Avec la rupture opérée par la direction du Parti communiste et la proclamation de sa candidate, Marie-George Buffet, le rassemblement antilibéral, tel qu’initié par l’appel du 10 mai 2006 en faveur de candidatures unitaires aux échéances électorales de 2007, vient de subir un grave échec.
C’est la dynamique même de la campagne du « non » de gauche au traité constitutionnel européen qui est atteinte. C’est l’espoir porté par des centaines de collectifs et par les meetings enthousiastes des derniers mois qui est menacée. C’est l’opportunité historique de voir s’affirmer un début d’alternative au libéralisme et au social-libéralisme, défendant sur la scène politique les aspirations portées par les mobilisations, répondant à l’attente de milliers de militants du mouvement social, qui peut se voir porter un coup fatal.
Tirons donc le bilan soigneux de la riche expérience à laquelle nous avons participé, et définissons ensemble des perspectives permettant que les acquis de la bataille pour l’unité ne soient pas dilapidés.
Tirer le bilan et préserver nos acquis communs
En s’écartant de la recherche du consensus, méthode qui s’avère pourtant la seule à même de préserver la diversité et l’unité du rassemblement antilibéral, les dirigeants du PCF ont exprimé qu’ils ne s’étaient pas débarrassés des pratiques hégémoniques qui les ont si longtemps caractérisés ; ils ont marqué leurs difficultés à accepter le défi de leur intégration à un processus qui tendait à poser, en des termes tout à fait nouveaux, la question de leur rapport au Parti socialiste et dessinait, à l’horizon, leur propre dépassement.
Avant eux, la direction majoritaire de la LCR s’était elle-même employée à affaiblir le regroupement des forces antilibérales, l’illusion électoraliste que l’avenir dépendait d’un score d’Olivier Besancenot venant contredire l’objectif stratégique, constamment réaffirmé par les congrès de notre organisation, celui d’un débouché politique à la hauteur des attentes sociales comme de la profondeur du rejet du libéralisme dans la société française, dans la perspective d’une nouvelle force anticapitaliste large.
À leur manière, les camarades de Pour la République sociale, auront également concouru aux difficultés du regroupement des antilibéraux, en se montrant jusqu’au bout tributaires de la synthèse acceptée par eux au congrès socialiste du Mans, et en limitant considérablement leur implication dans le mouvement des collectifs, pour ne pas mettre en péril leurs choix au sein du PS.
Ce à quoi il convient d’ajouter une série de facteurs qui n’auront pas permis à la dynamique politique et militante de triompher des calculs à courte vue : la dynamique trop récente des collectifs locaux, la faiblesse et l’hétérogénéité des autres composantes du rassemblement (impossibles à dépasser en si peu de temps), des initiatives mal maîtrisées comme le retrait de la candidature de José Bové le 24 novembre, les insuffisances du collectif national et son incapacité à se mettre d’accord sur une seule candidature pouvant réunir le consensus...
Ce que nous avons semé ces derniers mois ne doit pourtant pas disparaître. Une force militante considérable s’est affirmée à travers le mouvement des collectifs. Dans le prolongement de la bataille du référendum, cette force a contribué à briser les barrières qui séparaient des traditions et des cultures concurrentes, des acteurs du mouvement social et des militants engagés dans des partis.
De même, le document « Ambition-Stratégie » adopté le 10 septembre a commencé à dessiner les contours d’une démarche d’indépendance véritable envers le social-libéralisme au sein de la gauche. Il a affirmé que le projet d’une gauche de gauche ne pouvait se contenter de vouloir infléchir la politique du PS, sans jamais obtenir le moindre résultat, mais qu’il devait viser à donner une majorité à gauche à une orientation de rupture franche avec le libéralisme. Et c’est en fonction de cet objectif qu’il a pu dire clairement que la gauche antilibérale ne serait ni d’un gouvernement, ni d’une majorité parlementaire formée autour du Parti socialiste, de son programme social-libéral, et d’une candidate désormais désignée qui cherche son inspiration du côté de Tony Blair.
Quant aux 125 propositions du projet de programme, par-delà les questions restant en débat, elles seront dans la foulée parvenues à installer dans l’espace politique les principales exigences portées par les grandes mobilisations qui se sont succédé depuis 1995, ce qui n’avait jamais été le cas jusqu’à présent.
Plus que jamais, garder le cap !
L’objectif qui nous a animé ces derniers mois, celui du rassemblement de toute la gauche antilibérale, n’a rien perdu de sa pertinence. L’issue de l’élection présidentielle, comme celle des législatives qui suivront, vont de nouveau clarifier les enjeux politiques du moment.
Une victoire de la droite sanctionnerait une nouvelle fois l’impuissance du social-libéralisme à répondre aux aspirations populaires. À l’inverse, un succès de Ségolène Royal reposerait en des termes très concrets les questions cruciales de l’indépendance vis-à-vis du Parti socialiste et de l’indispensable refus de participer au gouvernement qu’il formera autour de lui. Au PCF comme à la LCR, la réalité des campagnes électorales menées, les scores réalisés dans ce cadre, les choix opérés à l’issue des scrutins rouvriront tous les débats de stratégie qui traversent ces deux formations.
La question de l’alternative à gauche se trouvera, par conséquent, reposée à toutes les forces qui refusent de se soumettre au libéralisme, des socialistes en rupture avec les logiques d’accompagnement du système jusqu’aux secteurs du mouvement social à la recherche d’un prolongement politique à leurs engagements, en passant par le PCF et la LCR.
Le combat pour la reconstruction d’un projet de transformation radicale de la société, pour l’affirmation d’une gauche de gauche, demeure dès lors notre horizon. Plus que jamais, il s’impose de bâtir un rassemblement durable, ayant pour vocation de battre le social-libéralisme au sein de la gauche et d’y rendre majoritaire une politique de rupture avec le capitalisme libéral. À charge, pour cette gauche de gauche, de savoir réaliser la synthèse entre le meilleur de la tradition du mouvement ouvrier traditionnel, l’expérience des nouveaux mouvements sociaux et de l’altermondialisme, les acquis du combat écologiste et les apports du féminisme.
C’est en fonction de cette visée qu’il nous faut préserver les acquis du rassemblement initié avec l’appel du 10 mai 2006 et de l’espace politique que celui-ci a commencé de dessiner avec le texte « Ambition-Stratégie » et les 125 propositions du projet de programme. C’est également ce qui doit nous conduire, contre les logiques de division et d’éclatement, à poursuivre tous et toutes ensemble l’expérience des collectifs, qui sont les cadres légitimes héritiers de la bataille engagée en faveur de candidatures unitaires pour les élections de 2007. Poursuivre en commun, dans la diversité qui a fait notre force, suppose évidemment de conserver la méthode du consensus s’agissant des décisions à prendre.
Discutons, par conséquent, sur cette base, de l’action à mener collectivement à l’occasion des échéances électorales qui s’annoncent, de la structuration permettant au mouvement des collectifs de peser le plus efficacement possible, des médiations à travers lesquelles peut se forger un rassemblement antilibéral durable.
Comment continuer ?
À la présidentielle comme aux législatives, notre objectif reste de battre la droite, de regrouper une gauche de gauche sur la base des acquis de la dernière période, d’interpeller l’ensemble des composantes de la gauche antilibérale.
Le courant qui s’est structuré en « Plate-Forme 3 » lors du dernier congrès de la LCR (et dont le bulletin est « Unir 100% à gauche ») a tenu une réunion nationale les 13 et 14 janvier, pour faire le point de la situation. À une très large majorité, un vote indicatif a dégagé les propositions suivantes, soumises à la réflexion de la réunion des collectifs, ces 20 et 21 janvier.
1. À l’élection présidentielle, il nous paraît indispensable de continuer à nous adresser à l’ensemble des composantes de la gauche antilibérale, autour de l’idée d’une candidature « trait d’union » entre toutes les sensibilités impliquées, pour le retrait de Marie-George Buffet et Olivier Besancenot, sur la base des délibérations des collectifs qui avaient notamment dégagé les noms de Clémentine Autain et Yves Salesse pour une possible présentation consensuelle. Jusqu’au 16 mars, date-limite de dépôt des candidatures, une campagne de meetings et réunions publiques pourrait ainsi être organisée, destinée en particulier à adosser cette démarche unitaire aux propositions programmatiques des collectifs.
De ce point de vue, le succès de l’appel en faveur de la candidature de José Bové confirme la force des aspirations à l’unité de la gauche antilibérale. Pour que cet appel remplisse la fonction positive qui peut être la sienne, il devrait
* s’inscrire dans le cadre d’une candidature collective et du travail réalisé depuis des mois par les collectifs unitaires, en particulier les textes adoptés le 10 septembre et les 14-15 octobre ;
* et que, procédant d’une décision consensuelle, la candidature de José Bové soit proposée comme « trait d’union » possible entre toutes les composantes de la gauche antilibérale, comme l’ont été dans la phase précédente les candidatures de Clémentine Autain et Yves Salesse.
Pour notre part, nous considérons qu’il ne doit pas s’agir d’une candidature supplémentaire : elle implique le retrait de M.G.Buffet et O.Besancenot dans une perspective d’unité antilibérale, si elle veut devenir celle du mouvement unitaire des collectifs.
C’est parce qu’il convient de débattre soigneusement des objectifs poursuivis et de leurs traductions pratiques, que nous n’avons pas jugé opportun, comme courant engagé depuis le début dans la bataille de l’unité, de nous associer collectivement à la signature l’appel, même si des camarades de notre courant l’ont fait à titre individuel. En effet, comme le dit très justement l’introduction à nos discussions de ce week-end : « Nous comprenons ce qui s’exprime dans la volonté d’une candidature antilibérale malgré tout : elle démontre l’aspiration à ne pas renoncer. Mais, si elle n’était pas le résultat d’un consensus, elle ne serait pas celle du rassemblement des collectifs unitaires. »
2. Au-delà, c’est aux élections législatives que la bataille pour l’unité a l’occasion de s’enraciner. Les collectifs disposent, pour cette échéance, de plus de marges de manœuvre et de réalisation possible. Ils ont les possibilités de poursuivre et d’accentuer la pression vis-à-vis des partis, PCF et LCR, qui se refusent à l’unité à la présidentielle. Ils ne sauraient, nous semble-t-il, chercher à systématiquement présenter des candidats en leur nom entre ceux de la LCR et du PCF, mais chercher d’abord à contraindre ces formations à un accord unitaire. Il importe, à cette fin, que s’engage sans délai un processus de discussion entre les collectifs et les forces politiques locales - lesquelles se sont, dans de très nombreux cas, engagées loyalement dans la démarche de construction de l’unité antilibérale. Dans un département, dans une région, dans une ville, il nous paraît possible de peser pour de vraies candidatures unitaires, et des sections du PCF comme du la LCR peuvent être majoritairement convaincues. De plus, c’est aux législatives que se jouera, plus encore, le profil politique des candidatures : battre les candidats de droite au second tour, rassembler une gauche de gauche qui vise à contester la domination du social-libéralisme à gauche, défendre le programme de 125 propositions, refuser de participer à un gouvernement PS ou à une majorité en soutien à celui-ci, tout en votant et en proposant des lois adossées à la mobilisation sociale. Ce sont là des questions directement présentes pour présenter des candidats et chercher à les faire élire.
Là où un réel processus unitaire local n’aura pas été mis en œuvre, les partis maintenant des candidats en leur propre nom, il ne pourra être accordé de label unitaire. Dans ces cas, il appartiendra alors aux collectifs de présenter des candidats en leur nom propre dès lors qu’ils seront en mesure de le faire. En ne réduisant pas la discussion à un accord d’états-majors au sommet, mais en partant de ce travail préalable réalisé au niveau des collectifs puis à celui des départements, une réunion nationale pourrait, en mars, opérer une synthèse permettant d’engager la discussion avec les forces politiques nationales, aboutissant à une labellisation des candidatures unitaires à l’échelle du territoire, et à un accord de répartition de circonscriptions quand il n’y aura pas de candidatures communes.
Pour ce qui nous concerne, nous engagerons un débat au sein de la LCR pour que celle-ci opère un tournant unitaire à cette occasion, pour qu’elle accepte de participer à ces candidatures unitaires, et là où les sections de notre organisation y sont favorables, qu’elle les laisse faire si les bases politiques sont acceptables.
3. Notre combat ne se borne pas aux échéances électorales de cette année : il doit permettre d’aborder ensemble les rendez-vous des luttes sociales. Car nous visons à un rassemblement militant et durable. La question est posée d’une nouvelle force politique à même d’en finir avec l’hégémonie du social-libéralisme sur la gauche. Ces questions sont d’ores et déjà en débat. À ce stade pourtant, seules des mesures provisoires nous paraissent pouvoir être prises, la structuration d’une nouvelle organisation, voire d’une association nationale centralisée, nous semble prématurée. C’est seulement à l’issue de la « séquence » électorale de 2007, sur la base d’un bilan de ce qui y aura été possible, que des assises nationales devront se réunir pour discuter des étapes suivantes du processus unitaire. À la rencontre des 20 et 21 janvier, nous sommes en conséquence favorables à une structuration souple, qui permette d’atteindre une meilleure efficacité et une plus grande transparence de notre action commune, qui tende à mieux impliquer les collectifs dans la coordination du réseau qu’ils constituent, grâce à un cadre qui associe collectifs, sensibilités politiques du rassemblement, et personnalités qui se sont engagées depuis le début dans la bataille de l’unité.
*****
Depuis le début, nous savons que notre entreprise est difficile. Mais c’est la seule à même de relever des défis aussi complexes que nouveaux. Nous avons le devoir de continuer tous et toutes ensemble.