Des dizaines de milliers de personnes ont empêché mercredi les députés d’accéder au Parlement pour examiner le projet de loi controversé sur l’extradition, avant d’être chargées par les forces de l’ordre.
A Hongkong, les manifestants gagnent une journée. Ils n’ont pas remporté la guerre. Ils ont juste arraché une petite victoire, pour l’honneur.
Trois jours après une manifestation qui avait rassemblé un million de personnes, des dizaines de milliers de Hongkongais ont bloqué ce mercredi les artères menant au Parlement, empêchant les députés de commencer l’examen d’un texte très controversé sur l’extradition vers la Chine continentale. Depuis le petit matin, des centaines de manifestants stoppaient des voitures, érigeaient des barricades de fortune. Au fil des heures, des dizaines de milliers d’autres les ont rejoints, des étudiants, des lycéens, paralysant les artères principales du quartier d’Admiralty, le cœur financier de l’ex-colonie britannique. Des sociétés ont renvoyé leurs employés chez eux, des magasins ont baissé leurs grilles. Comme en 2014, lors de la révolution des Parapluies, les opposants au pouvoir central de Pékin ont repris les rues. Pour quelques heures.
« Le gouvernement a refusé de nous entendre dimanche. Ça a fait monter notre colère, on ne sait plus quoi faire pour défendre notre chez-nous », explique MingMing, 24 ans, tee-shirt noir et masque chirurgical pour se protéger des charges au gaz poivre des policiers anti-émeutes postés à quelques mètres. « C’est notre dernière chance pour protéger les libertés de Hongkong », affirme l’étudiante. Face à la foule de jeunes, parfois cagoulés, les députés de la majorité n’ont pas osé s’aventurer jusqu’à l’intérieur du Parlement, ou alors en catimini, déguisés en manifestants, haut noir et masque sur le nez.
« Notre sécurité est en danger »
Dans ce capharnaüm, le secrétariat du conseil législatif de Hongkong (LegCo) a annoncé en fin de matinée que le début de l’examen du texte, prévu à 11 heures (heure locale) et censé durer jusqu’au 20 juin, était « reprogrammé à un horaire qui serait précisé ultérieurement ».
L’opposition a commencé à crier victoire, le pouvoir tentant de dissuader d’autres manifestants de rejoindre le mouvement en laissant croire que le projet de loi était reporté. Pendant ce temps, les jeunes se sont organisés. Razzia de parapluies dans les supérettes alentour, distributions de masques et de bouteilles d’eau. Certains se préparaient à un long siège. Assis sur la chaussée, calmes, ils évoquaient la peur générée par ce projet d’amendement présenté en février par le gouvernement. Au-dessus de leurs têtes, de l’autre côté du mur surmonté de barbelés, le drapeau chinois flottait au vent. Depuis le siège de l’Armée populaire de libération, qui se dresse à quelques mètres du Parlement, des soldats en treillis inspectaient la foule avec des jumelles.
« Notre sécurité est en danger. Beaucoup pourraient se retrouver dans les prisons chinoises, sans raison, redoute dépitée Poling, étudiante en commerce. Regardez ce qu’ils font dans le Xinjiang avec les musulmans, des camps de concentration pires que ceux des nazis. C’est ça la Chine. Il n’y a pas de justice. Et le gouvernement de Hongkong est en train de lécher le cul du gouvernement central au lieu de nous protéger en vertu du principe « un pays, deux systèmes ». » « Si la loi passe, on n’osera plus rien dire », renchérit Mecy. La collégienne de 14 ans a séché les cours dans le dos de ses parents, parce qu’elle est « hongkongaise, pas chinoise » et veut « protéger cette identité ».
Système judiciaire chinois opaque
Le texte tant décrié prévoit d’amender les règles d’extradition pour permettre, au cas par cas, de remettre des personnes recherchées aux juridictions avec lesquelles la région chinoise semi-autonome n’a pas d’accord, dont la Chine continentale.
Le projet, défendu par l’exécutif hongkongais, prochinois, n’a dans un premier temps suscité que l’ire de l’opposition. Elle estime que la justice – dont l’indépendance est garantie par l’accord de rétrocession entre Londres et Pékin en 1997 – ne peut commencer à livrer quiconque à un système judiciaire chinois opaque, corrompu et soumis au pouvoir politique.
Les milieux d’affaires et la communauté internationale ont ensuite rejoint le concert des critiques, déplorant le manque de garde-fous et l’impact dévastateur que cette mesure pourrait avoir sur la réputation du territoire semi-autonome, qui bénéficie encore d’un état de droit sans égal en Chine. L’érosion accélérée des spécificités de Hongkong pousse beaucoup de gens à considérer une relocalisation ou une expatriation. « Mes parents ont commencé à aborder le sujet il y a quelques semaines, à cause de ce projet d’extradition. On va certainement quitter Hongkong dans quelques mois pour un pays démocratique », dit Kama, 23 ans.
Mercredi matin, l’indice Hang Seng a baissé de 1,6%, signe que « les investisseurs restent effrayés par les conséquences considérables que la loi sur l’extradition pourraient avoir pour attirer les recrues étrangères », explique Stephen Innes, analyste au cabinet Vanguard Markets. La proposition de loi « met aussi en question la viabilité de Hongkong en tant que centre financier majeur, ce qui effraie les investisseurs immobiliers », poursuit l’analyste basé à Singapour.
En fin d’après-midi, les forces de l’ordre chargeaient les manifestants, avec boucliers, bâtons, balles en caoutchouc et jets de lacrymos. Dans le même temps, le secrétariat du LegCo envoyait un message aux députés pour leur indiquer les passages sécurisés pour entrer au Parlement. En début de soirée, les députés prodémocratiques étaient informés qu’il n’y aurait pas de session ce mercredi.
Rosa Brostra Correspondante à Hongkong