Avant-hier, c’était le 18 avril, jour d’un raz-de-marée électoral pour Abdelaziz Bouteflika et point de départ pour son 5e mandat présidentiel. Relayé par ses seconds couteaux du FLN, du RND, de TAJ et du MPA, le trio au pouvoir – Saïd-Ouyahia-Bedoui –, avait tout ficelé pour le légitimer et le rendre irréversible ; le point d’orgue : la symbolique d’une colonne de fourgons devant le Conseil constitutionnel “chargés” de cinq millions de procurations.
Mais dans son énième calcul maléfique, cette bande avait omis une chose, une seule qui allait lui être fatale : le peuple. Ce fut le grain de sable dans l’engrenage infernal du système, celui qui ruina totalement le pays en une vingtaine d’années de gabegie, de corruption et de dramatique gouvernance.
La première clameur vint de la localité de Kherrata, la seconde de Khenchela, puis ce fut la déferlante, vendredi sur vendredi, jour de semaine en jour de semaine. Devant les regards admiratifs du monde entier, les Algériens ont battu le pavé de toutes les villes et villages d’Algérie, exigeant, dans une incroyable discipline, la fin de 20 années du système Bouteflika, le départ de tous ses représentants et l’édification d’une Nouvelle Algérie politique.
Un système qui cherche à survivre
Les dominos entamèrent leur inexorable chute, l’un faisant chuter l’autre, le premier, le plus emblématique, fut le président de la République lui-même. Aucune de ses manœuvres grossières pour rester encore quelque temps ou pour piloter la transition politique ne résista aux assauts du mouvement populaire.
Le général de corps d’armée, chef d’état-major, Gaïd Salah, aida quelque peu à pousser vers la sortie Bouteflika, mais il prouva vite qu’il n’était pas en phase totale avec son peuple. Il ne possédait aucune âme réformiste, encore moins révolutionnaire. Il interpréta à sa manière la Constitution, en fit une lecture restrictive et s’éloigna des solutions politiques, seules pourtant à même de répondre à la crise.
Très vite, il dévoila son jeu : sauver le système après le départ de Bouteflika. C’est ainsi que fut désigné Abdelkader Bensalah, président du Sénat, comme chef d’État intérimaire, une des figures les plus en vue du régime ancien, lequel s’empressa de nommer un successeur au président du Conseil constitutionnel démissionnaire, alors même que la Constitution ne lui confère pas ce pouvoir.
Pire, la personne désignée s’avère être un ancien juge impliqué dans la répression des manifestations du mouvement amazigh, au début des années 1980. Abdelkader Bensalah va plus loin en lançant l’idée d’une rencontre politique “ouverte à tous” en vue de mettre en place de nouvelles réformes.
Homme du système, il n’est pas de son rôle d’initier un tel processus qui ne peut relever que de personnalités strictement indépendantes issues du mouvement populaire. Fait illustratif, le premier homme politique qu’il a reçu est Ziari, un ancien président d’APN du temps où cette institution croupion votait à main levée des lois liberticides.
Vers un boycott général
Enfin, ce processus dit “de dialogue” est de la même veine que celui conduit par le même Bensalah, sur ordre de Bouteflika, en 2011, et qui a abouti à des textes de loi qui ont aggravé le verrouillage de la vie politique et publique. Aussi, les appels à son boycott se multiplient, dans la lancée de ceux dirigés contre le scrutin présidentiel du 4 juillet, lesquels émanent plus particulièrement de l’administration (magistrats et maires), ce qui leur confère un sens puissant.
Ce que ne saisissent pas les autorités encore en poste, c’est que plus elles s’éloignent des revendications clés de la population, plus celles-ci montent en puissance. Hier encore, ce fut une autre illustration, la neuvième depuis le 22 février. Il y en aura une dixième vendredi prochain, une onzième, etc., jusqu’à la victoire finale, qui ne sera ni une revanche ni un règlement de comptes, mais le sauvetage de l’Algérie.
Le chef de l’armée, Gaïd Salah, ne comprend-il pas cela ? Juge-t-il que le sauvetage d’un système véreux est la priorité par rapport au devenir de 40 millions de citoyens ? Lui arrive-t-il de méditer sur les expériences de pays qui ont traversé des crises semblables à celle de l’Algérie et où l’armée a joué un rôle des plus positifs (Portugal, Espagne, anciennes dictatures d’Amérique latine) ? Ceux qui ont joué la carte du déni, et plus grave encore celle de la répression, ont fini dans les abysses de l’histoire.
Ali Bahmane
El Watan
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