de la Confédération suisse, Ueli Maurer, a rencontré M. Bolsonaro le 23 janvier à Davos. Très discret sur cette entrevue, il a cependant glissé que sont rôle n’est pas de « critiquer les autres pays » [5]. Bien entendu. Grand patriote, le président UDC a certainement à cœur de favoriser les entreprises suisses alléchées par le vaste programme de privatisations annoncé par l’ultralibéral ministre brésilien de l’économie, Paulo Guedes. Et on tendra vainement l’oreille pour tenter d’entendre une once de critique du côté de ses collègues « socialistes », Alain Berset et Simonetta Sommaruga.
Gustavo Garaphuns, 25 janvier 2019