Le président Jair Bolsonaro juge impossible de gouverner le Brésil tout en respectant les institutions démocratiques, et en particulier le Congrès. De son point de vue, ces institutions sont noyautées par des “corporations” (qu’il n’a pas le courage de désigner) qui paralysent l’administration publique, ce qui ouvre la voie à une “rupture institutionnelle irréversible” – c’est en tout cas ce qu’affirme un texte [anonyme] qu’il a fait circuler sur WhatsApp le 17 mai, et qu’il approuve dans son intégralité comme s’il en était lui-même l’auteur.
En partageant ce document, une “lecture obligatoire” pour “quiconque a le souci d’anticiper”, Bolsonaro affirme sans ambiguïté que, puisqu’il se trouve dans l’incapacité de garantir la gouvernabilité du pays par la voie démocratique (c’est-à-dire par la négociation politique avec le Congrès légitimement élu), la “rupture” est selon lui logique, sinon inévitable.
Un Congrès bien gênant
Ce n’est pas la première fois que le président montre son penchant pour les solutions autoritaires. Depuis sa prise de pouvoir, Jair Bolsonaro a très souvent manifesté sa répugnance face à la nécessité d’entamer des négociations politiques pour faire valoir son programme de gouvernement au Congrès.
Confondant délibérément corruption et dialogue avec les députés et les sénateurs, le président préparait en réalité le terrain afin de disqualifier les acteurs politiques, et la vie politique elle-même – une attitude qui n’étonnera pas de la part de quelqu’un qui a été près de trente ans un parlementaire médiocre principalement occupé à insulter ses adversaires et à faire l’éloge de la dictature militaire.
Le Congrès semble d’ailleurs avoir cessé d’attendre de Bolsonaro qu’il ouvre le dialogue pour travailler de son côté aux réformes.
Depuis son arrivée au pouvoir, Bolsonaro fait étalage d’une impréparation choquante à la fonction, un problème qu’aurait pu compenser la désignation de ministres compétents. Mais, à l’exception d’une poignée de conseillers qui semblent réellement savoir ce qu’ils font, ce gouvernement se résume à une bande de courtisans qui n’ont manifestement pas d’autre fonction que celle de confirmer les délires du président, de ses fils et de l’ex-astrologue qui leur sert à tous de gourou et donne aux théories du complot les plus fantasques l’apparence de la réalité.
On lit dans le texte publié par Bolsonaro [accessible sur ce site], et que le président a invité à partager largement, que :
“Cinq mois d’un gouvernement atypique, sans ménagement pour le Congrès, ont suffi à nous montrer que le Brésil n’a jamais été et ne sera peut-être jamais dirigé dans l’intérêt des électeurs.”
Le président “n’a rien approuvé, il n’a pu qu’essayer, et échouer”, et ce parce que “le programme de Bolsonaro n’est dans l’intérêt d’aucune corporation ou presque”.
Changer de méthode !
Dans les circonstances actuelles, “si tout se poursuit sur la même lancée, ce sont les corporations qui vont commander, par la force, le gouvernement Bolsonaro”, et “l’hypothèse la plus probable”, poursuit le document, est que “le gouvernement finisse par mourir d’inanition, assoiffé par des corporations victorieuses”.
Autre scénario “clairement possible”, le pays pourrait devenir “ingouvernable” à l’image du Venezuela. C’est là qu’interviendrait la “rupture institutionnelle” dont menace le texte diffusé par Bolsonaro – qui illustre ainsi le risque qu’il dit courir, celui d’être assassiné par “le système”.
Voilà qui est clairement une menace contre la nation.
Deux sortes de tsunami sont possibles, celui d’une démission, ou celui d’un coup d’État. Car le président n’a pas seulement diffusé ce texte, il a aussi fait savoir [dans une note transmise] par son porte-parole qu’il avait beau “consacrer tous [ses] efforts à la présidence du Brésil”, le “changement dans la manière de gouverner ne plaît pas à ces coteries qui jusque-là tiraient profit de relations peu républicaines”.
Et il en appelle à la rue :
“Je veux pouvoir compter sur la société pour mettre fin, ensemble, à cette situation.”
Ce 26 mai est ainsi prévue une manifestation bolsonariste contre les magistrats du Tribunal suprême fédéral et en faveur des lois anticriminalité promues par le ministre de la Justice Sérgio Moro..
“Compter sur la société” pour renverser le “système” : Bolsonaro reprend là un scénario cher à d’autres dirigeants qui, répugnant à la vie démocratique (qui limite les volontés présidentielles par des freins et des contrepoids institutionnels), ont été tentés par le coup d’État au nom du “salut” de la nation. Même si toute cette affaire ne dépasse pas le stade de la divagation, elle n’en est pas moins catastrophique pour un pays qui, chaque jour un peu plus, sombre dans une crise dont la cause n’est pas à chercher dans de mystérieuses “corporations” et “forces occultes”, mais plus simplement dans l’incapacité de notre président à gouverner.
O Estado de São Paulo (BR)
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