Depuis la campagne identitaire de l’ADQ en 2007 qui lui avait permis une montée fulgurante, quoique temporaire, la recette a fait long feu. Le gouvernement Marois minoritaire avait trouvé dans cette avenue une possible voie gagnante pour conserver le pouvoir. Gilles Duceppe, pourtant opposé à la charte des valeurs du PQ en 2014, n’avait pas hésité à utiliser la même recette un an plus tard lorsqu’il s’est vu menacé par le NPD. J-F Lisée a fait de même pour gagner la course à la chefferie contre son collègue Alexandre Cloutier qui avait une longueur d’avance sur lui.
La stratégie indépendantiste qui ne connaît plus d’issue avec le PQ, s’est transformée en gestion du Québec néolibéral qui rassemble maintenant dans un projet commun de nationalisme identitaire la CAQ, le PQ et le BLOC.
C’est à cette situation concrète que doivent répondre les membres de Québec solidaire lors du Conseil national de mars. Les législations gouvernementales de la CAQ accompagnées d’un discours obscurantiste et identitaire appuyées par le PQ et relayés pat le Bloc au palier fédéral créent déjà avant même d’être adoptées un climat qui favorise la crainte des étrangers et le racisme.
Québec solidaire ne peut plus s’en tenir à une position considérée de compromis comme celle de Bouchard-Taylor. Contrairement à ce qu’avancent les défenseurs du statu quo que représente l’option A, dans le contexte actuel au Québec une telle position aura pour conséquence de laisser toute autorité à la droite identitaire dans son instrumentalisation de la question du port de signes religieux.
En considérant qu’il y a une problématique pour les femmes qui portent le hijab lorsqu’elles occupent des positions en situation de coercition, la position de Québec solidaire servira à cautionner l’idée maîtresse de cette politique d’exclusion qui est celle de mettre le focus sur l’immigration et les communautés ethnoculturelles et particulièrement musulmanes comme n’étant pas de réelles composantes de la société québécoise. À plus forte raison dans un Québec qui a connu depuis une dizaine d’années et surtout depuis 2013 une avancée des préjugés antimusulmans suite à la charte des valeurs du PQ et des nombreux épisodes qui ont suivi.
Cette position servira en fait de marchepied au projet de ce bloc nationaliste identitaire en n’y opposant plus aucune ligne de défense puisque nous aurons concédé l’essentiel, le respect des différences ethnoculturelles dans la société.
Ce qu’on appelle le port des signes religieux, mais qu’on devrait nommer représentation d’une particularité ethnoculturelle ne peut être traitée de façon abstraite et désincarnée, comme on traiterait une question philosophique. On ne peut non plus reproduire simplement l’expérience vécue dans d’autres pays. On doit tenir compte en premier lieu de la situation concrète au Québec et des implications sociales tant pour les communautés concernées que pour l’objectif de construction d’une société égalitaire et du vivre ensemble.
Les conséquences des mesures qui sont prévues par le gouvernement de la CAQ sont pourtant bien claires pour les personnes qui auront à faire face à de possibles pertes d’emplois sinon à des portes fermées et à une augmentation de l’intolérance et des préjugés racistes qui l’accompagneront. Cette situation existe déjà et a été alimentée à répétition en Amérique du Nord depuis les attaques contre le World Trade Center en 2001. C’est à partir de ce moment que la communauté musulmane a été associée au terrorisme et à l’intégrisme avec toute la pression que cela peut représenter pour les communautés et particulièrement pour les femmes portant le hijab, qui en étaient la représentation la plus visible.
Pour plusieurs le port du hijab est sans doute devenu par la suite, au Canada et au Québec dans cette société à majorité blanche, une façon de se rassembler et de solidariser avec sa communauté. Pour ces raisons, le port du hijab au Québec n’est pas une représentation d’un phénomène intégriste. Au Québec, 62 % des immigrants musulmans ne vont jamais à la mosquée, un taux supérieur à la moyenne canadienne (36 %). En comparaison, seulement 25 % des immigrants catholiques ne vont jamais à l’église. Prendre exemple sur les phénomènes intégristes ailleurs dans le monde est une méthode erronée qui ne tient pas compte de la situation réelle au Québec.
La construction de situations fictives ne sert au final qu’à escamoter les conséquences réelles de l’interdiction du port des signes religieux tout en produisant une image déformée de la réalité. La propagande utilisée par différents partis politiques comme le Parti conservateur de Stephen Harper, le PQ, le Bloc et actuellement la CAQ ainsi que le battage médiatique de fausses nouvelles a fini par imprégner la société québécoise. Selon un sondage Ipsos Reid réalisé en 2015 aux yeux des Québécois, le pourcentage de musulmans dans la population était de 17 %, aux yeux des Canadiens, de 20 %, alors qu’ils ne sont que 3 %. Ils sont francophones et sont pour beaucoup des personnes diplômées universitaires.
Nous ne sommes pas devant un débat de société concernant le comment vivre ensemble. Au contraire, nous faisons face à une instrumentalisation de l’Étranger par le gouvernement de la CAQ pour atteindre ses visées de défenseur de la nation. Le réalignement de Québec solidaire dans cet enjeu est crucial non seulement pour sa construction comme parti rassembleur de toutes les communautés, mais également pour l’avenir du Québec lui-même dont la population fracturée et sans issue risque de regarder de plus en plus à droite ou au mieux d’être désabusée s’il n’y a pas de Parti porteur d’une perspective politique rassembleuse et inclusive.
Andre Frappier
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