Il y a quelques semaines, le ministère public fédéral a obtenu devant un tribunal de l’Arizona que soient reconnues coupables quatre bénévoles de l’aide humanitaire qui avaient laissé de l’eau dans le désert pour éviter que des migrants ne meurent de chaleur ou de soif. Il a par ailleurs renoncé à poursuivre pour homicide par imprudence un agent de la police des frontières qui avait tiré seize coups de feu en direction du Mexique et tué un adolescent mexicain. Les volontaires humanitaires risquent une amende et jusqu’à six mois de prison. L’agent de la police des frontières ne risque plus rien.
On a là un aperçu de la justice tordue qui règne à la frontière à l’ère Trump. Sauvez la vie d’un migrant et vous risquez de devenir un prisonnier politique ; tuez un adolescent mexicain et vous sortez libre du tribunal.
Natalie Hoffman, Oona Holcomb, Madeline Huse et Zaachila Orozco-McCormick travaillaient pour No More Deaths, une organisation d’inspiration religieuse qui s’est donné pour mission d’éviter que les migrants sans papiers ne meurent au cours de leur périlleuse marche vers le nord. Elles s’étaient rendues en voiture dans la réserve naturelle Cabeza Prieta, à 160 kilomètres au sud-ouest de Phoenix, pour y déposer des carafes d’eau et des boîtes de haricots.
127 migrants morts l’an dernier
Elles n’ont pas cherché à dissimuler ce qu’elles avaient fait. Interrogées par un agent du Fish and Wildlife Service [agence fédérale chargée de la protection de la faune et de son habitat], elles ont déclaré que tout le monde méritait d’avoir accès à des denrées de survie. Mme Orozco-McCormick a ajouté que la réserve ressemblait à un cimetière tellement on y trouve de restes humains.
Depuis le tournant du siècle, plus de 2 100 migrants sans papiers sont morts dans cette région brûlante du sud de l’Arizona, d’après l’association Humane Borders. Les restes de 127 migrants y ont été récupérés l’année dernière, selon les services du médecin légiste du comté de Pima.
Le ministère public refusait jadis de poursuivre les volontaires qui laissaient de l’eau et des boîtes de conserve dans le désert, mais les quatre femmes, qui ont été arrêtées en 2017, ont été jugées pour les délits d’entrée illégale dans une réserve naturelle, abandon de biens personnels et, dans le cas de Mme Hoffman, conduite dans une zone interdite. Le procès s’est tenu sans jury, et le juge Bernardo Velasco a déclaré que les actes des accusées étaient en conflit avec “la décision nationale de préserver l’intégrité de la nature dans la réserve”.
De fait, le ministère public a un large pouvoir discrétionnaire pour décider de poursuivre ou non pour des délits aussi mineurs – de même qu’il a toute latitude pour des affaires plus importantes, comme l’homicide par imprudence dont était accusé Lonnie Swartz, qui a tué Antonio Elena Rodriguez, 16 ans, en octobre 2012. M. Swartz a invoqué la légitime défense : il avait ouvert le feu sur le jeune homme à travers la clôture qui divise la ville de Nogales car celui-ci lui lançait des pierres depuis l’autre côté.
M. Swartz avait été acquitté de l’accusation d’homicide involontaire au printemps dernier, mais le jury n’avait pu trancher sur l’homicide par imprudence. Un deuxième procès s’était tenu à l’automne mais le jury n’avait une fois de plus pas pu parvenir à un verdict. Le ministère public a décidé le mois dernier de ne pas demander un troisième procès.
À l’heure où les bénévoles cherchent à éviter de faire de la prison, les Américains peuvent s’interroger sur un système qui rend une justice aussi perverse.
Courrier International
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