Ce jeudi 21 décembre 2006, un élève de sixième, âgé de 12 ans, décédait d’une crise cardiaque à la sortie de son cours de gym. Cet événement dramatique a provoqué une véritable tempête médiatique. L’édition du 22 décembre du quotidien Libération, sous la plume de Patricia Tourancheau, titrait : « Un élève de 12 ans a succombé à la suite de coups de poing et de pied ». Dans l’article, on a beau lire que « les policiers attendent le résultat de l’autopsie [...] pour déterminer avec précision “la cause du décès”, afin de savoir “si ce sont les coups qui l’ont provoqué, ou sa chute au sol, ou une fragilité cardiaque” », la journaliste continue : « L’élève qui a porté les coups mortels et une fille de 11 ans ont été placés en rétention à la brigade des mineurs de la sûreté départementale de Seine-et-Marne. » La cause était entendue : des coups mortels portés, des coupables désignés, un fait sociétal démontré, décidément, la violence monte partout. Les réactions ne se font pas attendre, campagne électorale aidant. Le Parti socialiste s’insurge. Il « exprime son inquiétude face à une montée endémique de la violence, dont la gravité n’a pas été prise en considération ». Le gouvernement est « choqué », « bouleversé ».
Vendredi 22 décembre, une fois la machine judiciaire mise en branle et l’autopsie réalisée, on apprend que le jeune souffrait « d’une hypertrophie du muscle cardiaque qui le rendait vulnérable à un effort intense ou à une forte émotion ». Une source policière précisera même : « Il n’y a pas eu un déchaînement de violence, c’est une bagarre comme il s’en produit chaque jour dans les collèges. » Fin de la tempête médiatique, pas un mot d’excuse. La machine judiciaire ne s’arrêtera pas là, et les deux enfants seront mis en examen et placés dans un foyer.
Dans une telle affaire, il y a, bien entendu, la douleur de la famille de cet enfant mort d’une crise cardiaque. Mais doit-on, obligatoirement, se précipiter sur le code pénal pour réagir ? La seule interrogation posée par la presse et par les partis politiques dominants est : comment doit-on punir des enfants de cet âge ? La réponse, en France, est, contrairement aux idées répandues, très répressive. En contradiction totale avec la convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant, notre cher pays ne prévoit pas d’âge minimum pour être qualifié de délinquant. Pour être considéré comme coupable pénalement, il faut avoir une capacité de discernement. Et on n’hésite pas à considérer qu’à 7 ou 8 ans, on a le discernement nécessaire. À 10 ans, le mineur peut subir une sanction dite éducative (loi Perben I) - interdiction de fréquenter tel lieu ou telle personne, stage citoyen, mesure de réparation, etc. À 13 ans, la responsabilité pénale est toujours atténuée, le mineur peut être condamné à de la prison, mais pour moitié de celle encourue par un majeur, pour les mêmes faits. À 16 ans, on peut toujours bénéficier de cette excuse de minorité, mais le juge peut passer outre.
Aide éducative
Dans l’affaire de Meaux, les enfants ne peuvent pas subir de peine de prison, fort heureusement. Mais la justice, poussée par une opinion plus médiatique que publique, se devait de réagir. Qu’importe que ces deux jeunes n’aient pas tabassé à mort un autre jeune ? Qu’importe qu’il s’agisse d’une bagarre tristement banale ? La sentence tombera, présentée comme la punition : le placement en foyer de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). En plaçant ces enfants, le juge détourne ces foyers de leur vocation, celui de l’aide éducative dans l’intérêt de l’enfant.
Démagogie
Cette affaire montre, comme d’autres, le climat délétère qui domine en France. Nous avons beau être l’un des pays les plus répressifs, avec le record d’Europe de policiers par habitants, la criminalité a beau être dans les standards des pays capitalistes, la coupe n’est jamais pleine pour les sécuritaires. Il s’agit, en fait, d’une véritable bataille idéologique, dont le cœur de cible est la jeunesse. Leur objectif est de faire marcher au pas les prochaines générations, d’en faire des travailleurs rompus à la précarité et, surtout, à une certaine discipline. Ils veulent habituer toute une population à l’idée très simple que toute déviance se traite par la punition et que les jeunes d’aujourd’hui sont plus violents que ceux d’hier, quitte à faire passer une vulgaire bagarre pour un meurtre. Ils veulent nous habituer à une monstrueuse version de la justice, où toute notion de compréhension est absente : exit l’excuse de minorité, finie l’explication sociologique.
Pour faire admettre cette idée, le ministre de l’Intérieur et candidat à l’élection présidentielle s’agite. Son Falcon ministériel toujours prêt, il saute de fait-divers en fait-divers, faisant de la somme de ces drames une politique. Et sa cible, inlassablement, est la jeunesse. Son prochain objectif est de ramener la majorité pénale à 16 ans. Mais il ne s’arrêtera pas là. Il y a fort à parier que l’échec attendu de cette politique, bien loin de poser les questions de son efficacité, amènera un nouveau durcissement. Les prisons, avec lui, ont de beaux jours devant elles.
Mais pourquoi cette cible ? Les jeunes ont-ils tellement changé qu’il faille en faire des gibiers de potence ? La violence des gosses - lire La Guerre des boutons suffit à s’en convaincre - ne date pas d’aujourd’hui. Alors quelle est la différence ? Nicolas Sarkozy ne fait que représenter les puissants. Et les possédants ont de nombreux problèmes à résoudre. Face à la mondialisation capitaliste, l’État se resserre comme peau de chagrin autour de ses pouvoirs régaliens, police et justice. Or, la précarisation, la ghettoïsation, l’absence de perspectives sociales, la baisse des moyens de prévention (la vraie, pas celle de la loi de prévention de la délinquance) et de l’Éducation nationale, la crise du logement, les attaques contre le code du travail, les discriminations raciales touchent de plein fouet la jeunesse. Et elle réagit.
On peut noter que, depuis les grèves de 2003 sur les retraites, les mouvements sociaux d’ampleur ont été menés par la jeunesse. Grèves lycéennes avec occupations en 2005, révolte de la jeunesse des banlieues en 2005 et lutte contre le CPE en 2006 : ces trois mouvements révèle le processus de radicalisation. Aussi, même s’il n’est pas question de justifier des actes de violence, nous nous devons de voir dans cette politique une démagogie bien huilée qui doit être combattue. Et toute politique de gauche devra défaire ce que la droite a fait en abrogeant toutes les lois Perben et Sarkozy. Et, bien entendu, elle devra fixer un âge minimum pour être considéré comme délinquant. Allez chiche, 16 ans, comme les Belges !
1. En Belgique, cet âge est fixé à 16 ans.