Au lendemain de la prise spectaculaire du Parlement de Hongkong par des centaines de jeunes manifestants, la vie semble reprendre comme si de rien n’était.
Dans le quartier autour du LegCo, comme on appelle la Chambre des députés et les bureaux du gouvernement qui l’entourent, les rues et le métro ont rouvert dès mardi matin. Autour du bâtiment, des ouvriers tendaient des bâches rayées et la police annonçait qu’elle traitait les lieux comme « une scène de crime ».
Comme chaque 1er juillet, Hongkong commémorait lundi sa rétrocession à la Chine et la signature de l’accord « un pays, deux systèmes » garantissant la liberté d’expression et l’indépendance de la justice pendant cinquante ans.
Un 22e anniversaire sous haute tension, tant l’archipel est secoué depuis plusieurs semaines par un mouvement de révolte contre un projet de loi permettant les extraditions vers la Chine continentale.
Morale
Pour la troisième fois en un mois, les Hongkongais sont descendus en masse dans la rue pour protester contre ce texte qui les mettrait à la merci des méthodes dictatoriales du Parti communiste chinois.
Arrivés à la hauteur d’une petite rue, ils ont été invités par des étudiants à quitter le parcours officiel et obliquer vers le LegCo. Dès 14 heures, des dizaines de jeunes, aidés par des milliers d’autres qui leur fournissaient barres de fer, barrières et projectiles, ont réussi à briser un mur en verre.
Dehors, nulle trace des forces de l’ordre, aucun cordon de police pour protéger le cœur du pouvoir politique. Dans la cour principale, seuls une quinzaine de policiers, débonnaires, faisaient face à un groupe de jeunes qui leur balançait des bouteilles en plastique par-dessus la grille - il s’est avéré plus tard, selon la police, qu’elles contenaient un produit toxique.
Régulièrement, un policier prenait un porte-voix pour faire la morale aux protestataires, ce qui déclenchait des huées et faisait encore monter la tension. Pendant ce temps, des dizaines de milliers de personnes s’agglutinaient autour du LegCo, alors que la police n’aurait eu aucun mal à bloquer les rues et empêcher le cortège de se scinder.
Vers 21 heures, quand plusieurs portes ont lâché, et qu’une foule de jeunes s’est engouffrée dans le bâtiment, les policiers se sont volatilisés.
Durant trois heures, le Parlement a été occupé, dans une ambiance surréaliste, mais sans faire de dégâts irréversibles ni de blessés. Régulièrement, la police était annoncée, mais elle ne s’est pas montrée.
Dans l’hémicycle, les manifestants ont tenu un discours ému, rappelant les demandes du peuple :
– l’annulation pure et simple du projet de loi (et non sa suspension comme annoncé),
– la démission de la cheffe de l’exécutif pro-Chine, Carrie Lam,
– une enquête indépendante sur les exactions policières commises en juin,
– l’instauration, prévue dans l’accord de rétrocession, du suffrage universel. Une demande qui avait lancé le mouvement des parapluies en 2014, sans résultats.
Poignard
Un peu avant minuit, les forces de l’ordre sont finalement intervenues, nettoyant les lieux en quelques minutes à coups de grenades lacrymogènes, sans procéder, semble-t-il, à des arrestations.
Puis, dans une conférence de presse convoquée à 4 heures du matin dans les locaux de la police, Carrie Lam est sortie d’un silence de deux semaines pour déplorer « l’extrême violence » des manifestants.
De son côté, le pouvoir central de Pékin a annoncé qu’il « soutiendrait les autorités hongkongaises dans l’enquête qui devra déterminer la responsabilité criminelle des attaquants ».
Un coup de poignard supplémentaire dans l’autonomie de l’archipel. Dans la foulée, 41 députés pro-Pékin ont condamné l’action des manifestants : « Nous demandons expressément au peuple amoureux de la paix, qui croit dans les valeurs de Hongkong, de prendre ses distances. »
Au lendemain de ce qui ressemble à une manœuvre de Pékin pour transformer un mouvement populaire et politique en problème sécuritaire, Claudia Mo, une prodémocrate, a accusé Carrie Lam « d’employer des tactiques communistes pour tenter de jeter le blâme sur la population au lieu de régler un problème qu’elle a créé ».
Quant au Front civil des droits de l’homme, organisateur de la manif, qui avait été déstabilisé lundi par la tournure des événements, il a finalement pris la défense des jeunes : « La nuit dernière, un groupe d’étudiants a pris un pari risqué sans se soucier de leur intérêt. Ils ont été plus courageux que nous. » Mardi soir, il a appelé à l’unité et annoncé « d’autres actions ».
Laurence Defranoux