L’attaque par un terroriste d’extrême droite de deux mosquées, qui a causé la mort de cinquante personnes et en a grièvement blessé plusieurs dizaines d’autres, vendredi 15 mars à Christchurch, force un examen de conscience sur certains non-dits de la société néo-zélandaise.
Les deux lieux de culte visés par ces attaques ont rouvert une semaine après les faits pour la Jumuah, la grande prière du vendredi. Alors que la communauté musulmane ne représente que 1 % de la population nationale, les femmes non musulmanes du pays ont été invitées à porter le voile vendredi en signe de solidarité. L’appel à la prière a été diffusé sur les chaînes publiques de radio et de télévision (Radio New Zealand et TVNZ), suivi par deux minutes de silence qui ont été respectées à travers tout le pays, y compris dans les aéroports.
Selon la presse locale, les deux mosquées ont été restaurées gratuitement par des entreprises du bâtiment, qui ont refait les plâtres percés par les balles, changé les vitres cassées et les tapis imprégnés du sang des victimes.
Les témoignages de solidarité et d’entraide ont continué d’affluer des quatre coins de la société néo-zélandaise. Le Mongrel Mob, l’un des gangs les plus connus de la police, a pour sa part indiqué que ses hommes allaient assurer la sécurité des mosquées dans sa ville de Waikato, dans l’île du Nord. Un gang rival, le King Cobra, en a de son côté approvisionné une en repas à Auckland.
Résilience et pacifisme
« Tous les signes d’amitié que nous témoignent nos frères et sœurs de Nouvelle-Zélande nous empêchent d’être en colère », affirme Anwar, un leader musulman venu de l’île du Nord, en long kamis gris, à l’extérieur de la mosquée Al-Noor, où 42 personnes ont été abattues. La communauté musulmane a réagi aux atrocités avec résilience et pacifisme.
« Se savoir soutenus par la Nouvelle Zélande et le monde entier nous réconforte et montre que la violence et le racisme n’ont pas leur place dans notre monde », ont déclaré les parents de la plus jeune victime du massacre, Mucad Ibrahim, un petit garçon de 3 ans. « Ce que [le tueur] a fait est mal mais, si je pouvais, je lui dirais qu’au fond de lui il a le potentiel d’être bon et généreux. Je prie et je garde espoir pour lui », a déclaré le mari de Husna Ahmad, 47 ans, tuée après avoir sauvé plusieurs personnes.
La formule « This is not us » (« ceci n’est pas nous ») lancée par la première ministre, Jacinda Ardern, fut largement reprise.
« L’attitude exceptionnelle de la communauté musulmane face à la violence de cette attaque a suscité beaucoup de sympathie et de respect. Cela a transformé l’image qu’avait de cette communauté le reste de la population. C’est une leçon pour nous car c’est l’inverse de l’image que les médias nous ont donnée de cette religion », observe Andrew Turner, le maire adjoint de Christchurch. Il indique que 22 % des habitants de la ville ne sont pas nés en Nouvelle-Zélande et que la communauté musulmane compte des gens d’origine et de métiers très divers. Il y avait au moins quinze nationalités et origines différentes parmi les victimes des attentats, dont une famille de réfugiés syriens.
Alors que les musulmans de Nouvelle-Zélande n’ont émis aucune critique contre leur pays d’accueil, la crise amorce un débat jusqu’alors tabou sur les relations entre communautés.
Durant les premiers jours, le discours officiel a principalement consisté à dire que l’événement était complètement étranger à la Nouvelle-Zélande. La formule « This is not us » (« ceci n’est pas nous ») lancée par la première ministre, Jacinda Ardern, fut largement reprise. La Nouvelle-Zélande est le deuxième pays le plus « pacifique » de la planète, selon le Global Peace Index, qui tient compte du niveau de sécurité et de militarisation et de l’existence de conflits au sein des Etats. Et, avec plus de deux cents ethnies parmi la population, c’est l’une des nations les plus diverses.
Guère d’estime pour la gestion australienne
Cet exercice de distanciation a été facilité par le fait que l’assassin est Australien, et que la plupart des Néo-zélandais n’ont guère d’estime pour la gestion par leur grand voisin tant de sa population aborigène que des demandeurs d’asile, dont une partie sont détenus sur des îles au large. Mais c’est à présent l’idée qu’il existe, en fait, de réels problèmes à régler au sein de la société néo-zélandaise qui émerge. « We can do better » (« nous pouvons mieux faire ») est le nouvel état d’esprit.
« Notre première ministre a fait un travail exceptionnel auquel tout le monde a adhéré. Mais n’oublions pas qu’il existe des poches de racisme dans notre société », déclare Golriz Ghahraman, première députée réfugiée, arrivée d’Iran en 1990 à l’âge de 9 ans.
Dans une allocution poignante au Parlement, mercredi, elle a estimé que bien que « l’homme par lequel la terreur est arrivée n’est pas né ici, son idéologie existe ici. Les communautés ethniques, les réfugiés, les Maoris le savent et nous le disent depuis des années. Nous ne pouvons pas prétendre qu’il s’agit d’une aberration venue d’ailleurs. Ce serait irresponsable ».
Avocate aux Nations unies (ONU) avant de s’engager en politique, elle affirme avoir été régulièrement la cible d’insultes racistes et de menaces. Plusieurs organisations de musulmanes ont également rapporté des incidents de violences verbales et physiques à l’égard de femmes voilées.
« Dire que ce type de violence ne nous appartient pas, c’est un mythe réconfortant », Sarah Denis
« Dire “ce n’est pas nous”, cela va un moment. Mais est-ce responsable et est-ce sérieux ? », interroge l’anthropologue Anne Salmond. Elle rappelle que la première implantation des colons britanniques sur les îles alors habitées par les Maoris n’est pas sans lien avec l’idéologie de la suprématie blanche.
« Soyons honnêtes, l’idéologie de la suprématie blanche existe parmi nous. Pour que cette atrocité serve à quelque chose, il faut transformer les bouquets de fleurs et les bonnes intentions en un changement d’attitude au quotidien », ajoute-t-elle.
« Dire que ce type de violence ne nous appartient pas, c’est un mythe réconfortant. Mais pour construire la société idéale, telle que la Nouvelle-Zélande se rêve, nous devons avoir le courage de nous regarder dans le miroir », renchérit l’ancienne diplomate Sarah Dennis.
Pas le moindre signe de tension
« Christchurch est l’épicentre des idéologies racistes avec une présence avérée de groupuscules néonazis, de skinheads dont le discours haineux est connu. Le tueur a-t-il bénéficié de l’assistance passive ou active de ces groupes, et le cas échéant les autorités locales étaient-elles aveugles ou ignorantes ? », interroge Paul Buchanan, le directeur du bureau de conseil stratégique 36th Parallel.
« La seule explication acceptable pour excuser les services de renseignement et de sécurité c’est que l’homme ait agi en vrai loup solitaire, ce qui est difficile à concevoir vu son organisation, et les armes et explosifs qu’il avait accumulés », ajoute t-il. Un ancien soldat, dont le témoignage a largement circulé, a rapporté que l’ambiance qui régnait au club de tir de Dunedin où l’assassin s’entraînait était si haineuse qu’il avait jugé nécessaire d’en alerter la police.
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« Il y a deux scénarios que nous redoutons à présent. Celui du “copycat”, quelqu’un souhaitant imiter le tueur de vendredi dernier, et celui de la vengeance de groupes islamiques », indique Andrew Turner. La petite ville bucolique de Christchurch, encore en reconstruction depuis le tremblement de terre de 2011, où les gens se déplacent en tram ou en trottinettes électriques laissées à leur disposition un peu partout, n’affiche pourtant pas le moindre signe de tension.
Florence de Changy (Christchurch, Nouvelle-Zélande, envoyée spéciale)