On va de surprise en surprise en Algérie : Bouteflika a nommé comme ministre le général qui voulait le destituer… avant d’annoncer sa propre démission avant le 28 avril (date légale de la fin de son mandat). Kamel Aïssat, militant du Parti socialiste des travailleurs, qui était présent au meeting parisien du NPA, nous explique la situation et les réactions populaires.
Sam Wahch et Antoine Larrache – Peux-tu nous expliquer les déclarations de Gaïd Salah ?
Kamel Aïssat – Gaïd Salah a annoncé samedi soir qu’il demandait l’application de l’article 102 et des articles 7 et 8 de la Constitution. Les articles 7 et 8 ne sont pas conformes à l’article 102 : L’article 102 stipule que c’est le président du Sénat qui prend la suite de la présidence et organise les élections. Les articles 7 et 8 font référence à la souveraineté du peuple, à une autre situation. Donc ça veut dire que Gaïd Salah est en train de menacer la présidence d’une offensive s’il ne démissionne pas. Il veut accélérer l’annonce de l’article 102. Il s’agit d’une lecture politique et non pas juridique, parce qu’au niveau juridique les trois articles cités sont contradictoires.
La lecture politique est : on ne veut pas de Bensalah (président du Sénat), identifié comme présidentiable, par contre ils vont trouver un président intérimaire pour une période provisoire. Dans la nuit, des groupes sont sortis avec de nouvelles banderoles dans Alger pour dire « Oui à Gaïd Salah et à des gens comme ça » mais ils étaient minoritaires et le lendemain un groupe de jeunes qui étaient venus avec ces pancartes ont été chassés de la manifestation devant la grande poste.
Les manifestations du weekend ont montré que la mobilisation était restée intacte, si elle ne s’est pas renforcée dans d’autres secteurs. Pendant la semaine, il y a eu beaucoup de marches de secteurs d’activités économiques des travailleurs de tous bords, chaque jour nous avons une manifestation. Donc on peut dire que la première réponse aux déclarations de Gaïd Salah était une mobilisation continue.
Il y a donc un conflit entre l’armée et la présidence ?
Bouteflika a annoncé la constitution d’un nouveau gouvernement où on retrouve comme vice-ministre de la Défense le général Gaïd Salah qui la veille avait menacé Bouteflika de le renvoyer, de le démettre. Donc le fond de ces bagarres nocturnes où ils ont tiré les couteaux est qu’ils ont essayé de construire un compromis en vue de préserver l’essentiel. Ce compromis est basé essentiellement sur la démission de Bouteflika et la nomination d’un gouvernement durant la période transitoire.
Et ce matin, ils ont commencé à sacrifier quelques grands milliardaires à l’image de Haddad et Kouninef, qui ont certainement dilapidé les biens publics, mais ce n’est qu’un échantillon des personnages qui se sont mal enrichis durant le règne de Bouteflika. Ces sacrifices sont une réponse aux revendications du peuple qui demande quelque part le jugement de tous ceux qui ont acquis des richesses sur le dos de la souveraineté nationale.
Les bagarres au somment de l’État algérien entre les différentes factions sont très violentes mais en aucune manière leurs solutions ne trouvent un écho dans le mouvement populaire. Celui-ci est plus radical, il exprime dans son mot d’ordre de « système dégage » tout le rejet de ceux qui ont touché à la souveraineté nationale, de ceux qui ont dilapidé les biens depuis des années, de cette bourgeoisie compradore dont une partie est aujourd’hui jetée en pâture au peuple.
Mais le peuple en demande beaucoup plus. Les premières réactions à la nomination de ce gouvernement et pour ne pas dire à ce compromis entre Gaïd Salah et Bouteflika sont le mécontentement et la colère de la rue. Ce lundi, il y a eu des marches importantes à Béjaïa, par exemple des travailleurs de l’éducation du secteur de l’enseignement supérieur dans le cadre des activités d’un syndicat qui est en train d’être réapproprier par les travailleurs de l’UGTA. Aujourd’hui ça été vraiment une grande mobilisation.
Que penses-tu de l’annonce du départ de Bouteflika ?
Un communiqué de la présidence a été lu lundi soir sur les chaines de télévision, où ils disent que Bouteflika annonce qu’il démissionnera avant le 28 avril et que d’ici là il prendra des mesures importantes qu’il annoncera ultérieurement. Il ne fait référence à aucune mesure particulière.
Gaïd Salah disait il y a de ça un mois qu’il était garant des élections, qu’il soutenait le 5èmemandat de son excellence Bouteflika. Il se trouve que les rapports de force avec la société ont changés, qu’il y a des sacrifices à faire. Ça avait commencé par la première reculade du retrait de la candidature de Bouteflika et la dissolution du gouvernement, puis la nomination d’un nouveau gouvernement en sacrifiant Ramtame Lamamra, le ministre des affaires étrangères qui était numéro 2 du gouvernement. Celui-ci avait fait trop de tournées au niveau des pays européens…
Mais il faut comprendre que nous sommes en face d’un pouvoir composé de plusieurs factions qui sont dans un moment de crise, donc ils sont en train de rechercher le compromis qui leur permet de maintenir leurs intérêts au long terme et ils ont commencé par les premiers sacrifices : Bouteflika n’aura pas de 5e mandat, ils sont en train d’arrêter beaucoup d’hommes d’affaires puissants en Algérie, ils sont en train de réaliser certaines concessions sous la pression du mouvement populaire.
En revanche, dire que Gaïd Salah serait une garantie pour la continuité du système est une chose erronée parce que Gaïd Salah est lui-même la continuité fondamentale du système. La bourgeoisie algérienne est partie liée à l’appareil de l’ANP depuis 1962, c’est pour ça que nous parlons de capitalisme d’état pour notre pays et c’est pour ça que nous qualifions Bouteflika de Bonaparte.
Que défend le PST dans cette situation ?
Vendredi prochain, le PST va être mobilisé avec toutes ses forces pour essayer de diffuser nos idées, plus particulièrement sur l’assemblée constituante qui part des intérêts de la majorité du peuple algérien, c’est-à-dire des travailleurs, des chômeurs, des femmes, de tous les exclus du système capitaliste, dont les revendications doivent se retrouver codifiées dans la nouvelle constitution.
La mobilisation sera très forte, peut-être beaucoup plus forte que les autres mobilisations. Dans les associations, dans les discussions les gens envisagent non plus de venir en famille mais de venir y compris avec leurs animaux domestiques pour qu’ils comprennent que ne peuple veut qu’ils dégagent tous et qu’on ne veut pas d’eux pour organiser aucune transition !
Notre idée d’assemblée constituante basée sur les intérêts d’une masse populaire est en train de s’implanter dans beaucoup de secteurs. Ce n’est pas une fin en soi mais une étape dans le processus en cours en Algérie pour arracher le plus d’espace, pour asseoir plus de droits sociaux et démocratiques dans la nouvelle constitution algérienne.
Le PST essaye de converger avec toutes les forces qui se réclament du camps des travailleurs, du camps des exclus, de porter notre voix dans toutes les marches où nous sommes et surtout donner un sens aux mots d’ordre profonds du peuple qui sont « système dégage » et « nous voulons juger tous les gens qui ont dilapidé les biens », chose que nous interprétons nous comme la levée du secret bancaire sur toutes les richesses en Algérie, et « système dégage » comme le système basé sur l’économie de bazar, de marché qui a ruiné l’économie algérienne.
Comment voyez-vous le processus constituant ?
Il doit se réaliser durant les mobilisations, sinon ce seront les forces de l’argent qui vont imposer une autre constitution qui représente leurs intérêts, les intérêts d’une minorité qui sont en train de s’accaparer les richesses de l’Algérie. La continuité de la mobilisation ainsi que son approfondissement et son auto-organisation sont les seules garanties que nous avons en tant que travailleurs, que femmes opprimées, que jeunes, chômeurs, exclus du système pour imposer notre espoir dans cette constituante.
Nous sommes en face d’un mouvement populaire spontané qui a commencé à s’organiser mais pas avec les formes classiques qu’on a connu dans l’Histoire. Il n’y a pas eu de force sociale qui a ont émergé en particulier au départ, mais c’était la société civile en général, la population qui manifestait pendant le vendredi, c’est-à-dire « le dimanche algérien », le jour où on ne travaille pas. La population a décidé d’exprimer des mots d’ordre sur des petites pancartes qui ont évolué vers l’élaboration de banderoles. Celles-ci ont porté certaines revendications qui restent très loin d’une conceptualisation mais dont le contenu conceptualisé par des forces comme la nôtre donne un sens très profond, très radical au mouvement.
L’auto-organisation n’est pas un concept figé dans l’Histoire, c’est l’outil que se donne les masses à un temps T en fonction de leur conscience, de leurs traditions de lutte ou de traditions tout court pour affronter un adversaire. Aujourd’hui, la population considère qu’elle est organisée dans la mesure où il y a une liberté d’expression large dans les marches qui revendiquent des choses et qui ont en face un régime qui répond par des lettres de Bouteflika ou Gaïd Salah. La réponse du peuple, ce sont les marches du vendredi et dans la semaine pour les secteurs de travailleurs.
Il y a une mobilisation maximale, bien disciplinée, à l’image de ces jeunes des quartiers qui nettoient derrière les manifestations ! Mais les porte-paroles qui ont essayé d’émerger, propulsés par les chaines de télévision privées, particulièrement par les journaux du patronat, ont quasiment tous été rejetés. C’est le vœu du pouvoir d’avoir des personnalités choisies par les médias, mais ce n’est pas le cas aujourd’hui. L’auto-organisation a beaucoup évolué dans de nombreux secteurs.
Elle a commencé à se réaliser dans les Universités. Nous y assistons à l’émergence de comités autonomes. Ce qui explique l’empressement du ministre de l’enseignement supérieur à fermer les universités algérienne quinze jours avant les vacances et pour une durée d’un mois. Le deuxième aspect c’est que maintenant tous les quartiers viennent en marche organisée derrière leur banderole, les villages viennent organisés, les travailleurs agissent dans les différents syndicats qu’ils soient dits autonomes par les corporations ou par la classe ouvrière profonde qui est dans l’UGTA. C’est le cas à SONACOM ou dans le port industriel sidérurgique de Annaba qui ont fait des assemblées générales, qui ont fait des manifestations de rue et aujourd’hui dans beaucoup de secteurs.
Chaque jour nous avons un début d’auto-organisation. Est-ce que c’est un « soviet » ? Non, mais c’est un début de débat entre les travailleurs, d’organisation des travailleurs, d’expression autonome des travailleurs y compris par rapport aux appareils syndicaux et à leur direction qui sont bureaucratisés.
Propos recueillis par Sam Wahch et Antoine Larrache
• Créé le Lundi 1 avril 2019, mise à jour Lundi 1 avril 2019, 23:55 :
https://npa2009.org/idees/international/algerie-les-factions-au-pouvoir-font-des-sacrifices-pour-maintenir-leurs
Le chef de l’État-major propose la destitution de Bouteflika
Aujourd’hui, 26 mars, le général Ahmed Gaïd Salah chef d’État-major de l’ANP en visite dans la 4° région militaire (Ouargla) vient de faire une déclaration sur la situation politique du pays : « Il faut adopter une solution qui garantit la satisfaction de toutes les revendications légitimes du peuple algérien et qui garantit le respect des dispositions de la Constitution et la continuité de la souveraineté de l’État, une solution de nature à être acceptée de tous. C’est une solution prévue par la Constitution dans son article 102 ».
Cette déclaration suscite pas mal d’interrogations.
Pourquoi Gaïd Salah choisit-il Ouargla (900 kms par rapport à Alger) pour faire une pareille déclaration ? S’agit-il d’une démarche de précaution ou bien le fait-il par souci d’éviter que son initiative ne soit assimilée à un putsch ?
Pourquoi c’est le chef d’état major et non pas le Conseil Constitutionnel, qui est régulièrement habilité, qui le fait ?
Peut-être que le conseil constitutionnel, qui est acquis au cercle présidentiel est opposé à cette option de ce point de vue la démarche de Gaïd Salah résonne comme une pression. Ou peut- être, seulement, que l’armée qui a l’habitude de décider en dernier ressort n’a pas encore rompu avec ce rôle. Dans ce cas, tout de même, elle rompt avec sa manière habituelle de faire qui est la discrétion.
Peut-être que Gaïd Salah anticipe pour court-circuiter une démarche qui vise à mettre l’Algérie à la merci des puissances étrangères !
Voyons maintenant ce que dit l’article 102 de la constitution.
« Art. 102.42 — Lorsque le Président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit, et après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés, propose, à l’unanimité, au Parlement de déclarer l’état d’empêchement. Le Parlement siégeant en chambres réunies déclare l’état d’empêchement du Président de la République, à la majorité des deux tiers (2/3) de ses membres et charge de l’intérim du Chef de l’Etat, pour une période maximale de quarante cinq (45) jours, le Président du Conseil de la Nation, qui exerce ses prérogatives dans le respect des dispositions de l’article 104 de la Constitution. En cas de continuation de l’empêchement à l’expiration du délai de quarante cinq (45) jours, il est procédé à une déclaration de vacance par démission de plein droit, selon la procédure visée aux alinéas ci-dessus et selon les dispositions des alinéas suivants du présent article. En cas de démission ou de décès du Président de la République, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit et constate la vacance définitive de la Présidence de la République. Il communique immédiatement l’acte de déclaration de vacance définitive au Parlement qui se réunit de plein droit.
Le Président du Conseil de la Nation assume la charge de Chef de l’Etat pour une durée de Quatre-vingt-dix (90) jours au maximum, au cours de laquelle des élections présidentielles sont organisées. Le Chef de l’Etat, ainsi désigné, ne peut être candidat à la Présidence de la République. En cas de conjonction de la démission ou du décès du Président de la République et de la vacance de la Présidence du Conseil de la Nation, pour quelque cause que ce soit, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit et constate à l’unanimité la vacance définitive de la Présidence de la République et l’empêchement du Président du Conseil de la Nation. Dans ce cas, le Président du Conseil constitutionnel assume la charge de Chef de l’Etat dans les conditions fixées aux alinéas précédents du présent article et à l’article 104 de la Constitution ».
Selon cet article, on peut tomber dans une situation ou la période d’intérim pourra durer huit mois sans que le gouvernement ne change. Autrement dit se serait la formule de Bouteflika sans Bouteflika.
Voyons maintenant le contenu de la déclaration. Gaïd Salah parle de « solution qui garantit la satisfaction de toutes les revendications légitimes du peuple algérien ». Mais ces revendications légitimes du peuple doivent se réaliser dans « le respect des dispositions de la Constitution actuelle ». C’est tout le contraire de ce que réclame le peuple. « Le peuple veut un changement radical de régime », mais Gaïd Salah, lui, suggère que Bouteflika passe le relais à ses hommes de mains en gardant toute la structure du régime en place. C’est un marché de dupe. Les revendications du peuple ne sont pas solubles dans le régime actuel. Le combat continue !
Hocine Guernane, militant du PST algérien
• Créé le Mardi 26 mars 2019, mise à jour Mercredi 27 mars 2019, 11:12 :
https://npa2009.org/actualite/international/le-chef-de-letat-major-propose-la-destitution-de-bouteflika