Mauvaise nouvelle pour les dirigeants chinois : alors que la croissance économique du pays était en 2018 à son plus bas niveau depuis 1990, la trajectoire démographique est encore plus inquiétante. L’année dernière, la Chine a enregistré son taux de croissance de la population le plus faible depuis 1961, au lendemain de la plus grande famine du XXe siècle.
Au total, 15,23 millions de Chinois sont nés en 2018, contre 17,23 millions en 2017, soit une baisse de 12 %, a annoncé le Bureau national des statistiques le 21 janvier. La chute des naissances menace de peser sur le développement économique du pays, qui risque d’être vieux avant d’être riche, selon la formule de la presse d’Etat.
La baisse est d’autant plus impressionnante que la Chine avait mis fin en 2015 à quarante ans de politique de l’enfant unique, qui visait à limiter la démographie galopante, remplacée par une « politique des deux enfants » qui avait permis de dynamiser momentanément les naissances. 2016, première année suivant la généralisation de la limite des deux enfants, avait enregistré un rebond de 8 % de la natalité, avec 17,8 millions de naissances.
Mais la tendance n’a pas tenu, suggérant que beaucoup de couples relativement âgés s’étaient précipités pour avoir un second enfant, provoquant ce boom de courte durée des naissances. Dès 2017, le nombre de nouveau-nés baissait légèrement pour atteindre 17,2 millions, avant de chuter en 2018.
Autre chiffre qui surprend, le nombre de deuxièmes enfants : depuis 2017, il dépasse celui des premiers enfants. Il prouve que la fin de la politique de l’enfant unique a bien permis à des millions de couples d’avoir l’enfant de plus qu’ils désiraient. Mais révèle aussi que si beaucoup de Chinois installés qui ont eu un premier enfant n’hésitent pas à en avoir un second, les jeunes couples, au contraire, repoussent à plus tard la première naissance.
« Course contre l’horloge biologique »
« Les jeunes sont réticents à l’idée de faire des enfants parce que le coût de la vie, et en particulier de l’éducation, est très élevé en Chine », indique Tang Jun, spécialiste du vieillissement de la population à l’institut de sociologie de l’Académie des sciences sociales de Chine. « Les gens plus âgés qui veulent un deuxième enfant sont engagés dans une course contre leur horloge biologique, et ceux qui n’ont pas encore d’enfants ne veulent même plus avoir le premier, analyse également Ji Yingchun, directrice du Centre de recherche sur le genre, la famille et la santé à l’université de Shanghaï. L’augmentation des naissances, après la relaxe du contrôle des naissances, n’était pas soutenable, et cachait une tendance fondamentale et durable de baisse de la fertilité, pour ne pas dire une crise. Les chiffres de 2018, ce n’est encore que la partie émergée de l’iceberg. »
La conséquence pour la Chine est un vieillissement accéléré. La population générale devrait atteindre son pic autour de 2027, mais la population active baisse déjà depuis 2010. Un défi pour l’économie, qui a longtemps prospéré grâce au « dividende démographique » : une population jeune et disponible pour faire tourner l’usine du monde. Pour accompagner la dernière phase de sa transition démographique, la Chine va devoir accélérer sa mutation vers un modèle de croissance basé sur la valeur ajoutée, et non plus sur l’avantage d’une main-d’œuvre abondante et bon marché.
Si beaucoup y voient un défi majeur pour les responsables politiques, Tang Jun se souvient que l’on s’inquiétait, il n’y a pas si longtemps, d’une population trop nombreuse : « Je pense que la réduction de la fertilité n’est pas forcément une mauvaise chose. Dans les années 1980, le but du planning familial, c’était de contrôler la population autour d’un milliard. Et maintenant qu’on y arrive, on s’inquiète de nouveau. »
« L’avenir, c’est l’IA et la robotisation »
Pour lui, la transformation de l’économie est déjà suffisamment engagée pour faire face : « En regard de la situation des pays développés dans les années 1970, on constate que leur transformation économique est allée de pair avec une augmentation significative du chômage, parce que les emplois sur les lignes de production ont disparu. Le recul de la main-d’œuvre n’est donc pas forcément une mauvaise chose pour la Chine, dont le modèle de croissance est en train de changer. L’avenir, c’est l’intelligence artificielle et la robotisation de l’industrie. »
Le professeur reconnaît toutefois que le vieillissement rapide de la population impose des mesures d’urgence pour la prise en charge des personnes âgées. « La population des seniors en Chine est encore relativement jeune : 60 % ont moins de 70 ans. Cela donne une fenêtre de cinq à dix ans à la Chine pour mettre en place les politiques nécessaires à la prise en charge des seniors », estime Tang Jun. Le sujet sera abordé lors de la prochaine session de l’Assemblée nationale du peuple, début mars.
Simon Leplâtre