Le principal mouvement de la contestation au Soudan a appelé lundi 1er juillet à la désobéissance civile le 14 juillet dans tout le pays, au lendemain de manifestations de masse pour faire pression sur les généraux au pouvoir.
Dans leur bras de fer avec le Conseil militaire de transition, qui tient les rênes du pays depuis la destitution en avril du président Omar Al-Bachir, le principal mouvement de la contestation avait organisé, du 9 au 11 juin, une campagne de désobéissance civile qui avait quasiment paralysé Khartoum.
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« Le dimanche 14 juillet, désobéissance civile et grève politique totale dans tous les secteurs professionnels (…) dans la capitale et dans toutes les provinces », a annoncé dans un communiqué l’Alliance pour la liberté et le changement (ALC), fer de lance de la contestation.
Le 13 juillet sera organisée une manifestation pour commémorer la dispersion d’un sit-in de manifestants installés devant le QG de l’armée à Khartoum quarante jours plus tôt, le 3 juin, qui a fait des dizaines de morts et provoqué un tollé international.
Ce dimanche, des dizaines de milliers de personnes ont déjà manifesté à travers le pays pour que le Conseil militaire remette le pouvoir aux civils. Au moins cinq personnes ont été tuées et plus de 180 blessées dans les violences en marge des rassemblements, selon des bilans de la police et du ministère de la santé, cités par l’agence officielle SUNA.
« Violence excessive »
A Omdourman, ville voisine de Khartoum qui a connu dimanche une mobilisation particulièrement forte, un petit attroupement s’est formé, lundi matin, autour de trois cadavres qui venaient d’être découverts, a constaté un correspondant de l’AFP. Cette découverte porte à 136 le nombre de victimes de la répression depuis la dispersion du sit-in, qui avait fait à lui seul une centaine de morts selon un comité de médecins proche de la contestation. Les autorités comptent, pour leur part, 71 morts depuis le 3 juin.
Des dizaines de personnes ont scandé « à bas, à bas [les militaires] » – un slogan utilisé depuis décembre pour réclamer l’éviction de M. Bachir et aujourd’hui du Conseil militaire –, avant d’être dispersés par la police, qui a fait usage de gaz lacrymogènes.
Les trois corps affichaient des traces de « torture », selon un comité de médecins proche de la contestation.
L’ampleur de la mobilisation, dimanche, a démontré que le mouvement de contestation a gardé intacte sa capacité à rallier la population, malgré un blocage d’Internet en vigueur depuis près d’un mois et un important dispositif sécuritaire.
Les manifestants ont été la cible des tirs de gaz lacrymogène, alors qu’ils marchaient sur le palais présidentiel où siège le Conseil militaire. Des échauffourées ont eu lieu à environ 700 mètres du palais où au moins 25 véhicules des paramilitaires des Forces de soutien rapide sont arrivés en renfort, selon un journaliste de l’AFP.
« Le Conseil militaire est entièrement responsable pour ces vies [perdues] et ces blessés », a assené Mohammed Naji Al-Assam dans une vidéo postée dimanche soir sur Facebook par son mouvement, l’Association des professionnels soudanais, acteur majeur de la contestation. « Une nouvelle fois, comme à plusieurs reprises, les manifestants pacifiques soudanais ont été la cible d’une violence excessive, des tirs à balle réelle », a ajouté le militant.
« Retenue »
Pour le Conseil militaire, les forces régulières ont fait preuve de « retenue » dimanche. L’ALC « a violé ses engagements et incité les manifestants à se diriger vers le palais [présidentiel] et le QG de l’armée », a dénoncé le général Jamal Omar, dans une vidéo postée par le Conseil sur Facebook. L’ALC « porte l’entière responsabilité de ces violations et des victimes parmi les forces régulières et les citoyens », a-t-il ajouté.
La contestation au Soudan a été déclenchée initialement par le triplement en décembre du prix du pain dans un pays pauvre à l’économie exsangue. Les manifestations ont rapidement pris une tournure politique en réclamant l’éviction d’Omar Al-Bachir, qui dirigeait le pays d’une main de fer depuis près de trois décennies.
Lundi, la France a déploré les violences de la veille, appelant les deux camps « à progresser de bonne foi dans les négociations et à aboutir au plus vite à la formation d’un gouvernement conduit par des civils ».
Depuis plusieurs jours, les chefs de la contestation et le Conseil militaire se disent ouverts à une reprise des négociations, à travers une médiation de l’Ethiopie et de l’Union africaine, pour dessiner les grandes lignes de la transition à venir.
• Publié le 01 juillet 2019 à 23h46, mis à jour le 2 juillet à 07h30 :
https://www.lemonde.fr/international/article/2019/07/01/soudan-la-contestation-appelle-a-la-desobeissance-civile_5483982_3210.html
Cinq manifestants tués dans les rassemblements
De nombreuses voix avaient appelé à la retenue pour éviter la répression face à la nouvelle mobilisation massive contre les dirigeants militaires dimanche 30 juin.
Au Soudan, plusieurs milliers de manifestants sont sortis dans les rues de la capitale, Khartoum, dimanche 30 juin, pour réclamer le transfert du pouvoir – détenu par les militaires – aux civils, à l’appel de l’Alliance pour la liberté et le changement (ALC), fer de lance de la contestation.
Dans l’après-midi, l’Association des professionnels soudanais (SPA) a appelé, dans un communiqué posté sur Twitter, les manifestants à marcher vers le palais présidentiel : « Nous appelons notre peuple révolutionnaire dans la capitale à se diriger vers le palais républicain (...) pour demander que la justice soit rendue aux martyrs et que le pouvoir soit immédiatement cédé aux civils, sans conditions ».
La police a répliqué par des tirs de gaz lacrymogènes sur les centaines de manifestants qui marchaient en direction du palais présidentiel, tandis que les redoutés paramilitaires des Forces de soutien rapide (RSF) ont été appelés en renfort.
Au moins cinq manifestants ont été tués dans les rassemblements, a annoncé un comité de médecins proche de la contestation. Quatre morts ont été rapportés à Omdourman, ville voisine de Khartoum, et une cinquième victime dans la ville d’Atbara, dans le centre du pays. « Il y a également de nombreux blessés graves touchés par les balles des milices du Conseil militaire », dans les hôpitaux de la capitale et des provinces, selon le comité.
Avant le début de la protestation, plusieurs pays ainsi que des ONG ont appelé à la retenue pour éviter une nouvelle répression sanglante après la dispersion brutale le 3 juin du sit-in devant le QG de l’armée dans la capitale soudanaise, qui avait fait des dizaines de morts.
L’ampleur des manifestations pourrait être un test pour jauger la capacité des meneurs de la contestation à mobiliser. Mais aussi pour le Conseil militaire de transition, qui tient les rênes du pays depuis la destitution et l’arrestation le 11 avril par l’armée du président Omar Al-Bachir.
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Dans trois quartiers de Khartoum – Bari, Arkaweit et Al-Mamoura –, la police a tiré des gaz lacrymogènes sur les manifestants qui criaient « Pouvoir civil ! Pouvoir civil ! », selon des témoins. Les forces de sécurité ont également tiré des gaz lacrymogènes dans la ville de Gadaref, dans l’est du pays, ont indiqué d’autres témoins.
Brandissant des drapeaux soudanais et faisant le signe de la victoire, hommes et femmes ont envahi les rues du quartier d’Al-Sahafa à Khartoum. De nombreux magasins ont gardé leurs rideaux baissés. « Nous sommes ici pour les martyrs du sit-in. Nous voulons un Etat civil qui garantisse notre liberté. Nous voulons en finir avec la dictature militaire », a déclaré un manifestant, Zeinab, 23 ans.
En prévision des rassemblements, les paramilitaires des forces de soutien rapide (RSF) ont été déployés sur plusieurs places de Khartoum, à bord de leurs habituelles camionnettes dotées de mitrailleuses. Les autorités bloquent depuis des semaines l’accès à internet, outil stratégique pour mobiliser les manifestants dès le début du mouvement de contestation inédit au Soudan le 19 décembre 2018.
Ce mouvement a été déclenché initialement par le triplement du prix du pain dans un pays pauvre à l’économie exsangue. Les manifestations se sont ensuite transformées en contestation contre le pouvoir du général Al-Bachir, qui dirigeait le pays d’une main de fer depuis près de trois décennies.
Epicentre de la contestation, le sit-in devant le QG de l’armée, commencé le 6 avril, a été brutalement dispersé le 3 juin. Au moins 128 personnes ont péri dans la répression qui a duré plusieurs jours, la grande majorité dans la dispersion du sit-in, selon des médecins proches de la contestation. Les autorités ont fait état de 61 morts.
Les RSF ont été accusées par les manifestants, des ONG et des experts, d’être à l’origine de cette dispersion. Un comité d’investigation mis sur pied par le Conseil militaire a reconnu que des « officiers et des soldats » étaient impliqués dans la dispersion du sit-in, mais le Conseil militaire a assuré avoir donné l’ordre de mener une opération antidrogue dans un secteur voisin, qui a débordé et mal tourné.
Les militaires appelés à la retenue
Samedi, les généraux ont averti qu’ils feraient porter à l’ALC « l’entière responsabilité » en cas de « perte humaine » ou de tout « acte de vandalisme » pendant les manifestations.
L’Union européenne a appelé les militaires au pouvoir à la retenue. « Il est du devoir du Conseil militaire d’assurer la sécurité de tous et de s’abstenir de tout recours à la violence contre les manifestants ». Pour Amnesty International, « le Conseil militaire ne doit pas laisser le pays glisser vers plus de répression. Le monde observe ». La mobilisation de dimanche « sera une tentative du peuple de montrer que c’est lui qui a le dernier mot », estime Khaled Al-Tijani, rédacteur en chef du journal Elaff.
Dernièrement, les protestataires s’étaient contentés de petits rassemblements à Khartoum, parfois dispersés par les forces de sécurité. Malgré le bras de fer, les chefs de la contestation et le Conseil militaire se disent ouverts à une reprise des négociations, à travers une médiation de l’Ethiopie et de l’Union africaine, pour dessiner les grandes lignes de la transition à venir.
Le Monde avec AFP
• Le Monde. Publié le 30 juin 2019 à 15h22 - Mis à jour le 30 juin 2019 à 21h50 :
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/06/30/soudan-grandes-manifestations-a-khartoum-la-police-replique-avec-du-gaz-lacrymogene_5483401_3212.html
Les forces de sécurité empêchent une conférence de presse des contestataires
Depuis la destitution en avril du président Omar Al-Bachir, renversé par l’armée, les protestataires continuent de réclamer le transfert du pouvoir aux civils.
Des paramilitaires soudanais ont empêché, samedi 29 juin, la tenue d’une conférence de presse organisée par un acteur majeur du mouvement de contestation, à la veille d’une grande manifestation contre les généraux au pouvoir, ont annoncé les organisateurs.
Depuis la destitution en avril du président Omar Al-Bachir, renversé par l’armée, les protestataires continuent de réclamer le transfert du pouvoir aux civils et sont engagés dans un bras de fer avec le Conseil militaire de transition.
L’Alliance pour la liberté et le changement (ALC), fer de lance de la contestation, a appelé à une nouvelle mobilisation massive dimanche.
Une de ses composantes majeures, l’Association des professionnels soudanais (SPA), devait organiser samedi soir une conférence de presse pour aborder le rassemblement du lendemain, mais des paramilitaires des Forces de soutien rapide (RSF) ont interdit l’événement, selon un chef de la contestation, Ahmed Al-Rabie.
« Avant le début de la conférence, trois véhicules des RSF, avec à leurs bords des hommes armés, sont venus à notre bâtiment et nous ont dit de ne pas organiser » le briefing, a-t-il dit à l’AFP. Ils ont « ordonné à tous ceux qui étaient présents de quitter » les lieux, a-t-il ajouté, rappelant que deux responsables du mouvement avaient été interpellés vendredi.
Un journaliste soudanais ayant assisté à l’incident a confirmé que des hommes armés avaient empêché la tenue de la conférence.
L’appel à manifester dimanche est le premier de cette envergure depuis la dispersion dans le sang le 3 juin d’un sit-in de manifestants devant le QG de l’armée à Khartoum. Au moins 128 personnes ont été tuées lors de cette opération et durant la répression des jours suivants, selon des médecins proches de la contestation. Les autorités, de leur côté, ont évoqué un bilan de 61 morts.
Le Monde avec AFP
• Le Monde. Publié le 29 juin 2019 à 22h04 :
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/06/29/soudan-les-forces-de-securite-empechent-une-conference-de-presse-des-contestataires_5483287_3212.html