Le territoire chinois semi-autonome a encore été secoué par des manifestations ce week-end avant l’appel à un arrêt de travail géant lundi 5.
Sur le tissu rouge qui flotte entre deux eaux, on aperçoit les étoiles jaunes, symboles de l’unité du peuple chinois sous la direction du Parti communiste. Samedi 3, un groupe de manifestants radicaux hongkongais a décroché le drapeau de la Chine populaire qui flottait sur un mât et l’a jeté dans la baie de Hongkong, un des plus grands ports commerciaux au monde. « Une atteinte à la dignité nationale et une atteinte au principe « un pays, deux systèmes » », s’est étranglé Pékin, qui a promis de « ne pas rester les bras croisés et de combattre les forces abjectes ».
Ce week-end, à la veille d’un appel à une grève générale, le territoire chinois semi-autonome a encore été secoué jusque tard dans la nuit par une série de manifestations et de heurts avec la police, y compris l’attaque de commissariats à la catapulte.
Le mouvement de protestation contre un projet de loi d’extradition qui mettrait fin aux libertés dont jouissent les 7,4 millions d’habitants de l’ex-colonie britannique entre dans son troisième mois consécutif, sans que la cheffe de l’exécutif, Carrie Lam, n’ait accepté de retirer définitivement le texte.
Mais au lieu de s’essouffler, le mouvement se durcit, touche désormais toutes les couches de la société et les revendications se sont élargies.
Vendredi 2, environ 40 000 fonctionnaires ont défilé dans le centre-ville.
Chaque jour, en première ligne, des jeunes de plus en plus déterminés, malgré des dizaines d’arrestations pour « émeutes » qui peuvent valoir jusqu’à dix années de prison, arrivent casqués et masqués à des points de ralliement, montent des barricades, bloquent les routes et les tunnels, mettent le feu aux poubelles, se déplacent en un éclair d’un endroit à l’autre.
Ils sont soutenus par une large partie de la population, choquée par la réponse brutale de la police face à un mouvement populaire massif qui a longtemps été très pacifique et par une attaque sanglante par des mafieux il y a deux semaines.
Ce week-end (3 et 4 août), des habitants d’un quartier se sont interposés entre la police et les jeunes, leur criant : « Merci de nous avoir protégés jusque-là, mais là nous n’avons plus besoin de vous. » Des centaines de passants ont même fait reculer les policiers antiémeutes dans une gare routière.
Dans les stations de métro, des tickets, des vêtements, de la nourriture ou de l’eau sont laissés à la disposition des jeunes.
Fonctionnaires de tous services, commerçants, personnels de santé, banquiers et même magistrats sont de plus en plus nombreux à dire publiquement leur ras-le-bol devant le silence buté du gouvernement.
Mais une manifestation prochinoise a également rassemblé des dizaines de milliers de personnes samedi, symbole d’une fracture de plus en plus profonde de la société.
« Hongkong n’est pas la France »
La réussite ou non de la grève générale fera figure de test lundi. Comme le dit Jason Y. Ng, un avocat prodémocrate, « Hongkong n’est pas la France », et la place forte du capitalisme mondial n’est pas coutumière du fait.
– Les salariés du privé devront poser une journée de congé pour aller manifester, or ils n’ont le droit qu’à 7 à 14 jours de congé par an suivant leur ancienneté, sauf accords plus avantageux offerts par de grandes entreprises étrangères.
– Ils peuvent aussi arguer du fait qu’ils n’ont pas pu se rendre au bureau à cause de la paralysie des transports – à condition qu’ils soient paralysés.
– En plus du risque d’être licenciés pour avoir pris un congé sans autorisation, les Hongkongais, nombreux à galérer pour payer des loyers astronomiques, rechignent à perdre un jour de salaire.
– Quant aux fonctionnaires, il leur est tout simplement interdit de ne pas venir travailler pour des motifs politiques.
Un précédent appel à la grève, le 17 juin, avait fait un flop. Mais depuis, la cité d’ordinaire si disciplinée est chaque soir le théâtre de batailles rangées entre police et militants prodémocratiques dans des nuages de gaz lacrymogènes.
Les appels à la grève se sont faits aussi très insistants, avec des adolescents qui n’hésitent pas à bloquer le métro ou à s’agenouiller devant les voyageurs pour les convaincre de ne pas se rendre au travail lundi - dans la nuit, des dizaines de vols partant ou arrivant de Hongkong étaient annoncés comme supprimés.
Chars et lance-missiles
Le Bureau de liaison avec Pékin a réitéré ce dimanche 4 son soutien à la police hongkongaise mais a omis de préciser qu’il soutenait la cheffe de l’exécutif, l’enfonçant un peu plus dans son isolement politique – elle n’est pas apparue en public depuis deux semaines et est en chute libre dans les sondages d’opinion.
Parallèlement, le gouvernement central de Pékin multiplie les avertissements envers la région administrative spéciale, n’hésitant plus à faire passer le message que l’accord « Un pays, deux systèmes », qui garantit les libertés fondamentales à l’ancienne colonie britannique jusqu’en 2047, est caduc. Vendredi, une vidéo de propagande de l’Armée populaire de libération (APL), qui possède une garnison à Hongkong, a joint l’image à la parole. Au milieu de trois minutes de promotion des capacités tout-terrain de l’armée chinoise, avec chars, hélicoptères et lance-missiles, on voit des soldats d’élite criant en cantonais, la langue locale hongkongaise, à des manifestants : « Si vous ne reculez pas, c’est à vos risques et périls », avant de lancer l’assaut. Ce qui fait dire à Shawn Zhang, un chercheur canadien : « Je pense que l’APL est la seule armée du monde à se vanter de sa capacité à tirer sur son propre peuple. »
Laurence Defranoux