Filmée par des riverains, la vidéo montre des policiers frapper un corps à terre. On distingue des CRS en tenue de maintien de l’ordre et des fonctionnaires en jean et blouson, casqués ou le bas du visage couvert d’un foulard, mais porteurs d’un brassard de la police. Une pluie de coups de pied et de matraque s’abat sur la silhouette allongée au sol, éclairée par les lumières orangées de la rue Saint-Ferréol à Marseille, à deux pas de la Canebière. Puis la douzaine de policiers quittent les lieux sans précipitation, devancés par quelques passants qui détalent.
Ces images ont été transmises au parquet de Marseille qui a ouvert, mardi 30 avril, une enquête préliminaire pour « violences aggravées par personnes dépositaires de l’autorité publique ». Elle a été confiée à l’inspection générale de la police nationale (IGPN), le jour même du dépôt de plainte de Maria, 19 ans, une jeune vendeuse marseillaise. Dans cette plainte, son avocat, Me Brice Grazzini, évoque une tentative d’homicide volontaire.
« Je ne dors plus »
Une autre image résume les violences subies par Maria. Publiée par Mediapart, qui a dévoilé cette affaire, la photo montre le crâne de la jeune femme balafré d’une très longue blessure recousue par plus d’une vingtaine d’agrafes. Dans leurs certificats médicaux, les médecins décrivent un scalp d’une partie du cuir chevelu et un hématome sous-dural. « Je ne dors plus, je ne mange pas, j’ai des migraines, des envies de vomir, je n’ai plus envie de rien », témoigne Maria auprès du Monde, jeudi 2 mai, à la sortie de quatre heures d’audition par les enquêteurs de l’IGPN.
Six témoins ont rédigé des attestations qui ont été jointes à la plainte. Tous racontent la scène qui se déroule le 8 décembre, vers 18 h 30, alors que les forces de police peinent à ramener le calme dans le centre-ville, à l’issue de l’acte IV du mouvement des « gilets jaunes ». En fin d’après-midi, des barricades sont dressées, et sur la Canebière, quelques boutiques pillées. Maria est sortie de son travail une heure plus tôt, elle rentre chez elle lorsqu’un tir de lanceur de balles de défense l’atteint à la cuisse.
« On s’était réfugiés rue de la Glace, atteste un témoin, lorsqu’on a vu tomber une jeune femme au gabarit élancé et menu. En fait, elle a fait comme un bond en l’air avant de chuter. » Cette femme évoque « une nuée » de policiers qui s’engouffrent rue de la Glace. « Je les vois au fur et à mesure qu’ils passent devant la jeune femme à terre donner soit un coup de matraque, soit un coup de pied. » Elle est affirmative sur trois coups de matraque donnés par trois policiers différents et un coup de pied par un autre. Au passage de l’un d’eux, elle s’entend dire : « Allez, vous appelez les pompiers ! » Dans un étrange retournement de situation, cette femme écrit : « Avec d’autres passants, nous avons sécurisé autour de la jeune femme blessée, car il y avait encore beaucoup de policiers et nous avions peur qu’ils recommencent. » Et de conclure son témoignage par un seul mot : « Aberrant. »
« Violence inouïe »
« Elle s’est fait encercler et matraquer au sol avec une violence inouïe », rapporte un autre témoin qui décrit des policiers en civil gardant la zone. Me Brice Grazzini a aussi dénoncé des faits de non-obstacle à la commission d’une infraction et non-assistance à personne en danger : « Aucun agent des forces de l’ordre présent ne s’est interposé pour faire cesser ces infractions, explique-t-il. Au contraire, deux policiers ont réalisé un périmètre de sécurité devant leurs collègues qui commettaient des violences afin que personne ne puisse secourir la victime. » L’avocat espère que le recoupement de plusieurs vidéos permettra d’identifier les fonctionnaires présents, grâce à leurs sacs à dos, à leurs chaussures, à des bandeaux dans les cheveux, et même au fait que certains visages soient assez « lisibles ».
Maria est décrite par plusieurs témoins comme consciente, « le crâne enfoncé », baignant dans une flaque de sang qui imbibe ses vêtements. Cinq mois après, la jeune femme ne comprend toujours pas ce déferlement de violence. « Il n’y a pas de raison, c’était le zoo, le grand défoulement, ça leur a fait plaisir. » Si elle a mis du temps à déposer une plainte, c’est en raison de quinze jours d’hospitalisation, mais aussi parce que, après un signalement fait sur le site de l’IGPN, on lui a assuré dans un commissariat marseillais que cette démarche sur Internet suffisait. Son dépôt de plainte n’avait pas été pris en compte.
Les autorités n’ont pour l’heure pas réagi. « Cette plainte justifie l’ouverture d’une enquête pour des violences aggravées, ce qui ne préjuge en rien d’autres qualifications que les faits pourraient mettre en évidence », a déclaré le procureur de la République de Marseille. Mais, selon Me Grazzini, « au regard de l’acharnement, de l’intensité et de la localisation des coups de pied et de matraque portés uniquement sur la tête, il n’est pas exclu qu’au moins un des policiers était animé d’une réelle volonté de tuer ».
Luc Leroux (Marseille, correspondant)