Rivale historique de l’Inde, stratégiquement très proche du Pakistan, la Chine évite pour l’instant de prendre parti dans le conflit qui oppose ces deux pays, mais joue les médiateurs.
Lors d’une discussion téléphonique avec son homologue pakistanais, Wang Yi, le ministre chinois des affaires étrangères, a souhaité que les deux pays « fassent preuve de retenue et remplissent sincèrement leur engagement d’empêcher une expansion de la situation », selon un communiqué chinois publié jeudi 28 février.
La veille, Wang Yi avait tenu une réunion trilatérale avec Sushma Swaraj, la ministre des affaires étrangères indienne et Sergueï Lavrov, leur homologue russe, dans un format initié en 2002. « En 1971, lors du dernier conflit entre l’Inde et le Pakistan, c’est l’Union soviétique qui avait joué les médiateurs, désormais la Chine voudrait que ce rôle lui revienne », note Jean-Pierre Cabestan, enseignant à l’Université baptiste de Hongkong. « Mais rien ne dit que l’Inde soit d’accord. Sans doute préfère-t-elle négocier en tête-à-tête avec le Pakistan », poursuit le chercheur.
Pékin et New Delhi ne sont toujours pas d’accord sur le tracé précis de leur frontière himalayenne.
Certes désireuse de se poser en grande puissance régionale, la Chine peut difficilement se prévaloir de neutralité sur le dossier indo-pakistanais. Pékin et New Delhi ne sont toujours pas d’accord sur le tracé précis de leur frontière himalayenne et se sont livrés une guerre en 1962, qui s’est soldée par une défaite humiliante pour l’Inde.
Les portions litigieuses de la frontière, l’Aksai Chin, à l’ouest, occupé par la Chine et revendiqué par l’Inde, et l’Arunachal Pradesh, à l’est, contrôlé par l’Inde mais revendiqué par la Chine, continuent de donner lieu à des démonstrations de force, parfois même à des escarmouches entre les deux géants.
Encore en 2017, il s’en est fallu de peu qu’un conflit militaire n’éclate entre eux au sujet du plateau du Doklam, un territoire de l’Himalaya revendiqué par la Chine et le Bhoutan, dont l’Inde est le protecteur.
Des foyers de tension qui alimentent la méfiance
Après des débuts difficiles entre les deux ultra-nationalistes que sont les dirigeants indien Narendra Modi et chinois Xi Jinping, tous deux ont prétendu enterrer la hache de guerre en 2018, lors d’un sommet de deux jours en avril 2018 à Wuhan, dans le centre de la Chine.
Néanmoins, d’autres foyers de tensions alimentent leur méfiance mutuelle. L’Inde voit d’un très mauvais œil la présence de plus en plus massive de la Chine à Djibouti, au Sri Lanka ou aux Maldives et ne cache pas ses réserves face aux nouvelles routes de la soie chinoises, dont le Pakistan est l’un des maillons essentiels.
L’Inde reproche à la Chine de refuser que les Nations-Unies sanctionnent Masood Azhar, le dirigeant du groupe islamiste JeM.
Surtout, l’Inde reproche à la Chine de refuser que les Nations-Unies sanctionnent Masood Azhar, le dirigeant du groupe islamiste Jaish-e-Mohammed (JeM) qui a revendiqué l’attentat-suicide ayant tué au moins 40 paramilitaires indiens le 14 février au Cachemire indien. Or ce groupe est basé au Pakistan, pays accusé par l’Inde de soutenir en sous-main les infiltrations de militants islamistes et la rébellion armée au Cachemire indien, ce qu’Islamabad a toujours démenti.
Le blocage chinois à l’ONU est donc perçu par l’Inde comme un soutien au Pakistan qui tolère sur son territoire un groupe qui, à la différence de son leader, est sur la liste noire de l’ONU depuis 2001.
La presse chinoise éreinte le président indien
Alors que des élections générales sont prévues en Inde au printemps, la presse chinoise multiplie depuis plusieurs semaines les critiques à l’égard du premier ministre Modi, tant en raison de ses positions jugées nationalistes et antichinoises que de sa politique économique, jugée inefficace.
Mercredi, le quotidien nationaliste chinois Global Times estimait que la Chine ne pouvait pas faire pression sur Islamabad dans la lutte contre le terrorisme. En revanche, ce journal, qui n’est jamais à cours d’argument pour relayer les objectifs de Pékin, appelait de nouveau l’Inde à rallier l’initiative des nouvelles routes de la soie, capable de combattre le terrorisme en « multipliant les occasions de dialogue et les échanges économiques entre l’Inde et le Pakistan ». Il y a peu de chance que Narendra Modi l’entende de cette façon.
Brice Pedroletti