Album photo à https://1drv.ms/a/s!Aj4UXfoRjr1ThwETatefOFW-B3rH
Source : Karel Mayrand par Facebook
Plusieurs dizaines de milliers de jeunes aux études et de moins jeunes, quelque part entre le 25 000 des forces policières et le 150 000 des organisateurs, ont défilé ce vendredi 15 mars à Montréal à l’appel du mouvement « La Planète s’invite à l’Université » initié par l’Université de Montréal. Des regroupements plus modestes ont eu lieu à divers endroits au Québec et au Canada. À l’appel de « la collégienne Greta Thunberg, qui manifeste tous les vendredis depuis août devant le parlement suédois […] cette manifestation internationale pour le climat s’est tenue dans plus de 2000 villes situées dans quelque 120 pays. […] Les foules les plus imposantes ont été aperçues à Sydney, Berlin, Paris, Bruxelles, Londres, Madrid, Santiago au Chili et Montréal […] Au total, les organisateurs du mouvement Fridays for Future évaluaient à plus d’un million le nombre de manifestants mondiaux vendredi. » (Radio-Canada).
On dénotait un grand nombre de pancartes artisanales. Des populaires « Changeons le système, pas le climat » et « On n’a pas de planète B » jusqu’à celles offrant des cours condensés de biologie écologique et de politique anticapitaliste en passant par celles dénonçant l’agro-industrie et proposant des citations d’auteurs connus. On retiendra les plus imaginatives et incisives : « La croissance économique, c’est tellement 20iè siècle », « Balayer n’arrangera rien », « Vos générations ont échoué, laissez-nous essayer », « Quand c’est fondu, c’est foutu », « Sea levels are rising and so are we ! », « Pas de planète, pas de sexe », « Le climat change, pourquoi pas nous aussi ? », « Ne tuons pas la beauté du monde », « Si la planète était une banque, elle serait sauvée », « Même avec tout l’argent du monde, on ne peut pas acheter une deuxième planète ».
Cependant manquaient totalement des revendications de quelque niveau que ce soit. Le mouvement politiquement hétéroclite et à peine organisé depuis un mois n’est manifestement pas rendu là. Ce flou revendicatif permet au ministre caquiste de l’environnement, tout comme à celle fédérale pro pétrole bitumineux, d’appuyer la manifestation. Quant au ministre caquiste de l’éducation, malgré des sourcils froncés parmi les parents les plus conservateurs, il s’est laissé aller à la permissivité pour le séchage de cours un vendredi après-midi, d’autant plus que 150 000 personnes étudiantes avaient déclenché une grève et que des élèves de quelques écoles secondaires avaient encerclé leurs écoles.
L’absence de message Solidaire masque une gêne de son Plan de transition ignorant le « prendre soin »
Ce vide politique offre à Québec solidaire une chance inouï de proposer sinon son Plan de transition du moins la revendication la plus pointue de sa campagne électorale de l’automne dernier. Le parti vient tout juste de proposer comme revendication pré-budgétaire de « [r]éduire les tarifs de transport collectif de moitié et améliorer le service pour répondre à l’achalandage supplémentaire ». Le contingent Solidaire brillait par ses très visibles étendards oranges et la présence de ses dix membres de l’Assemblée nationale mais aussi par l’absence de bannières et même de pancartes artisanales ou non... sauf celles clamant « Manon sauve-nous » et « Gabriel sauve-nous », les seules utilisant du matériel du parti mises en évidence sur le site Facebook Solidaire !
Quant au Plan de transition Solidaire, épine dorsale socio-économique de son projet de société et remis à l’avant-plan, il a été élaboré en secret par une boîte à penser liée au PQ, jamais discuté ni voté par la militance du parti et de ce fait acquis à une orientation capitaliste vert matinée de nationalisme extractiviste. Ce plan ne saurait répondre à l’exigence stratégique du mouvement climatique mondial de la jeunesse soit de « [s]abrer les émissions de CO2 de 45 % d’ici 2030 (par rapport à 2010). Atteindre un « zéro net » d’émissions de CO2 vers 2050. » (Le Devoir). Le GIEC pour arriver à cet objectif intermédiaire a mis pas mal d’eau dans son vin (voir annexe) de sorte à donner l’espoir qu’il existe encore une dizaine d’années pour prendre un tournant radical alors que, comme le dit la jeune suédoise, il faut paniquer dès maintenant et non se nourrir de (faux) espoir.
Le Plan de transition Solidaire ignore ou galvaude l’orientation « prendre soin », qui vaut autant pour les gens que pour la terre-mère, au cœur de toute alternative de plein emploi écologique. Ce faisant, il n’inclut pas la lutte contre l’austérité qui n’a pour le parti qu’un aspect de justice sociale mais non écologique. Pourtant, les emplois en santé, en éducation, en service social non seulement sont peu énergivores, sauf en énergie directement humaine, mais sont riches de construction de rapports sociaux à l’encontre du consumérisme. La lutte contre les bas salaires et les mauvaises conditions de travail fait reculer l’aliénation ce qui donne les moyens matériels et spirituels pour adopter un mode de consommation le plus rationnel possible dans le cadre du système de production à l’encontre de la mauvaise qualité et de l’obsolescence programmée. Étant donné la primauté que prend la lutte climatique, une compréhension écologique, pour ne pas dire éco-féministe, de la lutte du Front commun du secteur public s’amorçant cet automne boosterait encore plus sa pertinence sociale et créerait des liens de solidarité encourageant une mobilisation conjointe capable de contrer la vague identitariste mondiale qui s’enfle.
Condescendance et générosité du Plan de transition Solidaire vis-à-vis l’entreprise privée
La dimension « prendre soin » de la terre-mère fait aussi problème dans le Plan de transition. Le Plan solidaire compte sur le transport des personnes pour réaliser plus de la moitié des gains en réduction des gaz à effet de serre (GES) alors que ce secteur compte pour environ le quart des émanations de GES du Québec. Vice-versa pour le transport des marchandises qui compte aussi pour le quart des émanations de GES mais duquel le Plan solidaire n’attend que moins 10% des gains en réductions de GES. On constate la même disproportion du côté de l’industrie qui compte pour environ le tiers des émanations de GES du Québec mais dont le Plan de transition n’attend aussi que moins de 10% des gains [1]. Somme toute, Québec solidaire met des gants blancs avec les entreprises privées qui possèdent et contrôlent les secteurs de l’industrie et du transport des marchandises et sert la vis aux ménages et aux gouvernements qui possèdent et contrôlent les moyens de transport des passagers.
La condescendance vis-à-vis l’entreprise privée se mue en générosité envers elle quand on réalise que les objectifs en matière de transport des passagers seront atteints soit par des subventions pour l’achat d’autos solos électriques soit par de grands projets coûteux et longs à réaliser tels le REM et la ligne de métro dite rose de Projet Montréal. La première politique, au profit des transnationales produisant hors Québec, consacre la continuation de l’étalement urbain, que la loi ne sera pas en mesure d’arrêter, aux dépens des terres agricoles et de l’agriculture urbaine et au bénéfice des énergivores banlieues tentaculaires de maisons unifamiliales souvent surdimensionnées. La deuxième politique, au profit des SNC-Lavalin et des Tony Accurso, abandonne la trame urbaine, là où réside et travaille Madame et Monsieur Tout-le-monde, à l’auto solo, à essence ou électrique. Ces grands projets tape-à-l’œil enrichissent promoteurs immobiliers et grands commerçants au détriment même des stationnements incitatifs supprimés du projet sans transport collectif compensatoire.
En finir avec le cancer urbain de l’auto solo et mettre au pas les entreprises... souvent dans leur intérêt
Prendre soin de la terre-mère signifie à court-terme composer avec la trame urbaine existante pour atteindre rapidement des résultats probants en termes de réduction de GES, car le temps presse, tout en prenant des mesures immédiates pour anticiper une reconfiguration structurelle de l’aménagement du territoire. Les autoroutes et les boulevards existant en abondance, ils doivent être utilisés pour moitié d’ici 2030 en voies réservées pour du transport en commun électrifié, fréquent et confortable construit au Québec sous contrôle public et gratuit d’ici là de sorte qu’il devienne un service public majeur, comme la santé et l’éducation.
Loin d’être concentrés dans les centre-ville selon le modèle du moyeu comme c’est le cas dans le Plan de transition, ces investissements s’étaleront en banlieue et en région selon le modèle de la toile d’araignée contribuant à la décentralisation de l’emploi et donc aux navettes courtes favorisant le transport actif. Avec avertissement dès maintenant, l’auto solo serait interdite dès 2030 dans les zones métropolitaines puis par étapes jusqu’en 2040 ou 2050 ailleurs. La collecte de passagers vers les grands axes serait assurée par des minibus graduellement autonomes et électrifiés en circuit balisé, déjà en expérimentation dans la région de Montréal. Ce système serait complété par un service d’autopartage communautaire.
L’électrification de camions légers est déjà en cours. Elle peut être complétée d’ici 2030 en n’en faisant une obligation pour les entreprises qui y ont un intérêt tellement la dépense en énergie est meilleure marché que pour les camions à essence, quitte à obliger les banques à financer l’opération à bon compte. Que dit le Plan de transition au sujet du transport de marchandises à courte ou moyenne distance ? Rien de spécifique, aucun objectif, aucun échéancier. Il en est de même pour le camionnage lourd où l’on donne la priorité à la collaboration avec l’industrie entre autre pour une autoroute électrique au détriment de la priorité à donner à la construction d’un réseau public ferroviaire et de cabotage qui pourrait être complété d’ici 2040. Le transport des marchandises est pourtant là où le bât blesse non seulement parce que ses émanations de GES sont aussi importantes que celles pour le transport des passagers mais aussi parce que ces émanations de GES sont en croissance rapide.
Rio-Tinto a annoncé un procédé révolutionnaire de fabrication de l’aluminium dépourvu d’émanations de GES alors que celles-ci comptent pour un peu plus de 5% de toutes les émanations de GES du Québec. Comme l’affaire est de toute façon rentable, l’entreprise devrait être obligée d’implanter ce processus d’ici 2030, et non 2034 comme promis, et de le partager avec sa rivale ALCOA, à bon prix bien sûr. Mais ce genre d’obligation ne fait pas partie de la façon de faire du Plan solidaire. Il est plus que temps de mettre fin au scandale du pillage des forêts pour fabriquer du papier, en particulier du papier-journal, d’autant plus que cette fabrication est énergivore. Des alternatives électroniques sont maintenant disponibles.
Se souvenir des succès de la planification du XXiè siècle en la démocratisant à la mode du XXIiè siècle
Quant aux travailleurs impliqués, de même que ceux peu nombreux de l’industrie pétrolière et aussi ceux de l’armement et pas mal d’autres fabricant, vendant et publicisant de la pacotille et des produits inutiles ou qui le deviendront, il y a place pour eux et elles dans les austérisés services publics anciens à bonifier et ceux nouveaux comme le transport collectif, la conservation de l’énergie et les énergies renouvelables. Qu’on songe au seul potentiel de création d’emplois que nécessiterait la mise au niveau écologique de l’ensemble des bâtiments du Québec. Le partage du travail socialement nécessaire par la diminution du temps de travail fera le reste y compris pour les personnes trouvant refuge chez nous fuyant les crises de ces États faillis et en ruine provoquées et entretenus par l’impérialisme et ses acolytes locaux.
Le déploiement de cette société alternative de « prendre soin » de plein emploi écologique ne saurait aboutir encadré par le marché sous contrôle des grandes entreprises que l’on tente d’influencer par un marché du carbone et autres écotaxes et subventions, piège capitaliste vert dans lequel s’enferme le Plan de transition de Québec solidaire. Il requiert une planification publique déterminée démocratiquement. La planification a XXiè siècle a révélé son efficacité, pour le meilleur et pour le pire, que ce soit au Canada et aux ÉU pour convertir en deux ou trois ans leur économie de paix en économie de guerre, en France qui a reconstruit son économie dévastée par la guerre avec ses plans quinquennaux, en URSS qui s’est hissé au niveau d’une puissance industrielle qui la première a conquis l’espace, en Chine qui s’est dotée d’une base industrielle et agricole nationale sur laquelle s’est construite sa croissance exponentielle.
Reste à harnacher cette force formidable qu’est la planification. Il lui faut d’abord un but exaltant qui fasse l’unanimité par sa nécessité. Sauver l’humanité civilisée de la crise climatique provoquée par l’accumulation du capital addict de la croissance devient ce but presque à marches forcées. Il lui faut ensuite non seulement arracher le contrôle de l’épargne nationale aux banques et consorts, tout comme celui stratégique des moyens de transport et d’énergie mais ne pas le remettre aux mains de bureaucraties, capitalistes ou non, qui feront de la planification une fourmilière de corruption et de gaspillage qui rateront leurs cibles. C’est cette planification démocratique pour une société de plein emploi écologique du « prendre soin » qui devrait être le projet de société Solidaire.
L’indépendance internationaliste du « prendre soin » ou celle nationaliste du capitalisme vert ?
Au lieu de faire face, le parti s’enfonce dans son Plan de transition capitaliste vert. Nul besoin pour réaliser ce Plan de poser la nécessité de l’indépendance du Québec. Il s’accommode de la taxe carbone fédérale et ne requiert pas la prise de contrôle des secteurs de la finance, de l’énergie et des transports en autant qu’il puisse éviter les oléoducs et gazoducs d’Ottawa. Pire, le Plan de transition ouvre grand la porte au nationalisme extractiviste propagé par le collectif Option nationale à qui le parti a sous-traité la thématique de l’indépendance [2]. Sans compter l’absence de volonté pour transformer l’agro-industrie en agriculture biologique, sauf à la soutenir financièrement, le Plan appelle à construire une filière du lithium fort polluante et une filière de la transformation énergétique des résidus forestiers et agricoles au lieu de les laisser sur le sol pour le nourrir.
On est très loin de la conception d’une indépendance internationaliste libérant la nation québécoise du Canada pétrolier qui ne le reconnaît pas et qui le dénigre, pour s’associer pleinement à la lutte climatique mondiale contre le capital transnational et ses relais locaux afin d’édifier une société mondiale du « prendre soin ». Le grand soulèvement naissant de « La planète s’invite... », particulièrement de sa jeunesse, reste orphelin d’un projet de société et d’un plan d’action afférant.
Marc Bonhomme, 18 mars 2019,