Respecter une « mise à distance » des manifestants, tout en apportant une réponse « immédiate et proportionnée » aux actes violents et aux agressions subies par les forces de l’ordre : depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l’arsenal des policiers et gendarmes s’adapte à ces deux principes de base du maintien de l’ordre à la française.
Selon la doctrine policière, les gaz lacrymogènes et les fumigènes doivent par exemple disperser une foule en la maintenant loin des premiers rangs de CRS ; les bâtons (tonfa) ne sont, eux, utilisés qu’en dernier recours, en cas de contact physique avec des manifestants considérés comme dangereux.
Mais cette stratégie est remise en cause par les modes d’action des « gilets jaunes », dont les manifestations ne sont pas déclarées, les trajets imprévisibles, et dont le bilan – plus de 1 900 blessés en deux mois et demi – questionne la dangerosité de l’armement des forces de l’ordre, devenu par sa diversité l’un des plus étoffés d’Europe. Petit inventaire de l’arsenal mis à leur disposition.
Le lanceur de balles de défense
Ils sont communément appelés Flash-Ball, du nom du premier modèle de la marque Verney-Carron qui a équipé les policiers et gendarmes dès la fin des années 1990. Mais la gamme des lanceurs de balles de défense (LBD) s’est depuis élargie, et c’est le modèle GL06 (lanceur de grenade) qui a désormais la faveur des autorités françaises.
Expérimenté dès 2005, ce LBD 40 (pour son calibre de 40 mm), fabriqué par l’entreprise suisse Brügger & Thomet, est le plus utilisé en manifestation.
Les LBD tirent des munitions en semi-caoutchouc, dites à « létalité réduite » : elles doivent servir à neutraliser sans tuer, mais peuvent s’avérer dangereuses à courte distance. « Comme pour toute arme, on sait bien qu’un tir à courte portée peut causer des lésions irréversibles », admet l’instructeur de tir François Trintat, formateur au centre de tir de la police nationale, à Paris. Les LBD peuvent être utilisés sans sommation lors d’une opération de maintien de l’ordre, mais seulement lorsqu’un officier est menacé physiquement, par exemple par un jet de projectiles ou par l’arrivée d’un manifestant avec un objet pouvant servir d’arme.
« Toute réponse des forces de l’ordre doit être proportionnée et nécessaire », affirme un représentant de la Direction générale de la police nationale (DGPN), interrogé sur la doctrine policière. Contrairement à l’utilisation de certaines grenades, aucune demande d’autorisation n’est imposée avant d’engager un tir de LBD – qui doit privilégier, selon
Le LBD 40 est équipé d’une visée holographique et son canon est rayé, pour en améliorer la précision. Sa portée dépend de la munition utilisée : pour les « munitions universelles de défense » (MDU), cartouches en semi-caoutchouc de couleur noire, la portée précise est estimée entre 3 et 35 mètres de distance. Les MDU sont notamment utilisées par la brigade anticriminalité ou les compagnies de sécurisation et d’intervention à Paris. L’autre munition est le combined technical system (CTS), de couleur grise et utilisé par les forces spécialisées dans le maintien de l’ordre, soit les CRS et les gendarmes mobiles. Son usage est conseillé entre 10 et 50 mètres.
Depuis deux ans, des lanceurs multicoups de calibre 40 millimètres sont aussi expérimentés par les CRS dans les opérations de maintien de l’ordre. Avec une capacité de tir de quatre ou six munitions à la suite, ils sont d’apparence très semblables aux LBD mais ne contiennent jamais de balles en caoutchouc : armés de grenades de gaz lacrymogènes ou de fumigènes, ils s’apparentent à une version plus légère du lanceur de grenade Cougar, dont les forces de l’ordre sont aujourd’hui équipées.
La grenade GLI-F4
A triple effet lacrymogène, sonore et de souffle, la GLI-F4 est une grenade « à effets combinés » contenant 25 grammes de TNT, ce qui fait d’elle la dernière munition à explosif utilisée en maintien de l’ordre en France. C’est la grenade la plus puissante utilisée depuis l’interdiction des grenades offensives F1, à la suite de la mort du militant Rémi Fraisse, à Sivens (Tarn), en 2014.
La France est le seul pays d’Europe à l’utiliser, comme le soulignait dès 2014 un rapport commun de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) et de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN). Les officiers porteurs d’un lance-grenades doivent faire une demande d’autorisation verbale à leur hiérarchie avant chaque utilisation.
Depuis le début du mouvement des « gilets jaunes », son usage est notamment critiqué par un collectif d’avocats, qui en demande l’interdiction – plusieurs manifestants ont témoigné avoir été gravement blessés, jusqu’à perdre leur main, en tentant d’écarter une GLI-F4 lancée dans leur direction. Son remplacement est d’ores et déjà prévu par les autorités françaises : la grenade GM2L, à usage semblable mais sans explosif ni effet de souffle, doit progressivement venir équiper les forces de l’ordre à la place de la GLI-F4, dont les stocks devraient être épuisés d’ici à 2021.
La grenade de désencerclement
Contrairement à la GLI-F4, la grenade de désencerclement ne cherche pas à disperser en diffusant du gaz et en explosant, mais en projetant dix-huit plots en caoutchouc, qui se dispersent au moment de la détonation d’un mécanisme pyrotechnique, dans un délai de quatre secondes après avoir été activée. C’est par ailleurs la seule grenade utilisée par les forces de l’ordre qui doit être lancée en direction du sol à la main ou à l’aide d’un lanceur, et non en cloche, comme la GLI-F4 ou les grenades lacrymogène.
Comme son nom l’indique, elle doit servir à sortir les policiers et gendarmes d’un contact physique très proche avec un groupe de manifestants, ou à disperser un groupe de personnes présent sur un point stratégique, qu’un escadron souhaite investir.
Lors de l’« acte XI » de la mobilisation des « gilets jaunes », à Paris, le 26 janvier, c’est une grenade de désencerclement qui pourrait être, selon le secrétaire d’Etat au ministre de l’intérieur, Laurent Nuñez, responsable de la blessure à l’œil de Jérôme Rodrigues, figure du mouvement et proche d’Eric Drouet.
Les grenades lacrymogènes et fumigènes
Les forces de l’ordre utilisent plusieurs modèles de grenades lacrymogènes, qui diffusent également de la fumée en se dispersant. Elles peuvent être lancées à la main ou à l’aide d’un lance-grenades, pour maintenir à distance des manifestants ou disperser une foule dans une rue ou sur une place.
La grenade PLMP 7B d’un calibre de 56 mm, l’une des plus utilisées, contient par exemple sept capsules de poudre « CS », le gaz irritant le plus commun, et diffuse une fumée blanche. Les officiers sont aussi équipés de pistolets aérosol contenant du gaz lacrymogène, utilisés pour repousser des manifestants proches d’eux physiquement.
Les moyens de force physiques<
Le bâton de défense à poignée latérale, ou tonfa, et le bâton ou matraque télescopique de défense (BTD) ne doivent, selon la doctrine, être utilisés qu’en cas d’échec de la mise à distance des policiers et gendarmes, donc à l’occasion d’un contact physique avec des individus violents ou lors d’une tentative d’interpellation et de maîtrise d’un manifestant.
Les frappes à la tête et au cou sont interdites, les jambes et les bras, ainsi que le torse, étant privilégiés.
Les canons à eau
Ces véhicules blindés contiennent jusqu’à 5 000 litres d’eau et participent, comme le gaz lacrymogène et les lanceurs de balles de défense, à une volonté de garder les manifestants à distance des forces de l’ordre.
Leur utilisation en France remonte au moins à 2003. La présence d’additifs mélangés à l’eau est souvent dénoncée par les associations de lutte contre les violences policières, qui déplorent un manque de transparence sur les composés utilisés.
En octobre 2018, la DGPN a confirmé l’utilisation d’un « émulsif de type protéinique » par les CRS dans un canon à eau lors des manifestations du 1er-Mai à Paris. D’après Le Parisien, citant une source policière, il s’agirait « de protéines de viandes macérées, mélange de sang séché et d’os broyés » ajouté à l’eau et dont l’odeur pestilentielle permettrait de repousser les manifestants. Cet émulsif peut être utilisé pour venir à bout d’un feu de poubelle du fait de ses propriétés ignifugeantes, ou de barricades, mais n’a pas vocation à être pulvérisé sur des personnes.
Les armes à feu
Tout au long des opérations de maintien de l’ordre, les officiers de police gardent sur eux leur arme individuelle. Ils ne sont autorisés à l’utiliser uniquement quand ils sont dépourvus de l’ensemble des autres moyens de coercitions, ou que ceux-ci ne suffisent pas à protéger leur intégrité physique.
C’est en suivant cette consigne qu’un policier motard a mis en joue avec son arme, le 22 décembre 2018, des manifestants, à Paris : sans bouclier, ni matraque, ni possibilité d’écarter autrement des personnes en face de lui, il s’est saisi de son arme de service.
Certains policiers sont également équipés, lors des manifestations des « gilets jaunes », de fusils d’assauts HK G-36. Un dispositif de deux porteurs de fusils par escadron décidé par la préfecture de police de Paris, qui l’a confirmé à Libération, le 15 janvier. La présence d’un risque terroriste lors des rassemblements justifie la mise en service de telles armes, selon les autorités, qui dotent également les policiers de fusils sniper lors de grands rassemblements.
Simon Auffret