La grève générale du 23 janvier devait marquer, au Liban, un élargissement du mouvement de protestation initié par l’opposition libanaise contre le gouvernement pro-américain de Fouad Siniora. Associée à une série de blocages civils, elle fut suivie massivement dans l’ensemble du pays. La grève générale s’inscrivait dans un double processus : celui du mouvement entamé en décembre 2006 par le Hezbollah et le Courant patriotique libre (chrétien) du général Michel Aoun, visant à demander la démission du gouvernement de Fouad Siniora, et celui de la Confédération générale des travailleurs libanais (CGTL), visant à s’opposer à la conférence des donateurs de Paris 3 qui, sous les auspices de la France et des États-Unis, impose au Liban de douloureuses conditions pour le remboursement de sa dette : privatisations, augmentation des impôts indirects et du prix du carburant, le tout avec la bénédiction du FMI et de la Banque mondiale.
La profondeur du mouvement de grève générale et de blocages civils fut cependant ternie par l’irruption brutale, mais peut être prévisible, de violences inter et intraconfessionnelles, qui ont fait près d’une dizaine de morts et une centaine de blessés. Le 23 janvier, des groupes rattachés aux forces gouvernementales ont attaqué plusieurs barrages routiers mis en place par les manifestants. Le jeudi 25, des francs-tireurs ont fait irruption sur les toits de Tariq-al-Jdide, autour de l’université arabe de Beyrouth. De nouvelles milices rattachées essentiellement aux Forces libanaises, chrétiennes, de Samir Geagea, au Courant du futur, sunnite de Saad Hariri, et au Parti socialiste progressiste, druze, de Walid Joumblatt, trois forces politico-confessionnelles membres du gouvernement et de l’Alliance du 14 mars, ont délibérément provoqué une série d’incidents visant à faire basculer l’affrontement politique entre le gouvernement et l’opposition en un conflit civil et confessionnel armé.
Si la mobilisation de l’opposition s’inscrit dans la continuité de la victoire symbolique du Hezbollah lors de la guerre des 33 jours contre Israël, si elle prend de plus en plus un caractère nationaliste, arabiste et anti-impérialiste, il n’en reste pas moins qu’elle bute encore sur le principal problème du Liban, à savoir la permanence et le caractère structurel et fondateur du confessionnalisme politique. L’opposition a, certes, réussi à réaliser le tour de force inédit dans la région d’assurer la jonction entre musulmans chiites et communauté chrétienne : elle regroupe également une minorité importante de la communauté sunnite, a le soutien de mouvements et d’intellectuels nationalistes arabes et de gauche.
Quant au Parti communiste libanais, il se situe dans une position de soutien critique au mouvement oppositionnel : ayant appelé à la grève générale, le 23 janvier, il demande cependant à l’opposition de s’engager dans un véritable processus de déconfessionnalisation du système libanais, et de faire preuve de plus de conséquence sur les questions économiques et sociales. Cependant, la majorité des sunnites, tout comme la communauté druze et une partie de la communauté chrétienne, fait bloc autour du gouvernement. La polarisation politique prend ainsi un caractère communautaire marqué, le tout alimenté par les dynamiques régionales à l’œuvre, notamment en Irak, qui voit l’affrontement chiite-sunnite devenir l’une des donnes marquantes de la situation politique, et qui se traduit également par la rivalité régionale entre l’Iran et l’Arabie saoudite.
Les affrontements des 23 et 25 janvier relèvent ainsi d’une stratégie de la tension : appuyées par les États-Unis, qui tentent d’enrayer au Liban la montée du Hezbollah et de ses alliés suite à la victoire de la guerre des 33 jours, les forces du 14 mars jouent sur les clivages confessionnels locaux et régionaux et créent délibérément les conditions d’une guerre civile afin d’enrayer le mouvement de l’opposition, qui doit désormais établir une stratégie apte à renverser le gouvernement tout en échappant à la logique de combat armé fratricide.